Algérie

Une amourette en octobre 1988



Une amourette en octobre 1988
Au départ l'idée de La main de Leïla était aussi saugrenue que novatrice, évoquer la période d'octobre 1988, avant et pendant, sous un mode parodique, à la façon du théâtre des années 80 en Algérie, voire, et c'est parfois lié, la comédie cinématographique italienne des années 60.Cela donne une farce truculente qui ne s'embarrasse pas de lourdeurs, tout en brossant un tableau social d'une Algérie bouillonnante, marmite explosive contenue par un carcan politique rigide. Les deux auteurs de la pièce, l'Algérien Kamel Isker et l'Iranienne Aïda Asghazadeh, ont créé un garage imaginaire dans un village inventé, Sidi Farès. Samir (Kamel Isker) l'a transformé en salle de projection cinématographique clandestine, dénommée «Haram cinéma». Il a dégoté un stock de films non censurés.Les femmes sont interdites d'accès jusqu'au jour où Leïla (Aïda Asghazadeh) y pénètre déguisée et entre en même temps dans la vie de Samir, alors que la colère de la jeunesse gronde? Pour le lien avec 1988, Leïla est la fille d'un colonel qui ressemble à s'y méprendre à un colonel d'opérette (excellent Aziz Kabouche). «Avec Aïda, on cherchait à donner un texte qui puisse traiter d'une histoire d'amour interdite. Je n'avais pas envie de parler de l'après-88, mais dire une histoire d'amour imaginaire dans l'Algérie que je connais, dans l'humour, avec le côté humain de ce pays. J'en avais marre des spectacles négatifs sur l'Algérie. Surtout je voulais rendre hommage à la jeunesse algérienne qui a été la première à se soulever. Au printemps arabe qui a eu lieu en 2011, on a eu tendance à chercher à comprendre pourquoi l'Algérie n'en a pas fait partie. C'est parce l'Algérie l'avait fait en premier.En tout cas les jeunes de 1988 l'ont tentée. A l'image d'une jeunesse algérienne qui cherchait à s'émanciper, on traite d'une histoire d'amour qui libère», explique Kamel Isker. Le plus drôle est la façon dont la pièce s'est emparée des sujets tabous, comme les baisers cinématographiques coupés avant diffusion, surtout à la télévision. Les coupeurs de bobines transformaient les élans en retenues in extrémis.Peut-on imaginer que ces dizaines de moments de tendresse suspendus au bon vouloir du censeur, aient été conservés quelque part, mis bout à bout sur un bande unique pour une projection d'amour en grand ! Cela rappelle les temps forts de Fellag, ce que nous confirme Kamel Isker : «Cette époque, je l'ai connue à travers les spectacles de Fellag qui l'aborde avec talent. On s'est mis à romancer un fan de cinéma qui a les films complets avec toutes les scènes, y compris les licencieuses et qui a créé un haram cinéma.C'est un orphelin amoureux du cinéma. On parle aussi des autres sujets sensibles, comme les pénuries ou les coupures d'eau, mais le centre de la pièce est là, dans ce cinéma très particulier.» Pas sûr que les exigences morales aient été dépassées par les bientôt trois décennies qui se sont écoulées depuis octobre 88. Les années noires, puis les robinets de l'Etat providence qui se sont ouverts dans les années 2000 et enfin les progrès technologiques fulgurants en matière de communication mondiale ont changé pas mal de choses mais pas la rigueur morale ni la manière de la contourner pour s'en délivrer.Où sont les censeurs qui aujourd'hui pourraient manier le ciseau sur l'immensité de la Toile internet, ou vérifier ce qui transite par les antennes paraboliques' La main de Leïla, avec le punch qu'elle donne et le coup de fouet aux imaginations, fige une Algérie qui n'existe plus vraiment mais qui perpétue certains blocages pesants. Les personnages, malgré les contingences politiques et sociales qui demeurent latentes, hier comme aujourd'hui, imposent leur force et s'en jouent : «Samir est un rêveur qui tient à distance la dureté», juge Kamel Isker. «On n'a pas voulu prendre partie, juger. L'humour, on le vit constamment en Algérie, même dans le pire. Aïda est venue avec moi en Algérie pour comprendre l'autodérision de ce peuple qui rigole de ses malheurs. On avait besoin de créer une ambiance cinéma, genre Casablanca (Bogart et Hepburn), pour se replacer dans cette histoire, rêver et dire des choses sérieuses».En fait, conclut-il, la «seule chose importante, c'est histoire d'amour, la romance». Encore faut-il qu'elle puisse s'accomplir, mais là on sort des tréteaux du théâtre.



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