Algérie - Revue de Presse


Le malaise artistique et culturel (I)la vie artistique algérienne est profondément marquée par la manière dont on a enseigné la littérature, la peinture ou le théâtre. Non seulement cet enseignement a été catastrophique mais aussi prédateur. La musique savante aux origines séculaires (toutes les formes de l?andalou, du malouf et du chaâbi) a échappé au saccage pour des raisons évidentes et historiques. Ainsi que le cinéma qui a eu la chance de ne pas tomber entre les mains professorales, puisqu?il n?y a jamais eu d?école de cinéma en Algérie ! Ce qui a peut-être permis à ce cinéma national d?être la meilleure production filmique au niveau du monde arabe et du monde africain. Dès 1962, l?université algérienne, qui se réduisait à l?université d?Alger, a mis la littérature nationale sous le boisseau. Pour éviter d?enseigner les textes des grands écrivains tels Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib et Kateb Yacine, on a inventé la mode de la linguistique, de la grammatologie et de la phonétique... Le parti pris était clair : laisser de côté tout ce qui est porteur de sens politique, historique et idéologique pour s?emparer des théories, d?ailleurs très à la mode en Occident. Théories abstraites et apolitiques par excellence. On enseignait bien Emile Zola (un Français du XIXe siècle ; après tout, ce n?est pas grave !) et surtout Sembene Ousmane ! C?était la coqueluche de ces professeurs et professeuses de l?époque. Cinéaste autodidacte très moyen et romancier médiocre et populiste, Sembene Ousmane fit des ravages à la Faculté des lettres d?Alger ! Il n?y était pour rien ! Sénégalais extrêmement modeste, sympathique et exubérant, il n?avait aucun talent. Presque tous ces professeurs de l?époque vivent aujourd?hui en Europe ou au Canada... L?Ecole des Beaux-Arts était elle aussi sous le joug du réalisme socialiste et pleurnichard. Choukry Mesli y était mal à l?aise et M?hamed Issiakhem s?installa dans la provocation et l?ineptie, lui le peintre de génie qui ne put exprimer son art véritable et phénoménal qu?au milieu des années 1970. Et surtout dans les dernières années de sa vie. M?hamed Khadda était confiné dans son atelier, boudé par ses amis politiques et haï par ses détracteurs jdanoviens qui se sont d?ailleurs tous éclipsés dès le début des années 1980. Le théâtre ? L?école de Bordj El Kiffan n?était que le dépotoir de tous ceux qui étaient en échec scolaire, puisqu?on n?exigeait pas le baccalauréat pour y accéder. Et chaque élève qui en suivait les cours se considérait meilleur qu?Orson Welles. Il y a eu, certes, quelques exceptions talentueuses. Mais très rares. Il ne s?agit pas ici de s?en prendre à ce que Konrad Lorenz appelle la « néophilie ». Mais ce sont là des vérités qui n?ont pas été toujours dites. Et il n?est pas nécessaire de rejoindre les tenants de la tradition dans tous les domaines pour analyser les phénomènes qui ont perverti, édulcoré et raturé la vie artistique en Algérie. Ces phénomènes qui ont mis la création sur le même plan que la cuisine, l?artisanat et le folklore. Malgré tous ces aléas, tout ce massacre de l?intelligence, le pays souvent endolori et meurtri par sa propre histoire dont le tragique n?est plus à démontrer, il y eut des exceptions : le cinéma de Mohamed-Lakhdar Hamina, Ahmed Rachedi et d?autres encore ; le théâtre de Kaki, Boudia, Alloula, Ziani, Ben Guetaf et d?autres encore ; la littérature de Bourboune (le Muezzin est un chef-d??uvre ignoré par le lectorat algérien), Jean Sénac, dont l??uvre prodigieuse a pu être enfin reconnue, trente ans après sa mort, et tant d?autres encore ; la peinture de Khadda, Issiakhem, Mesli et d?autres encore ; quant à la musique savante, elle n?a jamais pâti de la bêtise des censeurs de tout genre et de tout acabit et de certains professeurs à la solde du pouvoir politique ou de leurs propres préjugés. Il y a eu donc quelque part une sorte de miracle. Qu?il ne faut pas bouder, parce que le cassage a été terrible. La modernité de certaines productions algériennes n?est pas à prouver. Sans pour autant mettre sous ce vocable une quelconque volonté forcenée à être original coûte que coûte. Baudelaire déjà, au XIXe siècle, a attiré l?attention sur les risques de cette originalité au forceps. Celle qui fait basculer vers l?excentricité gratuite et manquer la vraie modernité, à savoir l?utilisation d?une technique pour saisir la particularité de son époque. Force est de constater qu?au XXe siècle et d?une façon générale, on a eu tendance à cultiver la technicité pour elle-même, et donc apprécier la littérature, la peinture, le cinéma, la musique et le théâtre au seul critère de son innovation formelle. Au risque d?une minimisation des enjeux de la création. Il faudrait beaucoup de temps et de précautions pour aborder les effets d?une conception novatrice de la production artistique algérienne. Et il y a toute une génération nouvelle d?artistes qui veut en découdre et pousser au paroxysme. Ce qui est normal parce qu?il y a une réaction très saine devant tant d?années de plomb, de grisaille et de censure qui se perpétuent encore aujourd?hui sous d?autres formes : faiblesse de la critique artistique, mainmise très lourde dans l?enseignement où les facultés et les écoles d?art (surtout à Alger !) continuent à s?exercer dans la médiocrité, la paresse et la peur de toute innovation dont on a déjà évoqué les risques de ses excès. S?il y a donc un malaise très palpable dans le pays, c?est parce que, dès le départ, l?enfant, l?adolescent et le jeune n?ont aucune orientation pour cultiver chez eux le sens esthétique, le goût du beau. Personne, et à ce jour, ne donne à ces futurs citoyens « l?envie poétique du monde », comme le disait si bien Saint John Perse en essayant de définir la poésie. Il est vrai qu?entre les écrivains-maquignons, les professeurs des matières artistiques prédateurs et les pompiers pyromanes qui crient au feu qu?ils ont eux-mêmes allumé, il y a des lustres, le malaise artistique et culturel est aujourd?hui flagrant. (A suivre)



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