Algérie

Système de rémunération dans les entreprises algériennes: Les salaires « hors marché » des patrons



Quels salaires touchent les cadres dirigeants algériens ? Dans l’univers opaque et feutré des entreprises, il n’y a souvent aucune corrélation entre le "mérite" du patron et sa fiche de paie. Zoom sur le système de rémunération des chefs d’entreprises publiques. Combien vaut un patron ?

C’est certainement une question qui fâche tant l’omerta entoure les fiches des émoluments des cadres dirigeants algériens. M. Ahmed Koudri, économiste, chercheur du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), a mené une enquête sur " la rémunération des cadres dirigeants dans les entreprises publiques ". Il en ressort que les niveaux de rémunérations des patrons algériens n’obéissent à aucune logique. Les critères déterminants ne sont pas biens définis et la logique marchande ne s’impose pas encore totalement dans la détermination de la rémunération des cadres dirigeants. Cette anarchie tire ses origines du fait que dans les entreprises publiques, la logique d’accès au poste, tout comme celle de la démission, résultent de la combinaison de plusieurs considérations internes et surtout externes (cooptation, clans…). Dans la mesure où la rémunération du PDG des entreprises publiques est déterminée à l’issue d’une délibération entre les membres du Conseil d’administration, nous dit M. Koudri, le salaire dépend beaucoup plus de la " stature " du patron que de son " statut ". Le premier responsable de l’entreprise pèse de tout son poids sur les autres membres du conseil. " La question de l’autonomie du conseil d’administration se pose. Les membres n’osent pas dire non à leur patron ", nous explique M. Koudri. Face au silence des membres du conseil d’administration, c’est donc le patron qui, fort de sa position, s’attribue son propre salaire. Les chefs d’entreprises sont très secrets dès qu’il s’agit de leur fiche de paie. Sur l’échantillon constitué de 112 entreprises interrogées par le Cread, le taux de réponses acceptable est de seulement 28%. Selon l’enquête réalisée récemment par M. Koudri, les rémunérations des dirigeants varient d’une entreprise à une autre. Alors que la majorité des dirigeants enquêtés déclarent un niveau de rémunération mensuelle inférieur à 100.000 DA, 22% des dirigeants se situent dans la tranche comprise entre 100.000 et 150.000, les trois-quarts des dirigeantes interrogés perçoivent un revenu mensuel inférieur à 150.000 Da. Et seule une minorité de 3% reconnaît que la rémunération mensuelle dépasse 200.000 dinars. Le maître de recherche, M. Koudri, précise néanmoins qu’il faut prendre ces données avec précaution. Les grands groupes à l’exemple de la Sonatrach, Sonelgaz et Air Algérie, n’ont, eux, pas souhaité répondre au questionnaire du Cread. Pour mieux comprendre le système de paiement des patrons des entreprises publiques, il faut étudier la structure de leur rémunération. Celle-ci se compose de deux éléments (salaire de qualification et salaire de performance) qui fixent les termes de l’équité salariale. " Le salaire est constitué d’une partie fixe qui ne peut excéder 10 fois le Salaire national minimum garanti (Snmg) et d’une partie variable, censée être liée aux performances de l’entreprise sans oublier les avantages en nature (location de logement, voiture de service et de fonction, billets d’avions, femme de ménage…) ", explique M. Koudri. Tout se joue sur la partie variable et sur les avantages en nature. Dans le secteur public, les gestionnaires sont liés par des contrats de performance. Les objectifs sont définis de telle façon que les responsables doublent leur salaire nominal dans la plupart des cas. Autrement dit, la partie variable est devenue comme un acquis, une partie fixe. Mais ceci n’est pas inhérent aux entreprises algériennes. Même dans les entreprises internationales, la partie du salaire variable est difficile à établir. " S’il y a performance, la partie variable est gonflée. Mais l’inverse n’est pas possible. En cas de baisse de croissance, les patrons ne baissent pas le niveau de leur salaire. Ce problème existe dans tous les pays du monde ", assure M. Koudri, précisant qu’il n’existe pas de système parfait de rémunération. Fossé entre le salaire de l’employé et celui de l’employeur Les facteurs déterminants du salaire variable ont trait à l’individu (ancienneté dans l’entreprise, ancienneté dans le poste, capacités intrinsèques, comportement), à l’environnement dans lequel évolue l’entreprise et aux résultats obtenus. Mais dans bien des cas, il n’y a aucune corrélation entre les performances de l’entreprise et le salaire du patron. " La question de taille n’est souvent pas liée à la rémunération du dirigeant. Même si l’entreprise croule sous un déficit, le dirigeant ne va pas se gêner pour s’octroyer un salaire faramineux. Le cas inverse existe. Il y a des dirigeants d’entreprises dynamiques dont les résultats ne sont pas en adéquation avec leur rémunération. En fait, il n’y a aucune logique ", analyse M. Koudri. Généralement, l’écart entre le salaire du principal dirigeant et celui du subordonné immédiat se situe autour de 30%, mais il peut aller jusqu’à 50%. Le salaire de base reste le même, toute la différence demeure dans la partie variable. L’écart de salaire nominal est généralement faible, ce sont surtout les primes, indemnités et autres avantages en nature qui expliquent ce différentiel. D’après les données recueillies lors de l’enquête, le salaire nominal représenterait 70% de la rémunération globale, 20%de celle-ci est constitué de primes variables et 10% d’avantages en nature. Ces chiffres semblent, glisse M. Koudri, loin de correspondre à la réalité. " D’une part, les avantages en nature sont le plus souvent minorés, ce sont ces avantages en nature qui expliquent l’écart de rémunération entre le premier responsable de l’entreprise et ses adjoints directs. Or justement, cet écart est estimé à plus de 30% ", souligne-t-il. Pour les dirigeants, l’écart entre leur rémunération et celle de leurs collaborateurs directs est tout à fait " légitime ". L’ampleur de ce différentiel oscille d’une entreprise à une autre. : 60% des dirigeants estiment cet écart inférieur à 30% mais 28% situent ce différentiel entre 30 et 50% de leur niveau de rémunération. Pour 12% d’entre eux, cet écart serait supérieur à 50%. Il est à signaler cependant, a-t-il fait remarquer, que le salaire du patron américain peut atteindre les 100 fois le salaire de son employé.

Les patrons mal payés ?
La majorité (78%) des dirigeants estime peu compétitif leur niveau de rémunération comparé à leurs collègues exerçant dans d’autres entreprises. La moitié des dirigeants interrogés s’estime plutôt mal payée et 46% l’être moyennement. Seule une infime minorité (3%) s’estime satisfaite de sa rémunération. Bizarrement, même si les patrons sont mécontents de leur rémunération, aucun d’entre eux ne songe à quitter l’entreprise. L’économiste du Cread lie cela au fait que la gestion des ressources humaines obéit à une logique de clan et ce, à tous les niveaux hiérarchiques avec un accent plus prononcé aux niveaux les plus élevés. Le comportement des dirigeants des entreprises publiques se ressent inévitablement de cette culture " hors marché ". " Bien qu’ils s’estiment mal payés, les dirigeants n’envisagent pas pour autant de quitter leur poste, encore faut-il qu’ils aient des sollicitations. Leur position au sein d’une entreprise ne tient pas tant à leurs performances de gestion qu’à leurs relations au sein de l’Etat ", explique-t-il. Le manque de flexibilité observé dans les rémunérations serait, lui aussi, lié à l’absence de flexibilité du marché du travail. Dans un système où les allégeances claniques ont force de loi, la logique marchande ne s’impose que de façon très partielle dans la détermination du niveau de rémunération. .En filigrane de cette situation apparaît la question de la compétence. Le système de rémunération des patrons du secteur public reste " hors marché ", évoluant en parallèle d’un secteur privé qui voit émerger un véritable " marché des compétences ". " Si on va vers une économie de marché, dit le chercheur du Cread, il y aura certainement un marché des dirigeants. Mais les entreprises publiques resteront toujours à l’écart ". En somme, et comme nous le dit M. koudri, ce qu’a montré l’étude du Cread est intéressant, mais ce qu’elle cache l’est encore plus.



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