Algérie

Littérature à l’Ouest


La conquête du roman par le féminin Depuis la naissance de nombreuses maisons d’édition, un nombre important de femmes de l’ouest du pays publient. Excepté une ou deux, elles sont venues tardivement à l’écriture. Médecins, enseignantes, retraitées ou femmes au foyer, elles ont relevé le défi de s’exprimer par l’écrit. L’écriture étant pour elles un canal qui porterait plus haut et plus loin leurs paroles ou, quand elle est motivée par l’intention esthétique, un lieu où s’extraire d’une banalité d’être. Sans porter de jugement sur la qualité de leurs œuvres, et tout en se gardant de leur attribuer le statut d’écrivaines (car il faut attendre pour voir si elles feront de l’acte d’écrire une activité pour le moins soutenue), on peut constater qu’elles restent toutes confinées dans un classicisme, tant sur le plan thématique que sur le plan de l’écriture. Toutes, comme si elles se sont donné le mot, par méconnaissance ou par un rejet (dont les causes seraient diverses) du renouveau qui a marqué -pour rester chez nous- la littérature algérienne depuis Nedjma. Très souvent, c’est une écriture ornementale, qui fait résonance «convenable» aux choses de la famille, de la religion et de la nation; elle est nostalgie, hommage aux proches ou aux personnages illustres, expression d’une dénonciation unanime, amour désincarné, révolte mesurée. Ces femmes veulent se réaliser par l’écrit, et c’est tant mieux! Mais ne faudrait-il pas qu’elles s’acceptent dans leur particularité, leur moi propre, qu’elles intègrent leurs conflits et les rendent, libèrent leur imaginaire, en un mot qu’elles s’inscrivent dans leur individualité vivante, voire dans leur rupture sociale. Car si une œuvre acquiert toute sa littérarité et sa poésie par un mouvement de voilement et de dévoilement profond, elle est en revanche langue morte dès lors qu’elle participe seulement de l’effacement, du puritanisme, de la neutralité et rejoint l’unanimisme. Mais ce n’est là qu’une question qu’on se pose, car les voies de l’innovation restent insoupçonnées et l’analyse littéraire est loin d’être une science.Parmi ces femmes, Dalila Hassain-Daouadji qui vient de publier un roman intitulé ‘Naufrage d’une destinée’ chez Dar El-Gharb, où elle a publié déjà deux recueils de poésie. La maîtrise de l’expression, du style et de l’organisation du récit dont elle fait montre dans ce roman, marque une avancée qualitative dans ce milieu d’auteurs, ce qui à lui seul justifie qu’on lui accorde ici une attention particulière. En résumé, ‘Naufrage d’une destinée’ dépeint sur presque un siècle -le siècle dernier- la grandeur et la décadence ou le bonheur simple et le douloureux naufrage d’une famille, sur trois générations. Le patriarche Si Abdelkader représente la sérénité; l’époque de son autorité est celle apaisée où tout donne l’air d’être à sa place. Les générations qui vont suivre connaîtront au fil du temps, jusqu’à la décennie du terrorisme en Algérie, une succession de tensions et de drames; et certains de leurs membres échoueront dans la mort violente par les mains des terroristes ou dans l’exil. Par ailleurs, par la bouche de ses personnages, le livre nous enseigne des choses sur l’histoire, sur les lieux et sur des figures de l’art ou de la mystique arabo-musulmane. Ainsi Oran, Tlemcen, Cordoue et Paris sont revisitées et Ziryab et Ibn El Arabi sont re-convoqués avec nostalgie et affection. Disons le tout de suite c’est un livre féminin sans être un livre de l’intériorité ni de l’exhibition. Il y règne plus qu’une pudeur. En chacun de ses réseaux, le récit est traversé par la générosité d’une «ombre gardienne»: le narrateur témoigne des autres, couve la mémoire et fait aimer le foyer, la matrice culturelle avec ses lieux et ses hommes; en outre, aucun malheur ne règne en exclusif sur les personnages qui en sont frappés, il est toujours contrebalancé par le soutien ou la consolation d’un autre personnage. Ni agressivité ni introspection délirante, Hassain-Daouadji emprunte un discours apaisé, voire mesuré, comme un mystique qui voit en lui à la lumière d’une croyance et non d’un désir, qui aspire à nous éveiller par les contes (dont il faut saisir la maa’na), ou par l’allusion et les multiples références, un mystique qui nous tient par sa générosité et la douceur de son propos et attend qu’une autre force agisse sur nous et complète son action. Mais cet apaisement du discours contient en lui ce qui pourrait être désigné par un handicap à la fiction: tout en tendresse, l’auteur est engagé dès le début hors de toute audace singulière, se privant ainsi de la pulsion qui le porterait vers les zones d’ombre et d’ambiguïté ou à faire jaillir les tensions. Du coup, les disfonctionnements sociaux et affectifs ne sont pas posés, narrativement, dans leur expression violente; la religion, les rapports familiaux, le passé sont seulement replacés, par le truchement de déclarations passionnées, dans une vision de tolérance et de paix. La langue et la composition du récit subiront les effets de ce discours en sorte qu’on verrait dans leur correction le résultat d’une épuration ou, à l’instar de ce que s’inflige le mystique, une mutilation ou un domptage de soi. La phrase dit l’essentiel sans bousculer la syntaxe, sans jamais de débordement ni de fantaisie, voire de jeu poétique insolite. Le récit de son côté est balisé: un découpage précis en parties (chacune centrée sur un personnage ou un fait marquant de la vie de la famille en question); aucune faille pour l’errance, et l’on n’est jamais face à un nouveau possible. En somme Dalila Hassain-Daouadji a choisi l’amour et la délicatesse du dire. C’est peut-être parce qu’elle rend là un hommage à peine voilé aux membres de sa famille et à son entourage que la retenue a prévalu chez elle -bien qu’elle s’en défende. En tout cas, quelle que soit la saisie qu’on fera de cette œuvre, la maîtrise de la langue, du style et de la construction narrative qu’elle manifeste atteste d’un talent qui connaîtra sans doute sa pleine mesure dès lors qu’il empruntera des voies plus libres de la passion et de l’imaginaire.   Mohamed Sehaba
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