
En août 2025, l’Algérie a annoncé la levée de sa réserve sur l’article 15.4 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), une décision présentée comme un progrès vers l’égalité des genres. Cette annonce a suscité un vif engouement sur les réseaux sociaux, avec des hashtags comme #FemmeAlgerienne et #ReformeCodeFamille, mais aussi des doutes sur ses intentions réelles. Dans un pays où les réformes sociétales sont souvent perçues comme des gestes symboliques, ce débat est-il une avancée sincère pour les droits des femmes ou un écran de fumée pour détourner l’attention d’autres enjeux ? Cet article décortique la CEDAW, détaille l’article 15.4, analyse les implications de cette levée et évalue la nature du débat.
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1979 et entrée en vigueur le 3 septembre 1981, est un traité international clé pour les droits des femmes. Ratifiée par 189 États, elle vise à éliminer toute formy de discrimination basée sur le sexe et à promouvoir l’égalité dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil.
La CEDAW définit la discrimination comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Article 1). Ses 30 articles, répartis en six parties, incluent :
Partie I (Articles 1-6) : Définition de la discrimination et obligations des États pour adopter des lois, politiques et mesures éducatives pour l’éliminer, y compris des mesures temporaires comme des quotas.
Partie II (Articles 7-9) : Droits politiques (vote, participation publique) et égalité en matière de nationalité.
Partie III (Articles 10-14) : Éducation, emploi, santé, avantages économiques et droits des femmes rurales.
Partie IV (Articles 15-16) : Égalité devant la loi, droits civils, mariage et famille.
Partie V (Articles 17-22) : Création du Comité CEDAW, composé de 23 experts, chargé de superviser la mise en œuvre via des rapports périodiques des États et d’examiner des plaintes via le Protocole facultatif (non ratifié par l’Algérie).
Partie VI (Articles 23-30) : Règles administratives, réserves et amendements.
Les États doivent soumettre un rapport initial un an après la ratification, puis tous les quatre ans, pour rendre compte des progrès et des obstacles. L’Algérie a ratifié la CEDAW en 1996, mais avec des réserves sur plusieurs articles, dont le 15.4, en raison de leur incompatibilité avec le Code de la famille et certaines interprétations culturelles ou religieuses.
L’article 15 garantit l’égalité des femmes devant la loi. L’article 15.4 stipule spécifiquement que les États doivent accorder aux femmes « les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne la législation relative au droit des personnes de circuler librement et de choisir leur résidence et leur domicile ». Cela signifie que les femmes doivent avoir une autonomie totale pour décider de leur lieu de résidence ou de leurs déplacements, sans restrictions liées à leur sexe ou statut matrimonial.
En Algérie, la réserve sur cet article était justifiée par des dispositions du Code de la famille (1984, modifié en 2005), notamment l’article 39, qui exige que l’épouse obtienne l’autorisation de son mari pour certains déplacements ou choix de domicile. Cette règle, ancrée dans une vision patriarcale où l’homme est considéré comme le chef de famille, a été dénoncée comme une atteinte à la liberté individuelle des femmes.
La levée de la réserve sur l’article 15.4 engage l’Algérie à garantir aux femmes une égalité totale avec les hommes en matière de liberté de circulation et de choix de domicile. Voici les implications concrètes :
Réforme du Code de la Famille : Pour se conformer à l’article 15.4, l’Algérie devra modifier des dispositions du Code de la famille, comme l’article 39, qui limite l’autonomie des femmes mariées. Cela pourrait supprimer l’obligation d’obtenir le consentement du mari pour voyager ou choisir un lieu de résidence, un changement significatif dans une société où les normes patriarcales restent prégnantes.
Autonomie Juridique et Pratique : Cette levée renforce le droit des femmes à prendre des décisions indépendantes, par exemple pour travailler ou étudier loin de leur domicile conjugal sans autorisation préalable. Cela pourrait faciliter l’accès des femmes à l’emploi et à l’éducation, en particulier dans les zones urbaines où les opportunités sont plus nombreuses.
Impact Sociétal : En théorie, cette mesure pourrait encourager un changement culturel, en défiant l’idée que les femmes doivent être subordonnées à leur mari. Cependant, son application effective dépendra de campagnes de sensibilisation et d’une réforme éducative pour promouvoir l’égalité des genres dès le plus jeune âge.
Engagements Internationaux : En levant cette réserve, l’Algérie répond aux recommandations du Comité CEDAW, qui, dans ses rapports précédents, a critiqué les restrictions imposées aux femmes par le Code de la famille. Cela pourrait améliorer l’image internationale du pays en matière de droits humains, mais seulement si des actions concrètes suivent.
Le débat autour de la levée de la réserve sur l’article 15.4 est à la croisée des chemins : reflète-t-il une réelle volonté de promouvoir l’égalité des genres, ou sert-il de diversion pour masquer d’autres enjeux ?
Élan Féministe : La levée de la réserve s’inscrit dans un mouvement plus large de prise de parole des femmes algériennes, amplifié par des hashtags comme #FemmeAlgerienne et #NonAuHarcèlementDeRue. Les militantes, comme celles des associations Wassila-Avife et Féminicides Algérie, saluent cette décision comme un pas vers la réforme du Code de la famille, qui reste un obstacle majeur à l’égalité. Les 38 cas de féminicides recensés en 2024 et les témoignages de harcèlement de rue soulignent l’urgence de changements lé roupaux et culturels.
Pression Internationale : L’Algérie, sous le regard du Comité CEDAW, fait face à une pression croissante pour aligner sa législation sur ses engagements internationaux. La levée de la réserve répond à des recommandations répétées, suggérant une volonté, même partielle, de s’aligner sur les normes mondiales.
Impact Potentiel : Si des réformes concrètes suivent, comme la modification de l’article 39 du Code de la famille, cette mesure pourrait avoir un impact tangible sur la vie des femmes, en renforçant leur autonomie et en réduisant les inégalités dans le cadre familial.
Manque de Mesures Concrètes : Malgré l’annonce, aucun amendement clair du Code de la famille n’a été présenté à ce jour (août 2025). Les réformes sociétales en Algérie ont souvent été annoncées sans suivi effectif, comme la loi de 2015 sur le harcèlement de rue, rarement appliquée en raison de l’absence de mécanismes d’exécution.
Contexte de Contrôle Social : Dans un pays où les libertés publiques sont limitées, les annonces de réformes des droits des femmes sont parfois perçues comme des gestes cosmétiques pour apaiser les critiques internes et internationales. L’absence de structures d’accueil pour les femmes victimes de violences (seulement cinq refuges pour femmes célibataires, aucun pour celles avec enfants) illustre un manque d’investissement concret dans l’égalité des genres.
Résistances Culturelles : La levée de la réserve risque de se heurter à des résistances sociétales profondes, notamment dans les milieux conservateurs où l’autonomie des femmes est vue comme une menace aux valeurs traditionnelles. Sans une campagne d’éducation massive, cette mesure pourrait rester symbolique.
Timing Opportuniste : L’annonce intervient après l’élection présidentielle anticipée de septembre 2024, marquée par des controverses sur la transparence du scrutin. Certains observateurs estiment que cette mesure vise à détourner l’attention des critiques sur la gouvernance et à projeter une image progressiste à l’international.
La levée de la réserve sur l’article 15.4 de la CEDAW est une décision symboliquement importante, mais son impact réel dépendra de sa mise en œuvre. Elle reflète un débat authentique porté par les militantes féministes et les aspirations à l’égalité des genres, mais les obstacles structurels – résistance culturelle, manque d’infrastructures et absence de réformes législatives concrètes – suggèrent qu’elle pourrait aussi servir d’écran de fumée pour redorer l’image des autorités sans s’attaquer aux racines des inégalités. Pour que ce pas devienne une avancée durable, il faudra des amendements clairs au Code de la famille, des mécanismes d’application rigoureux et un effort national pour transformer les mentalités. En l’absence de ces mesures, le débat risque de rester une promesse non tenue, alimentant le scepticisme des Algériennes face aux réformes annoncées.
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Ecrit par : Rédaction