Boulimie

«L'appétit vient en mangeant.»(expression populaire)
On peut se poser bien des questions sur le mauvais sort qui s'abat sur les cadres d'entreprise quel que soit le climat général qui règne sur les affaires. C'est avec la série de scandales qui peuvent paraître uniquement financiers que se pose le problème de la longévité des cadres. Il serait intéressant de connaître les statistiques concernant la durée de fonction des cadres supérieurs dans une entreprise donnée. Je crois que ces statistiques n'existent pas ou, si elles existent, elles doivent honteusement être tues et rangées dans le placard aux turpitudes. Evidemment, je veux parler de ces grands directeurs généraux qui président aux destinées d'entreprises en tous genres et qui subissent les aléas de la politique. La première chose qui semble préoccuper le lecteur un peu branché sur la question est évidemment en premier lieu les critères qui président à la nomination d'un directeur général ou même d'un ministre. Les facteurs qui peuvent concourir à un choix sont nombreux: les diplômes, l'appartenance à une chapelle politique, le cursus politique, la région, les liens familiaux ou bien les recommandations de personnes bien placées, de l'intérieur du pays ou de l'extérieur puisque des personnalités politiques ne manquent pas de dénoncer tel ou tel ministre d'être «l'homme» de telle institution ou de tel pays. On ne sait qui croire, mais à voir les derniers développements de scabreuses affaires qui agitent l'actualité, rien ne peut plus surprendre le citoyen le plus crédule. Quant à la compétence des cadres, il faudra certainement attendre qu'ils fassent leurs preuves puisque c'est au pied du mur qu'on voit le maçon.
Disons tout de suite que la stabilité d'un cadre à son poste dépend en grande partie de la stabilité qui règne au niveau supérieur. Si dans les systèmes fermés où les nominations se font par cooptation, les ministres passent la plupart de leur temps à changer de ministère en attendant de trouver celui qui leur va comme un gant, les directeurs d'entreprise ou d'institution suivent le mouvement... En l'absence d'une démocratie véritable où l'alternance rythme les changements, la politique du sérail favorise la formation d'intrigues qui se nouent nécessairement entre ceux qui jouent des coudes pour toucher au mât de cocagne. C'est d'abord par instinct de conservation que les responsables de haut niveau choisissent leurs collaborateurs: on compte avant tout sur la solidarité de la famille, de la tribu ou de la région pour durer le plus longtemps en haut de la hiérarchie. Et si la plupart espèrent toujours faire de vieux os, c'est qu'au-delà du patriotisme, «y a bon, banania!» comme dirait l'autre. C'est la raison pour laquelle, les places sont chères autour de la table de la grande salle à manger de la généreuse République. C'est la raison pour laquelle aussi, malgré l'existence de plusieurs partis, ce sont toujours les mêmes qui se passent la fourchette, la cuillère ou la louche. On devine alors pourquoi à l'élection de certaines institutions qui brassent beaucoup d'argent, c'est toujours l'unique candidat du parti qui remporte les suffrages quelle que soit la preuve qu'il ait donnée ailleurs. La compétence, l'honnêteté ou l'engagement ne sont pas toujours des critères indispensables pour faire carrière dans le dur métier de distribuer des avantages. Feu Boumediene avait, au cours de conférences fleuves qu'il faisait devant les cadres de la nation, défini et insisté sur ces critères cardinaux qui font la bonne santé d'un pays tout comme il avait prévenu de la tentation de plonger son doigt pour tout un chacun qui travaille dans le miel. Hélas, il y a des gens qui ne se contentent pas de goûter! C'est la raison pour laquelle le pays souffre de tant de maux malgré une bonne santé financière.