Algérie

Ce pourquoi nous n'irons jamais sur la lune!


« A K. David ». C'est par un tel entête qu'un lecteur lâche, (lâche parce qu'anonyme) a  entamé une lettre fielleuse à l'adresse du chroniqueur. La critique reste libre même si dans le tas, le bonhomme confond un nom inaugural dans la généalogie prophétique de la Méditerranée avec un électeur du Likoud du XXIe siècle. En Algérie, c'est de coutume que de voir le sentiment anti-juif être confondu avec l'anti-israélisme et avec la xénophobie et le refus de l'altérité. C'est le cas de pathologie des religions lorsqu'elles sont affaiblies par des esprits incertains et ne tiennent plus la route que par les rites. Mais passons. C'est qu'il y a à retenir dans cette lettre, c'est que depuis quelque temps, elle ressemble à beaucoup d'autres de plus en plus fréquentes: des missives signées par des gens qui ont « nationalisé » Dieu et privatisé l'Islam. Il suffit d'écrire que le pays se trompe en lançant le chantier d'une mosquée au lieu de lancer le chantier de l'avenir de nos enfants, pour voir pleuvoir sur soi des fatwas de café et des excommunications à la violence étonnante. Pays d'exception, l'Algérie est aujourd'hui à l'avant-garde des territoires où l'Islam est interdit à la réflexion individuelle par des recettes ridicules: il faut le consommer soi avec la sauce nationaliste, soi avec celle de l'ex-FIS. Ecrire que le pays s'effondre vers des mythes infantiles en dénonçant le remplacement de l'économie par la barbe et le voile, répéter que si nous sommes si bien écrasés par les autres peuples, c'est parce que nous avons délégué à Dieu le devoir de faire du blé et des armes à notre place, et insister pour que ce peuple fasse la différence entre des ablutions et marcher sur la lune, est aujourd'hui signe d'une francophilie désuète, preuve d'un anti-religionnisme populaire ou la marque d'un sioniste clandestin au sein de la terre de l'Algérie. Ils se sont trompés ces gens qui nous répètent que l'islamisme et ses repliements nous sont étrangers et nous été exportés par d'autres pays « frères »: il y a dans l'histoire de l'Algérie et du Maghreb une antique tentation pour les idées de la pureté inhumaine et de l'intolérance et une longue histoire d'une religion en armes, politisée à l'extrême et incapable d'admettre la différence ou les relativismes nécessaires pour fonder une civilisation calme. Aujourd'hui, cette tentation revient, pas avec un projet politique mais avec un tableau clinique d'enfermement sur soi, de refus de l'autre et de négation de la contradiction et de l'avis différent. On peut longuement écrire sur la misère de ce pays, ses égouts, ses robinets rouillés ou ses routes défoncées, sa misère se résume finalement à une seule: du sommet à la base, l'idée d'une religion que l'on doit porter comme un collier et pas comme une chandelle ou une idée ou une interrogation. Si ce peuple erre depuis si longtemps dans le même endroit, souffrant de vouloir être plus arabe que les Arabes, plus anti-chrétien que le reste, plus amazighe que ses voisins et plus nationaliste que le reste de l'humanité, il le doit à quelques idées mortes seulement qu'il promène depuis longtemps et qui lui servent à pendre le contradicteur, bloquer les rotations célestes et réinventer les intolérances au fur et à mesure des cycles de sécheresse. En Algérie, le FIS a réussi: pas à prendre le pouvoir mais à ce que le Pouvoir prenne ses tournures et se tourne vers ses zaouïas pour se sentir légitimé. A lire les livres des époques mortes, on reste étonné par cette vivacité de la réflexion qui marquait les empires musulmans d'autrefois, l'indépendance de ses opinions, la liberté de ton et les champs de réflexion ouverts malgré les désordres. Il n'en reste aujourd'hui que la propension à la fatwa, au meurtre et à l'hypocrisie. Cela s'aggrave lorsque le pays est un pays sec, n'a pas une longue histoire de livres, pas une tradition de cités et si peu de paix pour oublier les haines de la guerre. Là où Zawahiri, le numéro 2 d'Al-Qaïda, est un chirurgien, les « émirs » terroristes de l'Algérie n'ont pas dépassé le niveau du tôlier. Faut-il aujourd'hui s'étonner de ce retour d'un islamisme primaire qui s'écrase face au Pouvoir mais s'en prend à ceux qui ne lui ressemblent pas ? Non. Tout nous y pousse comme des troupeaux. Tout nous mène vers un nouveau basculement terrible parce que nous n'avons rien réglé en profondeur. « K. David » n'écrit pas en anonyme, ne prend pas la chaloupe, ne mange pas au râtelier, ne se cache pas derrière Dieu, ne vote pas pour le pétrole et fait son chemin vers Dieu, à pied, et pas sur le dos des morts et des autres. Pourtant, on ne peut qu'être en colère contre cette misère des siens: elle promet des lendemains sinistres ! Ce genre de lettres qui font aveu de la haine du douar, du rural, de la langue étrangère, de l'étranger, du juif et de la haine de soi, ne sont pas des lettres mortes mais des signes d'époque.


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