Algérie

Bennes à ordures, le marché des pauvres...


Bennes à ordures, le marché des pauvres...
Sous un soleil de plomb et le regard désintéressé des passants, des hommes et des femmes se rencontrent quotidiennement autour d'un immense vide-ordures, au marché Ali Mellah, au c'ur de la capitale.Sans s'adresser la parole, ils fouinent pendant des heures à la recherche de restes de poulet, d'abats de volaille ou tout simplement de quelques légumes souvent gâtés. Bien qu'ils n'habitent pas les mêmes quartiers et n'aient pas la même situation sociale, ils partagent néanmoins les affres de la pauvreté. Notre présence sur les lieux dérange. Du coup, certains refusent de s'exprimer et vont jusqu'à recourir à la violence verbale. D'autres s'adonnent avec une aisance déconcertante au jeu de questions-réponses, à condition de ne pas décliner leur identité. C'est le cas de cette sexagénaire, habituée des lieux, mère de sept enfants. Vendeur de cigarettes, son mari est décédé, il y a quelques années.Vêtue d'une djellaba sombre, le visage à moitié caché par une voilette, elle vient tous les matins remplir son couffin au vide-ordures. «Aujourd'hui, mon menu sera un peu riche. J'ai trouvé des ailes de poulet, quelques abats et même un peu de viande que je vais enlever des carcasses de mouton. Je préfère venir ici chercher quelques restes que d'aller quémander dans les rues d'Alger. Je dois nourrir mes sept enfants que mon mari m'a laissés. Avant je nettoyais les escaliers d'un immeuble. Mais après une chute, j'ai eu une fracture au dos, qui ne me permet plus de travailler comme femme de ménage. J'ai bénéficié du couffin du Ramadhan, mais est-ce suffisant pour nourrir dignement sept bouches, dont les deux aînés sont au chômage ' Cette poubelle est une providence pour ma famille», lance la dame. Comme elle, une autre femme est sur le point de partir. Avec une étoffe noire, elle couvre le couffin qu'elle tient soigneusement dans les mains.Pas d'autre choixElle s'arrête devant nous, pensant avoir affaire aux services sociaux de la commune. «Je n'ai personne pour subvenir à mes besoins. Même le couffin du Ramadhan, je n'y ai pas eu droit. Je viens, comme tous ces gens, chercher ma nourriture dans la benne à ordures. Ma petite retraite de 15 000 DA peut-elle suffire à faire vivre dans la dignité cinq enfants, ainsi que six petits-enfants, dont les parents ne travaillent pas ' Il fallait que je cherche de quoi manger. Ici, le vide-ordures me permet au moins de leur ramener deux à trois fois par semaine les abats de poulet, quelques ailes et quelques ossements pour les soupes», dit-elle à voix basse, pour que les passants ne l'entendent pas.Proprement habillé, des lunettes de vue sur le nez, un homme se tient debout, la tête penchée vers l'intérieur du vide-ordures. D'une main, il trie les restes de volaille et de l'autre, il tient un sachet déjà à moitié plein et un autre contenant quelques navets, pommes de terre et un melon.Des millions d'algériens sous le seuil de pauvretéLe sexagénaire refuse de parler au début, mais finit par lancer d'une voix étouffée : «Je sais que c'est mauvais de fouiner dans les poubelles, mais Allah ghaleb, je n'ai pas d'autre choix. Je vis avec mon fils, père de six enfants qui ne travaille pas depuis des années. Il vend quelques bricoles dans les marchés, mais ce qu'il rapporte est insignifiant. Ma retraite ne suffit plus à nourrir tout le monde, ni à assurer les charges de la scolarisation, de l'électricité, de l'eau et du gaz. J'ai décidé de les aider comme je peux en leur ramenant tous les jours en ce mois sacré des restes de poulet et de viande.» Notre interlocuteur semble très gêné par notre présence. Il ferme les deux sachets qu'il a en main et quitte le lieu. Mohamed est vendeur dans une boucherie du marché. Il vient tous les jours, vers 11h, jeter les restes de volaille et les ossements de mouton et de vache dans la benne à ordures.Il connaît tous ceux qui guettent ses casiers. «Il y a de plus en plus de femmes âgées qui viennent récupérer les restes. En général, elles ont toutes des enfants, mais la misère les a poussées à se débrouiller pour ramener de la nourriture. Certaines ne disent même pas ce qu'elles font. Les leurs pensent qu'elles travaillent. D'autres le font avec la bénédiction de leurs familles, parce qu'elles aident à nourrir des bouches que l'Etat a abandonnées. Il y a aussi de plus en plus de retraités qui ont encore des enfants à leur charge et qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Ça me fait de la peine de les voir fouiller dans des bennes à ordures avec tous les risques de maladies auxquels ils font face. Certains le font de manière discrète, en regardant à gauche et à droite si quelqu'un les observe, parce qu'au fond ils n'acceptent pas cette situation. C'est cela, l'Algérie de 2014. Celle des riches qui achètent sans regarder le prix et celle des pauvres qui vivent des bennes à ordures», conclut notre interlocuteur.Il est déjà midi. Les restes de volaille et les ossements de mouton commencent à changer de couleur.Les fouineurs des bennes à ordures rentrent chez eux, après une matinée, semble-t-il, très rentable, en se donnant rendez-vous pour la journée de demain. Très vulnérables, ces petites gens ne constituent pas des cas isolés. Ils font certainement partie de ces millions d'Algériens qui vivent sous le seuil de la pauvreté que le PNUD a recensés, il y a deux ans. Ils reflètent l'iniquité et l'injustice avec lesquelles sont réparties les richesses de l'Algérie. Raison pour laquelle les autorités restent très frileuses quand il s'agit des statistiques officielles liées à la pauvreté?



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