Non loin de Belém et de la COP30, dans le bassin industriel de Barcarena, plusieurs populations locales accusent des industriels d'avoir dévasté leur environnement.
"Avant, c'était un territoire merveilleux, on était heureux." C'est là, dans le bassin de Barcarena, que vit Maria Andrea, membre de la communauté d'Acui. A deux heures de voiture de la ville de Belém, qui a accueilli la COP30 (Nouvelle fenêtre) jusqu'au vendredi 21 novembre, elle décrit la richesse passée de son environnement. Des fruits, des légumes, des palmiers "plantés par nos ancêtres", des oiseaux rares… Jusqu'à l'arrivée d'une usine d'aluminium, puis de kaolin, cette roche utile pour produire du papier, des peintures, des cosmétiques ou encore des produits pharmaceutiques.
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Ici, "l'extractivisme minier ravage les territoires et les peuples", dénonce Clara Alibert, chargée de plaidoyer au sein de l'ONG CCFD-Terre Solidaire. L'arrivée des groupes industriels sur cette terre amazonienne remonte aux années 1970: "Dans le cadre d'un accord international entre le Brésil et le Japon, et d'un projet national visant à favoriser le développement économique de la région nord du Brésil, un pôle industriel dédié à l'aluminium a été conçu", avec l'entreprise brésilienne minière Vale, explique à franceinfo le groupe norvégien Hydro, spécialisé dans les produits en aluminium, qui a racheté le site en 2011. Dans les années 1990, le Français Imerys s'est ajouté à l'équation, avant de revendre ses activités au Brésil en juillet 2024 à un fonds d'investissement qui a renommé le site Artemyn. "On est encerclés de grands projets", décrit Valdomiro Monteiro dos Santos, de la communauté de Curuperé.
- "Ces multinationales ne tiennent pas compte du peuple"
Côté Imerys, désormais Artemyn donc, on trouve d'abord les deux mines de kaolin, situées à Ipixuna do Pará. Puis deux pipelines de près de 200 km de long pour rejoindre Barcarena, une usine de traitement de la matière première, 10 bassins de rétention pour en stocker les résidus et un port d'exportation. Le groupe Hydro, quant à lui, fait tourner une raffinerie et une fonderie d'aluminium. "Elles sont toutes deux importantes pour [cette] industrie, l'Etat du Pará et le Brésil. [La première] est la plus grande raffinerie d'alumine au monde en dehors de la Chine, et [la seconde] est la plus grande usine d'aluminium d'Amérique du Sud", se félicite Hydro. Elle stocke aussi les résidus de bauxite, une roche sédimentaire d'où est extrait le métal recherché, dans deux immenses bassins. "Le jour où ces multinationales ont commencé à s'installer, ça a été un tir mortel pour notre communauté", dépeint Conceição Furtado.
Selon les habitants, réunis samedi 8 novembre à Curuperé autour d'un repas en pleine forêt, leurs communautés ont été "tirées de leurs territoires". "Ces multinationales ne tiennent pas compte du peuple, il n'y a que leurs profits qui comptent", déplore Carlos Espindula, leader d’une communauté indigène et quilombola – des descendants d'Africains qui ont fui l'esclavage – comptant 210 familles.
. Les communautés de Barcarena sont réunies à Curuperé (Brésil), le 8 novembre 2025. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO) (Voir photo sur site ci-dessous)
Une partie des membres de cette communauté ont d'ailleurs été déplacés. Une étude menée par Marcel Hazeu, professeur en sciences environnementales à l'université fédérale du Pará, et consultée par franceinfo, cite l'"expulsion des familles et l'expropriation de leurs terres". Des années 1980 aux années 2020, 75 familles ont quitté Barcarena et les municipalités alentour. A Curuperé, chacun témoigne avec douleur de son expérience ou se souvient d'un proche ayant quitté ses terres.
"[Imerys] a provoqué des déplacements forcés, des invasions de terres et des expropriations, sans indemnisation appropriée (…) portant atteinte aux bases de la survie, de la santé, générant la peur et le traumatisme." Etude de Marcel Hazeu, professeur en sciences environnementales consultée par franceinfo
Interrogée par franceinfo, l'entreprise n'a pas donné d'explication sur ce sujet. Les habitants, eux, réclament que les multinationales respectent la convention 169 de l'Organisation internationale du travail (Nouvelle fenêtre), qui impose d'obtenir le consentement libre et éclairé de tout peuple indigène en cas de déplacement et de réinstallation. Selon Hydro, "en 1977, les autorités brésiliennes ont entamé une procédure d'expropriation légale afin de permettre la mise en œuvre du projet de pôle industriel", puis "en 1982, une partie des terrains expropriés a été vendue pour la construction des installations".
- "On buvait l’eau de notre ruisseau"
Ceux qui sont restés sont témoins de bouleversements dans leur environnement. "Nous ne vivons plus comme il y a quarante ans", regrette Carlos Espindula. Vu du ciel, le paysage vert laisse place à d'immenses taches, tantôt rouges, tantôt blanches, et à de grandes infrastructures. Sur la route défile un ballet de poids lourds. "Avant, elle allait vers nos communautés, maintenant, on peut difficilement passer", décrit Carlos Espindula. Sur le bas-côté, des troncs d'arbres morts reposent et obstruent une rivière presque asséchée. "Pour faire passer les pipelines, ils ont déforesté notre territoire, abattu des noyers du Brésil', raconte Jeovan Almeida. "Les Curuperé (...) et les autres communautés qui dépendent des rivières ont perdu une partie des territoires où ils plantaient, chassaient et récoltaient", complète l'étude de l'université du Pará.
Tous citent aussi l'altération de la qualité de leurs cours d'eau par les produits utilisés et extraits par les multinationales. "On buvait l'eau de notre ruisseau, mais elle est trop polluée maintenant", déplore Joel Jorge Dos Santos Souza, habitant du peuple Martigura. La légende locale dit qu'un serpent a creusé ce ruisseau sinueux. Elle ne dit pas, en revanche, si la pollution en a changé la couleur. Résultat, "on achète et on fait venir de l'eau par camion-citerne". Hydro affirme, de son côté, que ses activités "autorisées" sont "surveillées et contrôlées par les autorités". "Aucun effluent de traitement non traité n'est rejeté dans l'environnement", assure l'entreprise, pour qui "il n'existe aucune preuve de dégradation de la qualité de l'eau liée [à ses] activités".
Dans son étude consacrée aux activités d'Imerys, Marcel Hazeu cite plus d'une douzaine d'incidents de pollution, depuis 2003: des "fuites importantes de matériaux provenant des bassins de résidus, entraînant la contamination des ruisseaux". Des incidents que la société française, contactée par franceinfo, assure avoir "immédiatement gérés et traités par la mise en place de plans d'action proportionnés et en coordination avec les autorités locales compétentes. Le cas échéant, le groupe a par ailleurs apporté son soutien aux familles pour atténuer des impacts temporaires. Les installations concernées ont été reconstruites et renforcées avec les meilleures technologies disponibles." En 2021, l'explosion d'un dépôt de produits chimiques a également poussé des habitants à se faire soigner dans les centres de santé pour des symptômes d'intoxication, rapporte l'étude. "Le départ d'incendie a rapidement été maîtrisé et n'a fait aucun blessé", répond l'entreprise.
- "On a peur d’une rupture d’un bassin"
Les populations, elles, portent un regard plus critique sur les mesures de restauration des rivières promises par Imerys ainsi que sur le plan d'action d'urgence en cas d'accident. "On a peur d'une rupture d'un bassin, rapporte Maria Andrea, qui vit juste à côté. Ils ont mis des panneaux d'information, en cas d'accident, pour savoir où on doit aller." Une "voie d'évacuation" signalée entre habitations et bassins. Mais "les populations à faible revenu des communautés d'Acuí et de Curuperé sont confrontées à des difficultés importantes. Telles que l'absence de moyens de transport", souligne l'étude de Marcel Hazeu.
. Un panneau installé pour indiquer la voie d'évacuation en cas d'accident, photographié le 8 novembre 2025 à Barcarena (Brésil). (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO) (Voir photo sur site ci-dessous)
Reste que les habitants de Barcarena, réunis sous la chaleur, n'attendent plus rien des multinationales. "Nous sommes un peuple résistant. Désespéré, mais qui sait se battre", répète Carlos Espindula devant les membres de sa communauté. Comme pour illustrer son propos, Maria Andrea lit une poésie: "Etre capable, comme la rivière, de trouver le chemin de l'espoir. Etre prêt à accepter les vagues."
Quelques jours plus tard, jeudi 13 novembre, le chemin de ces communautés du bassin de Barcarena les a menées jusqu'à Belém, non loin de là, à l'occasion de la COP30. Elles y ont organisé un tribunal symbolique afin de juger les multinationales.
. Les communautés de Barcarena organisent un procès symbolique, au sommet des peuples qui se tient en marge de la COP30, dans les locaux de l'université fédérale du Pará, à Belém (Brésil), le 13 novembre 2015. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO) (Voir photo sur site ci-dessous)
Après les témoignages des "plaignants", un jury fictif a acté leur condamnation, dans une salle pleine à craquer. L'une des participantes a alors lancé, en pleurs: "Pour eux, nous ne sommes rien. Ensemble, nous sommes tout."
Photo: Joel Jorge Dos Santos Souza regarde le ruisseau qui coule sur le territoire de sa communauté, à Curuperé (Brésil), le 8 novembre 2025. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)
Pour accéder à l'intégralité de l'article avec les illustrations et article en annexe: https://www.franceinfo.fr/environnement/crise-climatique/cop-climat/cop30/reportage-on-est-encercles-de-grands-projets-au-bresil-des-communautes-autochtones-denoncent-la-pollution-des-multinationales_7626557.html
Camille Adaoust - envoyée spéciale au Brésil/France Télévisions
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Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Camille Adaoust - envoyée spéciale au Brésil/France Télévisions - Publié le 22/11/2025
Source : https://www.franceinfo.fr/