Algérie

Les méfaits nucléaires de la France coloniale



Au moment où les bruits de bottes s’intensifient pour sommer l’Iran d’interrompre ses expériences nucléaires à objectif civil, un colloque international sur les essais nucléaires dans le monde, en s’appuyant sur l’exemple du Sahara algérien, est programmé les 13 et 14 février par le ministère des moudjahidine.

Il s’agit de rouvrir les archives de l’histoire coloniale qui révèlent les crimes contre l’humanité et contre la nature commis sous couvert de « l’œuvre civilisatrice » des colons. Au fur et à mesure que les secrets défense sont levés et les délais de prescription aboutis, des témoins, des ONG, des rapports et des livres brisent la loi du silence et révèlent des vérités sur les méfaits de la colonisation. On l’a déjà vécu avec les révélations et l’exorcisme de soldats français sur la torture pratiquée systématiquement durant la guerre d’Algérie. Mais un des plus terribles méfaits qui n’a pas encore livré tous ses secrets et ses conséquences concerne les essais nucléaires dans le Sahara algérien et en Polynésie. Sous la pression d’ONG et d’élus, le Sénat français a finalisé le 6 février 2002 un rapport sur « Les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 » (www.senat.fr). Ce rapport a, sans aucune ambiguïté, mis en avant le « choix colonial » français et anglais des sites d’essais par rapport aux autres puissances nucléaires : « Les Etats-Unis et l’URSS disposaient toutes deux de territoires immenses et variés qui leur laissaient une très large palette de choix… Les Britanniques, exerçant leur souveraineté sur de nombreux territoires variés et propices pour certains à des essais nucléaires, se sont beaucoup déplacés et ont pratiqué ce qu’on pourrait appeler ‘‘une grande mobilité nucléaire’’... Le cas de la France… est plus simple : amenée à quitter le site saharien et s’appuyant sur l’expérience des trois autres, elle a tout naturellement choisi un site insulaire isolé. » (Les atolls Mururoa et Fangataufa en Polynésie). Il est utile de rappeler que le total des essais nucléaires déclarés dans le monde a totalisé, entre 1945 et 1998, 2055 explosions dont 520 aériennes, répartis comme suit :
Etats-Unis : 1030, dont 215 aériens
URSS : 715, dont 216 aériens
France : 210, dont 45 aériens
Grande-Bretagne : 45, dont 21 aériens
Chine : 43, dont 23 aériens
Inde : 6
Pakistan : 6 Les expérimentations françaises et anglaises ont été réalisées à des milliers de kilomètres des métropoles, prouvant ainsi que les responsables en connaissaient le degré de dangerosité. C’est donc volontairement que des populations de pays colonisés ont été exposées à des radiations et d’immenses territoires sont désormais contaminés durablement.

Une stratégie nucléaire coloniale

Du fait que son propre territoire n’était pas en danger, la France est la puissance nucléaire qui a le plus rechigné à ratifier les traités internationaux interdisant les essais nucléaires. Voici en quelques dates le rappel de l’intransigeance française :
13 février 1960 : premier essai nucléaire aérien au Sahara à Reggane.
7 novembre 1961 : premier essai souterrain au Sahara à In Ecker.
5 août 1963 : signature du Partial Test Ban Treaty (PTBT) dit aussi Limited Test Ban Treaty (LTBT) ou traité de Moscou, interdisant les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère, dans l’espace extra-atmosphérique et sous l’eau. Seuls les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande-Bretagne ont adhéré à ce traité. La France ne s’y est pas associée.
16 février 1966 : dernier essai nucléaire à In Ecker. Les sites d’expérimentation seront évacués en juin 1966 et remis aux autorités algériennes en juin 1967, conformément aux accords d’Evian signés le 18 mars 1962.
6 août 1985 : signature du traité de Rarotonga (Iles Cook), déclarant le Pacifique Sud zone dénucléarisée. La France ne s’y est pas associée.
15 juillet 1991 : dernier essai français dans le Pacifique avant le moratoire.
8 avril 1992 : moratoire d’un an décidé par le président François Mitterrand, et renouvelé.
13 juin 1995 : le président Jacques Chirac rompt le moratoire et ordonne la reprise des essais.
27 janvier 1996 : dernier essai nucléaire à Fangataufa. Six essais au total auront été effectués durant cette dernière campagne.
Mars 1996 : la France signe les protocoles du traité de Rarotonga (création d’une zone dénucléarisée dans le Pacifique Sud).
24 septembre 1996 : signature du TICE, Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, ou CTBT en anglais (Comprehensive test Ban Treaty).
31 décembre. 1997 : le démantèlement des installations de Mururoa et Fangataufa est achevé. Après avoir effectué 17 expériences nucléaires, dont 4 atmosphériques, dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966, la France a effectué 193 essais nucléaires en Polynésie entre 1966 et 1996, dont 41 atmosphériques. La période des essais atmosphériques (1966-1974) a été particulièrement nocive, en raison des retombées radioactives qui ont été mesurées par des laboratoires néo-zélandais et australiens aux limites de la Polynésie. Suite aux expertises réalisées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le ministère français de la défense a reconnu que plusieurs expériences avaient dépassé les doses admises. En outre, plusieurs accidents ont été signalés, dont l’un des plus graves est celui du 5 juillet 1979, lors de l’explosion de la cuve Meknès sur l’atoll de Mururoa. En Polynésie, l’opposition aux essais nucléaires s’est manifestée dès l’implantation des sites sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. Le début des années 1970 a été marqué par de grandes manifestations d’opposition à Tahiti et dans les pays du Pacifique. En 1995, l’annonce, par le président Jacques Chirac, de la reprise des essais nucléaires a été marquée par un immense mouvement de protestation mondial.

Les essais nucléaires au Sahara

Le premier site d’essais français au Sahara se trouvait à côté de Reggane dans le Tanezrouf. La base avancée pour le tir était à Hamoudia. Cet ensemble, qui comprenait tous les moyens logistiques nécessaires (aérodromes, forages pour l’alimentation en eau, base-vie située à 15 km de Reggane), était dénommé Centre saharien d’expérimentations militaires (CSEM) où travaillaient 10 000 personnes civiles et militaires. Le secteur comportant une population sédentaire notable se trouvait au nord de Reggane et dans la vallée du Touat. C’est là qu’ont eu lieu les quatre premiers tirs atmosphériques du 13 février 1960 au 25 avril 1961. Outre dans tout le Sahara algérien, les retombées radioactives ont été enregistrées jusqu’à plus de 3000 km du site (Ouagadougou, Bamako, Abidjan, Dakar, Khartoum, etc.). Face à l’ampleur de ces retombées, les essais atmosphériques ont été abandonnés pour procéder à des essais souterrains en galerie. Le choix s’est porté sur la montagne de granit Taourirt Tan Afella à proximité d’In Ecker, à 150 km au nord de Tamanrasset, où a été établi le Centre d’expérimentations militaires des oasis (CEMO) composé de 2000 personnes. Selon l’estimation de l’époque, la population sédentaire vivant dans un rayon de 100 km autour d’In Ecker ne dépassait pas 2000 habitants, les nomades n’étant pas pris en compte. Le massif a un pourtour de 40 km environ et se situe entre 1500 et 2000 m d’altitude, le plateau environnant étant à 1000 m d’altitude. Les tirs avaient lieu au fond de galeries creusées horizontalement dans la montagne, et dont la longueur était d’environ 1 km. Les galeries de tir se terminaient en colimaçon, de telle manière que l’effet mécanique du tir sur la roche provoque leur fermeture. Un bouchon de béton fermait l’entrée des galeries à la sortie. Entre le 3 novembre 1961 et le 16 février 1966, il fut ainsi procédé à 13 tirs dont les caractéristiques sont indiquées ci-après : Selon la version officielle, reprise par le rapport du Sénat, 4 essais souterrains sur 13 n’ont pas été totalement contenus ou confinés : Béryl, Améthyste, Rubis et Jade.

L’accident Béryl (1er mai 1962)

Pour assurer le confinement de la radioactivité, le colimaçon était calculé pour que l’onde de choc le ferme avant l’arrivée des laves. Lors de la réalisation de cet essai, l’obturation de la galerie a été trop tardive. Une fraction de la radioactivité est sortie sous forme de laves et de scories projetées qui se sont solidifiées sur le carreau de la galerie, d’aérosols et de produits gazeux formant un nuage qui a culminé jusqu’à près de 2600 m d’altitude, à l’origine d’une radioactivité détectable jusqu’à quelques centaines de kilomètres. Le nuage radioactif formé était dirigé plein Est. Dans cette direction, la contamination atmosphérique était significative jusqu’à environ 150 km. La trajectoire du nuage est passée au-dessus du poste de commandement où étaient regroupées les personnalités (notamment Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche scientifique), les gradés et le personnel opérationnel.

L’accident Améthyste (30 mars 1963)

Lors de cette expérience, il y a eu sortie d’une faible quantité de scories de roches fondues. Un panache contenant des aérosols et des produits gazeux s’est dirigé vers l’Est Sud-Est et a touché l’oasis d’Idelès, située à 100 km où vivaient 280 habitants.

Les accidents Rubis et Jade

Lors de l’expérience Rubis, le 20 octobre 1963, une sortie de gaz rares et d’iodes s’est produite dans l’heure suivant la réalisation de l’essai, avec formation d’un panache. La contamination a été détectée jusqu’à Tamanrasset. Dans le cas de l’expérimentation Jade, le 30 mai 1965, il est observé une sortie de gaz rares et d’iode par la galerie. Parallèlement aux expérimentations nucléaires, des expériences complémentaires au sol sur la physique des aérosols de plutonium, mettant en jeu de faibles quantités de cet élément, sans dégagement d’énergie nucléaire, ont lieu sur les deux sites. Au CSEM de Reggane, 35 expériences de propagation de choc sur des pastilles de plutonium ont été réalisées de 1961 à 1963. Au CEMO d’In Ecker, 5 expériences sur la physique des aérosols de plutonium ont été réalisées entre 1964 et 1966.

Des témoignages inquiétants

En remettant les sites du CSEM et du CEMO aux autorités algériennes dans le courant de l’année 1967, conformément aux accords d’Evian, les autorités françaises prétendent qu’il a été procédé au démontage de l’ensemble des installations techniques, au nettoyage et à l’obturation des galeries. Ce qui est faux. L’évaluation de la situation radiologique actuelle de ces lieux et des expositions potentielles qu’ils pourraient induire a été engagée par l’AIEA. C’est suite à ces analyses que la montagne Tan Afella n’a été clôturée qu’à la fin de la décennie 1990 et surveillée en permanence par un barrage militaire. Auparavant, les populations de la région se promenaient librement sur le site et dans les galeries et ont récupéré toutes sortes de matériel irradié, notamment des câbles électriques s’étalant sur des kilomètres, des pièces de rechange, etc. Les touareg racontent comment ils ressentaient des « tremblements de terre » à chaque explosion souterraine où les chameaux tombaient, les montagnes tressautaient, les rochers se fissuraient. La géologie de la région en porte encore les stigmates. Les détails de l’accident Béryl sont détaillés par des témoins oculaires sur des sites Internet : - http://www.jp-petit.com/Divers/Nucleaire_souterrain/in_ecker.htm-http://resosol.org/Gazette/1985/6768p02.html) Des militaires français témoignent de ce qu’ils ont vécu dans des forums de discussion, dont voici quelques extraits : « Avril 1964 à avril 1965, j’étais présent à In Amguel, au centre d’expérimentation militaire des oasis, et les effets des ‘‘bombinettes’’ occasionnaient autre chose qu’une fricassée de frissons... » « Les militaires de haut rang ont toujours nié les dégâts biologiques sur les troupes qu’ils ont laissées s’exposer aux radiations. A Reggane au Sahara, à moins de 5 km de l’explosion, on donnait des lunettes noires aux soldats pour se protéger les yeux. Mais ils étaient en short et chemisette, exposés au flot de rayons X et gamma, sans compter les poussières balayées par la tempête qui suit l’explosion. Dans le désert, on ne se lave pas et on garde les poussières radioactives sur soi. Elles sont entrées fatalement dans les poumons et les intestins pour y provoquer une irradiation imparable. On m’a dit aussi que quelques patriotes fêlés du casque sont allés planter le drapeau au point ‘‘zéro’’ sur un sol vitrifié. » « Qu’il s’agisse du Sahara ou de Mururoa, aucune précaution n’était prise pour veiller à la sécurité des militaires. Cela tranchait avec les précautions prises par les civils, travaillant pour le compte du CEA. Lors des explosions aériennes au Sahara, on envoya un hélicoptère survoler le ‘‘point zéro’’ quelques minutes après l’explosion. On envoya aussi un char évoluer au-dessus de ce terrain vitrifié par la boule de feu. Pire encore, après l’explosion souterraine d’In Ecker, on envoya de simples soldats recueillir des échantillons dans le tunnel en forme de colimaçon. » Selon l’Association nationale des vétérans victimes d’essais nucléaires ( ANVVEN) créée en juin 2001 à Lyon, plus de 76 000 personnes en France sont directement concernées par les conséquences sanitaires de ces essais : environ 24 000 suite à ceux du Sahara et 52 000 suite à ceux effectués en Polynésie. Tout récemment, une association 13 février 1960 s’est créée à Reggane et demande à la France réparation pour les dommages causés par ses expériences au Sahara. A part les travaux de l’AIEA dont on ne sait rien, aucune étude sérieuse n’a été menée en Algérie sur toutes les implications de ces essais nucléaires. Il est temps de s’en occuper et d’informer l’opinion publique.


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