Alger - Revue de Presse

Pour un système éducatif résilient dans l’avenir




Publié par quotidien Le Soir d'Algérie le 13.08.2020

Par Baddari Kamel, professeur des universités
Le système éducatif a subi de fortes perturbations impactées par la situation sanitaire traumatique générée par le Covid-19 d’une façon qu’on n’a jamais connue auparavant. Inédite, cette situation suggère d’engager la réflexion sur la nouvelle posture à adopter de manière à rendre le système éducatif plus solidement pérenne. Force est de constater qu’il a été suffisamment amorphe et souvent inopérable face à cette situation à laquelle, faut-il le souligner, peu de pays dans la monde ont su réagir de manière efficace pour assurer le continuum ou du moins réduire l’impact sur le déroulé de l’année scolaire de façon générale. Notre système dans ses trois échelons, à savoir l’éducation nationale, la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, a besoin de créer de nouvelles ressources et de mettre en place des approches modernes pour faire face et s’adapter au malheur comme au changement ; en d’autres termes, devenir plus résilient dans l’avenir car passer à côté des leçons que la Covid-19 a administrées à tous les secteurs conduirait inévitablement à cocher la case des occasions perdues.
La résilience dans le système éducatif ?
La Covid-19 a conduit tous les établissements au report des enseignements et des examens à une date indexée à la fin de la pandémie. Il a aussi conduit à la réduction de la masse critique de développement de l’établissement, entraîné une forte moins-value due à l’inactivité des ressources humaines, des équipements et des infrastructures. Il a en quelque sorte retardé le développement d’un établissement d’enseignement de plusieurs semestres. Si on est arrivé à cette situation, c’est que notre système éducatif n’était pas suffisamment entraîné à un tel affront.
La résilience est justement de doter le système éducatif de la capacité à faire face aux méfaits d’un traumatisme suite à l’apparition d’un évènement traumatisant relevant de la catégorie du cygne noir, tel que la Covid-19. Elle consiste à prendre acte de l’évènement traumatique, l’étudier en profondeur, combiner les compétences, les expériences positives, les outils et les matériaux adaptés pour qu’à l’avenir le système éducatif n’aura plus à subir de tels méfaits ou du moins à les réduire considérablement. Les responsables du secteur éducatif sont invités à envisager tous les scénarios de reprise une fois la pandémie réduite ou vaincue. Ils devront intégrer les éléments de résilience par région et consolider au niveau national pour constituer des principes stratégiques de résilience.
Ces derniers devront inclure des caractéristiques ou des dispositions qui permettront de rebondir, de résoudre des problèmes, de combiner les forces et les risques, de s’ouvrir à l’environnement, de se renseigner sur les expériences des autres… et se consacrer au développement du numérique dans l’éducation et former les parties concernées pour faire émerger des pratiques enseignantes et des styles d’animation nouveaux et appropriés.
Clés de la résilience post-Covid-19
La résilience se reconnaît par la santé du système éducatif suffisamment bonne en dépit du traumatisme subi. Elle inclut la résilience de l’étudiant, celle de l’enseignant et plus globalement celle de la gouvernance de l’établissement. Elle n’est pas une recette toute prête à l’emploi, mais une combinaison de compétences, d’expériences et d’attitudes positives. La situation se stabilisera un jour, et il appartient d’élaborer les scénarios avec minutie sur une vision claire de l’avenir de l’éducation.
Un élève, un apprenti ou un étudiant résilient dans l’avenir devra étudier et intégrer les meilleurs facteurs qui agissent et favorisent sa motivation, réaliser avec goût et intérêt ses activités pédagogiques, lutter contre la fatigue et conserver un bon moral, subir les contrôles de connaissances et ne pas les rater sous quelque prétexte que ce soit, être à jour dans les enseignements. Il devra être aussi préparé au succès comme à l’échec car celui-ci, lorsqu’il arrive, devra être considéré comme un facteur stimulant le succès. La résilience de l’enseignant passe par la déontologie, l’usage du numérique, les bonnes pratiques enseignantes, la réalisation des évaluations périodiques et la tenue à jour des notes des élèves/apprentis/étudiants, la production de contenus pédagogiques mis à jour, alimenter la plateforme numérique de l’établissement et accompagner l’étudiant.
La résilience de la gouvernance porte sur la mise à disposition des enseignants et des élèves/apprentis/étudiants des technologies de la communication, mais aussi développer, intégrer et adapter in situ les ressources éducatives et les outils numériques car l’enseignement en particulier et l’éducation en général ne peuvent prospérer avec un contenu prêt à l’emploi, construit en dehors de l’espace pédagogique et en dehors des relations humaines entre les enseignants et les élèves/apprentis/étudiants. Ils ne peuvent non plus prospérer avec l’usage de plateformes numériques contrôlées par des entreprises privées. Il faut des outils locaux adaptés à notre culture et à notre manière d’être. La résilience dans l’avenir de l’éducation serait incomplète sans l’action publique pour valoriser et renforcer la fonction enseignante et mettre en place les conditions appropriées pour l’exercice de l’autonomie et la souplesse afin de permettre à la collaboration des enseignants et des élèves/apprentis/étudiants d’être possible. La résilience consiste aussi à encourager la coopération entre les universités, le secteur privé, la société civile et d’autres parties prenantes, afin de promouvoir un apprentissage de qualité dans l’ensemble de la société, et, enfin, engager une réflexion approfondie sur les programmes d’études, en particulier sur le système d’évaluation.
Ces quelques éléments constituent la manière d’acquérir des qualités pour rebondir par l’effort, la persistance, la maîtrise de soi et l’attitude positive en soulignant toutefois que l’effort ne peut être partiel ni consenti que par quelques-uns. Il devra englober toutes les parties prenantes.
La nécessité d’un système d’évaluation performant et accepté
Il est connu que l’évaluation des acquis des étudiants constitue l’un des dispositifs le plus important dans un établissement scolaire, professionnel ou universitaire. Elle est la source de motivation des élèves/apprentis/étudiants.
Loin de discuter des pratiques de l’évaluation ni à suggérer des pistes d’action à entreprendre pour pallier les faiblesses ou renforcer ses forces, tel n’est pas le sujet, mais de simplement situer l’évaluation dans le cadre de la résilience, objet de cette réflexion. À cet égard, il faut souligner que les pays qui pratiquent le contrôle continu, régulier et accepté, n’ont pas connu de difficultés à boucler l’année universitaire ou à organiser les examens même les plus déterminants (baccalauréat) car leur système de validation prévoit des contrôles continus obligatoires ayant reçu l’adhésion de toutes les parties prenantes. Ces contrôles s’effectuent périodiquement et reflètent l’état de progression des élèves, apprentis et étudiants. C’est l’un des points importants à intégrer dans les principes stratégiques de résilience pour que le système de validation soit plus crédible, consensuel et se comporte, au mieux, face à des difficultés comme celles générées par la Covid-19. En tout état de cause, l’étude visera aussi à identifier tout concept d’éducation de qualité qui a émergé de la crise de la Covid-19 et qui pourra servir de bonnes pratiques au moment de la réouverture des établissements.
Nécessité d’un tableau sur l’impact de la Covid-19
Les secteurs d’enseignement et de formation précités ont réagi diversement dans le contexte de cette pandémie. L’éducation nationale a mis en place des programmes d’enseignement dispensés par l’intermédiaire des chaînes de la télévision nationale et l’enseignement supérieur a eu recours à des plateformes numériques pour assurer plusieurs enseignements à distance. La formation professionnelle n’ayant pas communiqué à ce sujet.
Ces initiatives ont été appréciées différemment par les acteurs, mais au vu des difficultés inhérentes au montage d’un enseignement à distance ou télévisé, le plus exigeant d’entre nous ne pourra que s’en féliciter et encourager de telles initiatives qui constituent une première dans le paysage de l’éducation et de l’enseignement en Algérie. Il faut maintenant aller vers une étape descriptive et analytique en passant à la collecte et à l’analyse des données à recueillir auprès de tous les acteurs de façon systématique, efficace et indispensable, de manière à évaluer dans quelle mesure l’éducation, la formation et l’enseignement ont été affectés, suivis et adaptés en fonction de la crise générée par la Covid-19.
L’on s’intéressera aux mesures prises et leur impact sur l’enseignement télévisuel (quels niveaux assurés, nombre d’enseignements, nombre d’élèves concernés, degré de satisfaction des élèves, des parents, appréciations des associations d’élèves, difficultés recensées, le décrochage), comme l’on s’intéressera également à l’enseignement à distance dans les universités et les écoles nationales (type de plateformes utilisées, nombre d’enseignements assurés, difficultés à assurer certains enseignements tels que les travaux pratiques, satisfaction et appréciation des enseignants et des étudiants…).
Les résultats de cette étude seront comparés à ceux d’autres pays dont le système d’éducation est proche pour connaître les solutions qu’ils ont apportées, les apprécier et s’en imprégner, s’il y a lieu, pour élaborer et mettre en œuvre nos propres solutions lorsque la situation se stabilisera. Cependant, la couleur est déjà annoncée pour le déroulé de cette étude car certains acteurs commencent par des écrits coloriés de pessimisme, d’autres, au contraire, plus conciliants et aussi plus résilients, mettent l’accent sur les insuffisances, mais soulignent les mérites de cette initiative. Quoi qu’il en soit, l’étude à mener n’a pas pour vocation de s’attarder sur les avis contradictoires des uns et des autres. Elle en tiendra compte, mais son but est d’opérer sur des données objectives et représentatives pour élaborer un recueil de propositions pour les trois départements ministériels concernés.
Conclusion
La lutte contre la pandémie de Covid-19 a amené les pouvoirs publics à fermer temporairement tous les établissements d’éducation, de formation professionnelle et d’enseignement supérieur ou du moins à ne plus assurer les cours en présentiel. Malgré leur fermeture au public tout au long du deuxième semestre, les universités ont assuré la continuité pédagogique sur une partie du programme de formation en ayant recours à l’enseignement à distance. L’éducation nationale en a fait autant par l’intermédiaire des médias lourds. Ce sont des initiatives louables, mais dépourvues d’atouts pour affronter une situation traumatique d’ampleur car notre système éducatif n’était pas suffisamment entraîné pour faire face à la tragédie et aux menaces à même de le toucher dans sa fondation. L’objet de cette réflexion est justement de susciter la volonté des décideurs pour qu’à l’avenir notre système éducatif soit assez bien entraîné pour affronter les situations les plus inattendues. La rentrée scolaire et universitaire approche. Elle doit avoir lieu quel qu’en soit le risque, dans les limites raisonnables, car on ne peut sacrifier toute une génération en l’empêchant d’aller à la quête du savoir pour se construire. C’est là une première épreuve de résilience qui attend les décideurs du système éducatif.
B. K.

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