Publié en 1833 à Paris, Le Miroir : Aperçu historique et statistique sur la Régence d’Alger de Hamdane Ben Othman Khodja est une œuvre majeure, considérée comme le premier document algérien dénonçant l’occupation française en Algérie. Rédigé en arabe puis traduit en français, cet essai offre un regard unique sur l’état de la Régence d’Alger à la veille et au début de la conquête coloniale de 1830. Plus qu’un simple récit, il s’agit d’un manifeste idéologique qui conjugue observation, critique et plaidoyer pour une Algérie indépendante.
Un auteur ancré dans son époque
Hamdane Khodja (1773-1842), né à Alger dans une famille de notables d’origine turque, était un homme cultivé et influent. Fils d’un jurisconsulte et lettré respecté dans l’administration de la Régence, il reçut une éducation complète en sciences religieuses,me, philosophie et médecine. Devenu un riche négociant et propriétaire terrien dans la Mitidja, il voyagea beaucoup, notamment en Europe, où il découvrit les idéaux des Lumières. Cette ouverture au monde et sa connaissance des principes libéraux français façonnèrent sa pensée et son écriture.
Un réquisitoire contre la colonisation
Le Miroir naît d’un constat amer : trois ans après l’invasion française, Khodja observe les exactions de l’armée coloniale et les bouleversements imposés à la société algérienne. Loin de se limiter à une description historique ou statistique, il dresse un réquisitoire contre les pratiques coloniales, qu’il juge contraires aux valeurs mêmes de la France des droits de l’homme. Il distingue ainsi une « France idéale » des Lumières d’une « France occupante » brutale et opportuniste. Sa stratégie est habile : en s’appuyant sur les idéaux français, il cherche à rallier l’opinion publique européenne à sa cause, plaidant pour une « émancipation libérale » de l’Algérie.
L’ouvrage détaille la vie des Algériens avant 1830 – leurs mœurs, leur organisation sociale et économique – et met en lumière les destructions et injustices causées par l’occupation. Khodja ne se contente pas de critiquer ; il propose une vision d’une Algérie souveraine, capable de dialoguer d’égal à égal avec les nations européennes.
Une œuvre controversée et visionnaire
À sa sortie, Le Miroir suscita des réactions contrastées. Publié à Paris, il fut suivi d’une « Réfutation » attribuée aux partisans du maréchal Clauzel, à laquelle Khodja répondit avec vigueur dans une « Réponse à la réfutation ». Malgré son éloquence, son combat politique resta vain : ruiné et isolé, il s’exila à Istanbul en 1836, où il mourut en 1842, continuant jusqu’au bout à défendre la cause algérienne.
Un miroir à multiples facettes
Plus qu’un pamphlet, Le Miroir est une plongée dans l’Alger d’avant 1830, un trésor d’informations sur ses habitants et leurs diversités régionales. Il offre un contraste saisissant avec la société contemporaine, révélant une usure progressive des valeurs d’antan. Pour Khodja, l’histoire est malléable, mais son œuvre invite le lecteur à une réflexion lucide sur le passé et ses leçons.
Aujourd’hui, ce texte reste un classique de l’histoire maghrébine, un témoignage précieux pour « décoloniser » le récit de la conquête. Il illustre les possibilités critiques du discours libéral face à l’expansion impériale et demeure une source d’inspiration pour comprendre les racines du combat algérien pour la liberté.
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Posté par : patrimoinealgerie