
La crise diplomatique entre la France et l'Algérie, qui s'est intensifiée depuis juillet 2024, n'est pas seulement une querelle bilatérale. Elle a des répercussions profondes à l'échelle européenne, touchant à la migration, à l'énergie, au commerce et à la sécurité. Cette tension, qualifiée par certains experts comme la plus grave depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962, met en lumière les cicatrices persistantes du passé colonial tout en soulignant des enjeux contemporains comme les disputes juridiques sur les migrations et les archives historiques. Dans cet article, nous examinerons les impacts réels sur l'Europe, le bras de fer juridique en cours, l'évolution de la crise et ses perspectives futures.
La crise franco-algérienne dépasse les frontières des deux pays pour affecter l'ensemble de l'Union européenne (UE). L'Algérie, en tant que partenaire stratégique en Afrique du Nord, joue un rôle clé dans plusieurs domaines vitaux pour l'Europe.
La France a annoncé en février 2025 qu'elle réexaminerait l'accord migratoire de 1968 avec l'Algérie, accusant Alger de ne pas coopérer à la réadmission de ses ressortissants expulsés. Cet accord, qui facilite les mouvements de personnes entre les deux pays, a été révisé plusieurs fois, mais les tensions actuelles pourraient mener à sa suspension partielle ou totale. En 2024, les Algériens étaient en tête des nationalités expulsées de France, avec près de 3 000 déportations, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2023. Cela a des implications pour l'UE : la France, en tant que porte d'entrée du Schengen, influence les politiques communes de retour et d'asile. Une rupture pourrait compliquer les négociations européennes avec l'Algérie sur la gestion des flux migratoires, exacerbant les traversées illégales en Méditerranée. Déjà, l'Europe fait face à une augmentation des migrants subsahariens transitant par l'Algérie, et une dégradation des relations pourrait affaiblir les efforts de coopération sur la stabilité au Sahel, source de ces flux.
L'Algérie est l'un des principaux fournisseurs de gaz naturel à l'Europe, exportant environ 32 milliards de m³ par an via des pipelines vers l'Italie et l'Espagne. Bien que la France soit moins dépendante (contrairement à l'Italie, qui tire une part significative de son gaz d'Algérie), les tensions pourraient perturber l'approvisionnement global de l'UE, surtout après la réduction des importations russes suite à la guerre en Ukraine. En 2022, l'Europe s'est tournée vers l'Algérie comme alternative à la Russie, signant des accords pour augmenter les livraisons. Cependant, la crise actuelle, marquée par une chute de 30 % du commerce bilatéral depuis l'été 2024, risque de freiner ces partenariats. L'Algérie a déjà suspendu des échanges avec l'Espagne en 2022 pour des raisons similaires (soutien espagnol au Maroc sur le Sahara occidental), et une escalade avec la France pourrait forcer l'UE à diversifier davantage, augmentant les coûts énergétiques et la vulnérabilité face à d'autres fournisseurs comme le Qatar ou les États-Unis.
Le commerce franco-algérien, évalué à environ 12 milliards de dollars en 2023, est en déclin, avec la France exclue des appels d'offres pour le blé algérien. Cela affecte l'UE, liée à l'Algérie par un accord d'association de 2002, qui a été révisé mais critiqué par Alger pour avoir causé des pertes estimées à 30 milliards de dollars en raison d'une concurrence inégale. Les investissements français en Algérie (moins de 3 milliards de dollars en stock) pourraient être gelés, impactant des secteurs comme l'énergie et l'industrie. À l'échelle européenne, cela fragilise la Politique européenne de voisinage (PEV), qui vise à promouvoir la stabilité et le développement au Maghreb via des instruments comme l'Instrument européen de voisinage (IEV). Une rupture pourrait isoler l'Algérie économiquement, renforçant ses liens avec la Russie et la Chine, au détriment de l'influence européenne en Afrique.
L'Algérie est un partenaire clé pour l'Europe dans la lutte contre le terrorisme et l'instabilité au Sahel. La coopération sur le renseignement et la sécurité est essentielle, mais les tensions actuelles, incluant des accusations mutuelles d'ingérence, pourraient affaiblir ces efforts. L'UE s'inquiète d'une escalade au Sahara occidental, où l'Algérie soutient le Front Polisario face au Maroc (soutenu par la France depuis 2024). Cela pourrait déstabiliser le Maghreb, augmentant les risques migratoires et terroristes pour l'Europe.
Les tensions juridiques sont au cœur de la crise, mêlant héritage colonial et enjeux actuels.
Le passé colonial (1830-1962) reste un point de friction. L'Algérie exige une reconnaissance des crimes français, incluant la restitution d'archives et de biens culturels. En 2021, un rapport commandé par Emmanuel Macron (rapport Stora) proposait des gestes symboliques, mais sans excuses formelles. Des lois françaises sur la mémoire (comme celle de 2005 glorifiant la colonisation) ont été abrogées partiellement, mais persistent dans l'inconscient collectif. L'Algérie accuse la France de minimiser les atrocités, tandis que Paris reproche à Alger de réécrire l'histoire pour des fins politiques. Une commission d'historiens mixtes a gelé ses travaux en 2025 en raison de la crise.
Récemment, l'arrestation en novembre 2024 de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal en Algérie pour "menace à la sécurité nationale" a été qualifiée par Macron de "déshonneur" pour Alger. En réponse, la France a arrêté des influenceurs algériens en 2025 pour incitation à la violence. Sur le plan migratoire, la France menace de durcir les visas pour les diplomates algériens, invoquant le non-respect de l'accord de 1968 sur les rapatriements. L'Algérie promet des mesures réciproques, potentiellement via des recours internationaux. Des disputes sur la zone économique exclusive (ZEE) en Méditerranée persistent depuis 2022, sans réaction officielle française mais avec des implications pour les droits maritimes.
Les perspectives sont sombres mais pas irrémédiables. L'Algérie risque l'isolement international, renforçant ses liens avec Moscou et Pékin, tandis que la France, sous pression politique intérieure (virage à droite), pourrait durcir sa position sur l'immigration. Cependant, des intérêts communs – énergie, sécurité, migration – pourraient favoriser un dégel. Des experts appellent à "baisser la température" pour transformer les deux pays en "moteur" de partenariat euro-africain. Une médiation européenne via l'UE, focalisée sur des accords concrets (énergie verte, coopération au Sahel), pourrait relancer le dialogue. Sans cela, les répercussions sur l'Europe – hausse des coûts énergétiques, flux migratoires accrus – pourraient s'aggraver, soulignant l'urgence d'une approche post-coloniale équilibrée.
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Ecrit par : Rédaction