Algérie

Le roman algérien de langue arabe



Exilé dans sa propre langue? Le roman en langue arabe serait-il en perte d’audience? Dans leur langue originale, les œuvres ne jouissent pas d’une réception à la hauteur de leur niveau, autant qualitativement que quantitativement. La presse arabe leur ouvre peu d’espace de débat et de promotion. Avec un taux d’analphabétisme avoisinant les 40% -à ne prendre que cela- le lectorat est une denrée rare dans la langue d’El Moutanabbi. Et l’inexistence de véritables échanges éditoriaux entre les marchés arabes du livre entame les dernières chances, voire les derniers fantasmes, des écrivains à bénéficier d’une écoute hors frontière qui partagerait avec eux, dans le fond, quelques charmes discrets de la culture de leur langue. A l’instar des autres produits, et dans les conditions socio-politiques normales du pays de son auteur, le roman arabe dans sa langue originale manque de visibilité. L’histoire littéraire nous prouve que les plus connus à l’échelle mondiale ne l’ont pas été du seul fait de leur talent mais aussi, en bonne partie, grâce à la traduction dans une langue dominante. Qui aurait connu le Soudanais Tayeb Salah sans la traduction du Migrateur ? Certains auteurs l’ont compris, la mondialisation de la culture aidant : on peut être génial dans sa langue mais on n’existera que dans la langue qui nous donne le plus de visibilité. Du coup, chez nous, les auteurs francophones qui avaient annoncé, à un moment donné, qu’ils allaient se mettre définitivement à l’arabe rebrousseront vite chemin, d’autres sont passés carrément de l’arabe au français, allant à contre-courant des espoirs linguistiques d’un temps, alors que le reste, dans sa majorité, espère (en toute légitimité) une traduction dans une langue dominante notamment. Jusque-là, excepté les grands auteurs Tahar Ouettar, Abdelhamid Benhadouga ou, à un degré moindre, Wacini Laredj et Marzag Bagtache, traduits par Marcel Bois, les rares romanciers algériens qui ont été traduits l’ont été dans une qualité douteuse, ce qui a rendu leurs œuvres irrecevables dans la langue cible. Dans le monde arabe, les romanciers égyptiens, par exemple, profitant de l’émergence de leurs aînés, tels Naguib Mahfouz et Youssef Idriss d’abord, puis Ibrahim San’allah et Gamal Al-Ghitany ensuite, se sont engouffrés dans les vastes espaces de la traduction, notamment vers les langues essentielles, l’anglais et le français. La présence active, en Egypte, des centres culturels étrangers aidant, pas une année ne passe sans qu’il y ait un certain nombre de leurs romans traduits. Ibrahim Abdelmaguid, Edouard El Kharrat, Salwa Bakr, El Aswany - pour ne citer que ceux-là - ne sont plus étrangers au lectorat francophone. Pour une raison ou une autre, le roman algérien de langue arabe ne bénéficie pas du même intérêt que le roman de langue française, ni en traduction ni en étude ou en présence dans les anthologies ou numéros spéciaux de revues consacrées à la littérature algérienne. Des universitaires s’attèlent cependant, ça et là, à lui offrir plus de visibilité en lui consacrant des études en langue française. C’est le cas de Mohamed Daoud, chercheur au Crasc, qui verra « la nécessité de (le) faire connaître dans un champ littéraire partagé sur le plan de l’écriture et la création entre la langue française et la langue arabe. Sous le titre «Roman algérien de langue arabe - Lectures critiques», il abordera la question sous plusieurs angles. Après s’être questionné sur les raisons de l’apparition tardive de ce roman, il va en parcourir les différentes étapes, en circonscrire les thèmes essentiels et les démarches narratives par rapport à chaque étape. Il clôture son livre par des lectures critiques d’œuvres traitant surtout du thème de la violence, notamment celle ayant marqué les années 90 en Algérie. Mohamed Daoud fixera la date de naissance du roman algérien de langue arabe autour de l’année 1940, avec la parution de ‘La belle de la Mecque’ de Réda Houhou - une création qui pose encore des problèmes de classification littéraire. Jusqu’aux premières années de l’indépendance, ce genre littéraire restera «timide et d’une qualité rudimentaire». Il a fallu attendre l’année 1970, année des projets institutionnels, économiques et culturels pour qu’il se trouve stimulé. Des auteurs comme Benhadouga (avec ‘Le vent du sud’) et Tahar Ouettar (avec ‘Ez-Zilzal’) vont produire dans une mouvance réaliste les œuvres véritablement fondatrices de cette littérature. Ils seront les représentants d’une génération qui compte aussi Abdelmalek Mortad, Merzag Bagtache, Ismaël Ghoumougat... Cette génération passera vite des thèmes de la glorification de la lutte pour l’indépendance et de l’injustice coloniale à la dénonciation politique et la critique sociale de la situation post-coloniale. Elle inclura dans la composition de la fiction les mythes et la nostalgie de lieux et de moments de l’Histoire nationale. La génération qui suivra, celle des années 80, représentée par Djillali Khallas, Wacini Laredj, Ahlem Mesteghanmi, Abdelaziz Ghermoul, Sayah Habib prendra en charge à sa manière la critique sociale sur la base de l’actualité. Elle sera plus audacieuse sur les questions de la sexualité et de la religion. Elle revisitera la mémoire arabe et l’interrogera à la lumière des contradictions du présent. La troisième génération, celle des années 90, incarnée par Bechir Mefti, Hamid Abdelkader, Yasmina Salah, Saïd Mokkadem, Djillali Amrani, abordera surtout le thème de la violence politique et sociale et celui du désenchantement. Mais cette génération va se mettre en rupture avec les précédentes surtout sur le plan formel, pour exemple ‘L’archipel des mouches’ de Bachir Mefti dont Mohamed Daoud dira que «c’est un roman sur le roman, il s’écrit sur lui-même...par l’utilisation d’une structure et d’un langage éclatés.» Tout compte fait, le roman algérien de langue arabe contemporain emprunte des voies plus riches et plus diversifiées tant sur le plan du thème (ou non-thème) que sur le plan de la démarche narrative. Mais intégré comme il l’est ainsi dans la modernité, et écrit dans la langue même du destinataire qu’il viserait, ce roman trouve-t-il une réception appropriée, dans le monde de sa langue au moins? Laisserions-nous entendre par-là toute notre crainte pour la création littéraire face à des accueils majeurs qui minent son parcours: l’analphabétisme primaire, l’illettrisme montant, et une situation politique et sociale générant une atmosphère de déculturation, et de désintérêt pour la lecture en particulier. Alors par quelle voie ce roman arabe trouvera-t-il écho dans l’être?
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