Algérie

La fin de la “récréation” démocratique ?



Il est des automnes maussades qui accouchent de printemps resplendissants. Parce qu’il avait été à l’origine du printemps démocratique algérien. Octobre 88 est de ces automnes-là. Son entrée dans une nouvelle ère de liberté, l’Algérie la doit, en effet, à cette jacquerie urbaine qui, au prix de plus de 400 morts, avait réduit en décombres le système de parti unique. Certes, c’était grâce au Printemps berbère d’avril 80 que la chape de plomb qui pesait lourdement, deux décades durant, sur le peuple algérien avait été brisée. Force est de reconnaître toutefois que ce n’est qu’au lendemain des sanglants évènements d’Octobre 88, qui avaient secoué d’abord Alger puis plusieurs villes du pays, que la pensée monolithique érigée jusque-là en dogme officiel d’État avait été emportée par les vents du changement qui avaient soufflé sur le pays. Le pluralisme consacré dans la Constitution de février 1989, l’aspiration démocratique des Algériens s’était traduite sur le terrain par un formidable emballement jamais connu par le pays. Une multitude de partis politiques représentant tous les courants de pensée qui traversaient la société avait vu le jour pour disputer la représentation politique à un FLN tombé de son piédestal. Jusque-là chasse-gardée d’une UGTA omnipotente, le monde du travail avait enregistré la naissance de syndicats autonomes combatifs à souhait. Réservé aux seules organisations satellites du FLN (l’UNJA, l’UNFA...), le mouvement associatif s’était enrichi d’une foultitude d’associations activant dans divers domaines. La scène médiatique, occupée alors par une petite poignée de journaux du pouvoir de l’époque (El Moudjahid, Echaâb, Horizons, El Djoumhouria…), avait été marquée par l’avènement de la presse libre et indépendante.
Le paysage médiatique s’était agrémenté de plusieurs dizaines de titres aux différentes lignes éditoriales, au grand bonheur des lecteurs algériens qui découvraient un autre traitement de l’actualité nationale. Citadelle imprenable de la pensée unique, l’ENTV n’était pas restée en marge du changement qui avait traversé la société algérienne en organisant des débats contradictoires auxquels étaient invitées des figures de proue de l’opposition.
Ce sont là, entre autres, les inestimables acquis de la révolte juvénile d’Octobre 88 même si pour la déprécier, certains l’avaient à l’époque déjà qualifié, avec un tantinet de mépris, de “chahut de gamins” alors que d’autres la présentent aujourd’hui encore comme une manipulation s’inscrivant dans la lutte féroce entre clans au pouvoir. Il reste que c’est grâce à ces acquis-là, considérés comme l’apanage des grandes nations, que l’Algérie s’était vu attribuer le qualificatif fort élogieux d’“exception démocratique du monde arabe”.  Mais vingt ans après le soulèvement d’Octobre 88, que reste-t-il vraiment de sa plus-value démocratique ?
Partis politiques d’opposition, ligues des droits de l’Homme, syndicats autonomes et ONG internationales s’accordent à dire qu’en matière de libertés, l’Algérie a enregistré, ces dernières années, une forte régression. Il est vrai que l’empiétement sur les espaces de liberté avait commencé avec l’instauration de l’état d’urgence quand l’Algérie était aux prises avec l’hydre terroriste. À la décharge des autorités de l’époque, le pays était en butte à un péril majeur qui menaçait les fondements républicains de l’État algérien.
Mais depuis 2000, la situation sécuritaire s’est nettement améliorée, clame la rhétorique officielle. Or, c’est depuis, précisément, que l’Algérie démocratique a commencé à manger son pain noir. L’adoption du code pénal en juin 2001 avait sonné comme une fin de récréation à une presse indépendante par trop insolente avant qu’elle ne fasse l’objet d’un bâillonnement qui ne dit pas son nom au lendemain de l’élection présidentielle d’avril 2004. En cédant de son ton critique, la presse algérienne s’est aseptisée et le journalisme d’impertinence a cédé la place à un journalisme de connivence.
Si le multipartisme est toujours en vigueur, les partis politiques ne bénéficient plus des mêmes conditions pour exercer leur rôle. Exclue des médias publics comme la télévision et pénalisée par les fraudes électorales successives, l’opposition s’est vue contrainte à jouer le rôle de figurant dans un paysage politique dominé par un chef d’État omniprésent et une alliance présidentielle constituée par le triumvirat FLN-RND-MSP. Depuis juin 2001, aucune manifestation publique n’est tolérée. Le Parlement algérien, qui compte en son sein quelques députés de l’opposition, n’est qu’une chambre d’enregistrement ne jouissant, dans les faits, d’aucune prérogative à même de contrôler et encore moins contester l’action de l’Exécutif. C’est dire que le champ politique algérien est à ce point verrouillé qu’aucune remise en cause des options du régime n’est possible. S’ils sont seuls à animer la scène syndicale, les syndicats autonomes ne sont toujours pas reconnus officiellement, au grand bonheur de l’UGTA qui, avec la bénédiction des autorités, garde le monopole de la représentation du monde du travail.
Sans conteste, en Algérie, l’espace des libertés s’est réduit comme une peau de chagrin. Et cette crispation politique imposée au pays par le régime a amené certains à dire de l’Algérie d’aujourd’hui qu’elle vit dans un système de parti unique sans le parti unique. Question : s’achemine-t-on vers une remise en cause du cap démocratique pris par l’Algérie au lendemain des évènements sanglants d’Octobre 88 en passant par pertes et profits les 400 victimes et tous les malheurs qui s’en sont suivis ? On n’en est pas encore là, certes. Mais cette sombre perspective est loin d’être une vue de l’esprit.
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