Algérie

Alger, capitale de la culture arabe



Quelle place laisse-t-on à la culture ? Alger, capitale de la culture arabe’, le slogan d’un moment qui nous fut annoncé comme celui qui allait être de toutes les couleurs de la culture et de la rencontre féconde des créateurs arabes. Le jour inaugural venu, un gala à la prétention grandiloquente, avec des milliers d’ampères de lumière et d’éclats de lumière, des chanteurs et chœurs bien nippés reprenant laborieusement des chants réchauffés mais sans imagination particulière ; ou, ailleurs, dans la chambre froide des officiels, d’honorables gens, parmi lesquels on chercherait, à perdre courage, qui était l’artiste, et qui écoutait stoïquement un discours présidentiel certes riche mais que l’orateur avait, on dirait, hâte d’en liquider la lecture. Puis...puis rien. C’est-à-dire peu, très peu -un si peu qu’il fallait bien tendre l’oreille pour savoir qu’il eut lieu- au vu de ce que tout algérien concerné par le monde culturel et intellectuel attendait.Il est vrai que sous tous les cieux, on cherche à enrichir la vie culturelle de son pays par l’échange et la découverte de l’Autre, à commencer par les plus proches de soi ou par ceux avec lesquels on voudrait créer ou renforcer des liens. Les moyens et domaines sont nombreux: l’édition, la traduction, l’achat de livres, les séminaires, les conférences, les festivals, les semaines culturelles. Ce sont, exceptionnellement, les associations mais souvent les institutions de l’Etat qui se chargent de financer, d’organiser et donc de choisir (du moins de peser sur le choix) les participants et les contenus des activités. Et c’est là où le bât blesse. Spécialement dans le cas des pays arabes, le nôtre y compris bien sûr. L’état de la démocratie dans ces pays, on le sait, fait que la méfiance envers le pouvoir, installée chez les créateurs et intellectuels, n’est pas près de disparaître, malgré quelques coups de cœur, voire de troublantes séductions, constatés ça et là et les gestes de convenances ou de correction. Dans cette situation, le pouvoir n’oserait pas solliciter ceux qu’il ne pourrait encadrer ou intégrer dans l’image qu’il voudrait donner à la manifestation projetée ; et, réciproquement, quel que soit le geste honorifique qu’on lui annoncerait, le créateur authentique (qui porte un regard critique ou nouveau) craindrait, en y prenant part, pour le moins, un manque de visibilité de son art, quand il ne rejetterait pas en bloc l’idée de participer comme une sorte de compromission. Mais il n’y a pas que cela. Dans ce genre de rencontre, le créateur n’a aucune liberté de manœuvre dans le ciblage du public ou dans le choix de son cadre de présentation. Le pire c’est qu’il est parfois considéré être là pour représenter son pays, et non pour affirmer dans la création sa propre individualité ou celle de son groupe. En contrepartie de son financement, l’institution étatique cherchera à atteindre ses prévisions en matière de nombre d’activités et obtenir un taux de suivi maximal de la part du public. Mais, à moins qu’elle se désintéresse totalement de la qualité et qu’elle voudrait que les activités prennent l’allure d’animation dépourvue de tout aspect de contre-pouvoir, dans ce genre de manifestation, réaliser des desseins politiques ou politiciens et chercher quelque prestige, n’est pas forcement incompatible avec chercher à répondre toujours plus finement à la question: Qu’attend le large public ? Qui inviter? et pour présenter quoi? Ces derniers jours, en France, les intellectuels et artistes sont partagés sur la question de prêt d’œuvres d’art du Louvre au musée d’Abou Dahbi (qu’on voudrait un Louvre émirati). Là aussi, il serait formidable que la chose relève du seul échange culturel et qu’elle se réalise avec les meilleurs résultats en matière de découverte de l’Autre et d’émancipation artistique. Or personne ne tomberait dans l’angélisme ; on sait que le dit prêt ne se fera pas sans une contrepartie financière dont on n’annonce pas, par pudeur, encore le montant. Mais sur l’essentiel, nombreux s’interrogent, non sans crainte, sur les conditions d’exposition et de préservation de ces œuvres et sur la teneur culturelle et le degré d’intéressement du public qui les visiterait. Une minorité ne voit pas d’inconvénient à ce que la transaction soit réalisée et que les intentions soient avouées. Elle y voit l’occasion de renflouer les caisses du département des acquisitions des musées qui souffriraient de grands besoins financiers. C’est dire, sans en avoir à rougir, que l’art doit être lancé à la quête de ses moyens de financement. Cela se tient aussi. Sans vouloir tordre le coup aux deux cas dans le dessein de les rapprocher, les choses se passant ainsi chez nous, et ailleurs on se trouve, à bien voir, devant ce questionnement : la politique (et ses besoins d’image de marque et de prestige) et l’argent ne cherchent-ils pas dans la culture qu’ils sont supposés développer (pour l’esprit, le plaisir et l’honneur de vivre de tous) un tremplin à leurs ambitions. Ce cigare que les gouvernants s’offrent pour faire de la fumée, feindre un plaisir, c’est pour, en réalité, s’aménager des intermèdes, des détours, des silences...
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