Algérie

«La meilleure distraction est la réflexion»




- Le cinéma a-t-il toujours été pour vous un moyen d'expression '
Non, puisque je m'exprime par la parole, par l'écrit aussi. Le cinéma, c'est plus que de l'expression. Mais, pour préciser, je n'ai jamais fait autre chose que du cinéma.
- Gérer une cinémathèque était-il lié à  la perspective de réaliser des films '
J'ai choisi ce premier emploi parce qu'il y avait de la résistance à  l'époque, représentée par le charismatique Boudjema Kareche. Je pensais, à  tort ou à  raison, qu'il ne servait à  rien de fabriquer des films, du moment que le public du cinéma n'existait plus. Il fallait donc d'abord essayer de refabriquer un nouveau public. Cela me laissait aussi beaucoup de temps pour réfléchir mes films. En regardant des films, on fait son film, ou ses films, comme vous faites le vôtre avec moi en ce moment.
- Pourquoi avoir attendu si longtemps '
Je n'ai pas attendu longtemps puisque, dès le début, j'ai réalisé plusieurs fictions, courts et longs, mais sur papier uniquement. Les sortir du papier, ce n'est pas mon travail. J'ai essayé, mais je ne sais pas le faire. Donc, j'ai attendu celui qui sait le faire et je l'ai trouvé en la personne du producteur Yacine Laloui.
- Dans vos précédents films, on a été frappé par cette aptitude à  vouloir dépasser le cadre de l'investigation par des moments de finesse. On sent déjà votre travail sur ce «temps douloureux» présent dans le premier et très beau plan de Garagouz...
Il faut de la finesse partout, tout le temps. Rien ne passe sans finesse, même ce que vous appelez investigation. Sinon, pour le temps douloureux, je ne pense pas qu'il faille évoquer ce terme. Ce que je sais, c'est que j'ai choisi de ne pas mettre d'ellipse pour voir le jour se lever. Quoi qu'il y ait une ellipse hors champ comme dans chaque début de film.
- Comment votre première fiction est-elle accueillie '
Après un mois, Garagouz est déjà sélectionné dans 10 festivals, dont 7 compétions internationales et un festival non compétitif dans 8 pays. C'est un excellent début quand on sait que chaque festival reçoit de 1000 à  4000 films courts du monde entier pour n'en retenir qu'une soixantaine. Le mérite en revient à  tous ceux qui l'ont créé, l'équipe technique et artistique. Par contre, je ne vais pas jouer les modestes et vous dire que je suis surpris. Je m'y attendais un peu, tout simplement parce que nous avons beaucoup travaillé. La création ne naît que du travail. Et les 24 minutes de Garagouz ont nécessité plusieurs années de travail.
- Comment est venue l'idée de ce film '
Un ami, Halim Chanane, riche de son expérience théâtrale en Algérie et en France, a décidé un jour de créer une compagnie de théâtre pour enfants en Algérie, grâce au plan mis en place par l'Etat pour aider les 35-50 ans à  créer leur emploi. Avec un crédit bancaire modeste, il a acheté une camionnette et du matériel, non pour gagner de l'argent, mais parce qu'il aime les enfants et surtout qu'il aime et respecte ce qu'il fait. Après 10 ans de travail, il n'a pas pu rembourser un centime et sa compagnie se trouve aujourd'hui menacée de baisser rideau. Malgré tout, il continue à  travailler durement. D'ailleurs, il a joué dans le film en hors champ, avec Amine Guerache et Wahid Nehab. Grâce à  eux, on a offert un vrai spectacle aux élèves de l'école Ould Arab de Menacer, dans la wilaya de Tipasa.
- D'emblée, on remarque ce premier plan où l'intention d'un travail autour de la durée est évidente. Il se trouvait déjà dans le scénario '
Je ne me suis pas amusé à  réécrire le scénario pendant les 6 jours de tournage. On n'avait que le temps de dormir. Tout était écrit et découpé, sauf la séquence des autostoppeurs, redécoupée pour gagner quelques minutes de tournage en plus, parce qu'on a manqué d'une journée de tournage, sinon de deux, à  mon avis. Concernant la durée, je voulais donner le temps aux spectateurs de s'installer dans le film. Donc, il fallait jouer sur les plans fixes qui donnent l'impression d'une durée plus allongée. En plus, je tourne à  l'économie. Ce qui peut àªtre tourné en un seul plan, il ne faut pas le tourner en deux, ça évite de déplacer la caméra et de réfléchir un raccord au montage.
- D'autres Algériens, tels Teguia ou Bensmaïl, introduisent dans leur cinéma une forme de re-territorialisation dans une Algérie laissée à  l'abandon. En tant que road-movie, Garagouz est-il un prétexte pour dessiner une géographie cinématographique du pays '
Je pense que depuis des siècles, l'Algérie n'a jamais été laissée à  l'abandon par ses habitants. La preuve en est ce marionnettiste qui symbolise au moins les artistes de ce pays. Sinon, le road-movie dans le cinéma incite à  la réflexion et, personnellement, j'aime le cinéma qui fait réfléchir, comme celui de Teguia et de Bensmail, surtout que le cinéma coûte très cher et, dans nos pays du Sud, on ne peut pas se permettre un cinéma qui ne fait que distraire. D'ailleurs, la meilleure distraction est la réflexion. Quant à  la géographie, c'est le cinéma même. Vous connaissez un film qui ne soit pas géographique ' Les premiers films du cinéma portaient des indications géographiques dans leurs titres mêmes. Jetez un coup d'œil aux films de Lumière…
- On découvre, au fur et à  mesure, le ridicule de certaines situations, comme si vous vouliez filmer l'illogisme d'un pays '
Je voulais surtout filmer le parcours d'un artiste. Cela n'a rien à  voir avec l'Algérie, même si le statut d'artiste n'existe hélas pas encore chez nous. Mais, à  travers ce film, qui est une allégorie, je voulais que tout ceux qui souffrent pour faire ce qu'ils aiment, se reconnaissent où qu'ils soient. C'est tout. Maintenant, vous qui àªtes Algérien, vous avez reconnu l'Algérie, je dirai que c'est naturel. Mais, à  l'étranger, on ne voit pas l'Algérie, mais uniquement un film. Du moins, je l'espère. D'ailleurs, ça m'a fait très plaisir qu'un spectateur à  Beyrouth ait cru que l'histoire se passe au Liban.
Au milieu du film, la mise en scène prend un virage radical et devient plus classique. Pourquoi '
Je n'ai pas remarqué cette radicalité. Pour moi, le film est classique du début à  la fin. D'ailleurs, je ne connais pas de cinéma moderne. Si on entend par classique quelque chose qui a été fait, je ne vois pas quelle mise en scène n'a pas encore été explorée. Donc, je n'ai rien inventé. Sauf qu'à la fin, au lieu de mettre la caméra sur pied, comme durant tout le film, on l'a mise sur épaule parce qu'on était sur un support mobile, la camionnette. On ne peut mettre un support fixe sur un support mobile, du moins comme notre vieille camionnette roulant sur la chaussée glissante d'une route sinueuse, pour filmer des dialogues.
- La musique, on la sent en douceur, émiettée, comme si elle représentait l'élément organique du film…
D'abord, je ne voulais pas de musique du tout. Ensuite, je me suis dit qu'elle pourrait renforcer le côté fable de l'histoire. Et puis, j'ai pensé à  une musique, non pas descriptive, mais discrète et donnant du recul au récit. Pour cela, j'ai pensé à  une musique non algérienne. Un ami m'a mis en contact avec un véritable compositeur pour le cinéma et le théâtre, Toti Basso, Sicilien de Palerme et j'ai trouvé ce que j'imaginais. En recevant le premier bout-à-bout du montage, Toti a vite compris le genre de musique que je voulais et où la mettre. Il ne s'est presque pas trompé puisqu'il a composé 5 morceaux et j'ai dû en éliminer un, très beau par ailleurs. Je tiens à  remercier l'ambassade d'Italie en Algérie et, en particulier, Mme Maria Battaglia, directrice de l'Institut culturel italien à  Alger, qui, très vite, a trouvé les moyens, et sans aucune condition, pour payer les droits de la musique. Je tiens à  remercier Toti Basso aussi qui, sachant que le court métrage n'a jamais été commercial, a été modeste malgré son talent.  
- Garagouz se termine sur le sourire d'un enfant, comme pour dire que l'art doit survivre pour redonner l'espoir '
C'est exactement cela, même si ça paraît redondant.                     
 



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)