Alger - Revue de Presse

Un 2e Barrage vert pour se rappeler l’Algérie des années 70 !




Publié par Maâmar Farah, dans le quotidien le Soir d'Algérie, le 05.11.2020
Jadis, quand nous partions en reportage en Asie ou dans ces pays de l’extrême, les gens venaient nous voir pour qu’on leur parle des quatre saisons : «Vous avez de la chance ! Les quatre saisons, c’est seulement dans les livres pour nous ! Ici, il n’y a que deux saisons !» Hélas, je crois que nous y sommes nous aussi. Oui, depuis quelques années, le printemps a disparu même s’il se réveille parfois… d’octobre à décembre. L’hiver s’attarde sur les terres du printemps et ne s’en va que pour céder le ciel et la terre au sirocco de l’été. Et l’automne ? Cherchez l’automne dans cette fournaise estivale…
Il faut vivre ici et au contact de ces sols meurtris pour comprendre le drame de la désertification et du réchauffement climatique. Dans cette vaste zone que nous appelons les Hauts-Plateaux, le climat a nettement changé en une cinquantaine d’années. Il ne faut pas attendre le siècle nouveau et son degré de plus prévu par les climatologues pour se rendre compte de cet adoucissement. Dans ma région, le degré a été atteint en quelques décennies et une inexorable dégradation climatique est visible à l’œil nu.
Oui, nous avons affaire à l’épineuse question de la désertification. Et ce n’est pas propre à l’Algérie : dans les environs immédiats des déserts d’Arabie, d’Iran, de Gobi, du Nevada et du Sahara, la végétation agonise lentement. Les déserts avancent et ce n’est pas seulement la faute de la nature. L’homme est pour beaucoup dans ce lent dépérissement qui le chassera de ces zones bientôt livrées au vent et au sable.
L'homme est responsable en grande partie de l'avancée des déserts. Certes, les dégradations naturelles sont dues à la raréfaction des pluies, l'érosion éolienne et le rude ensoleillement, mais l'homme a également apporté sa nocive contribution à l'extension des zones désertiques. Par les incendies qu'il provoquait – et provoque — pour gagner de nouvelles terres arables comme cela se pratique actuellement en Amazonie qui a tout pour figurer dans quelques siècles sur la liste des déserts mondiaux ! Et aussi par l'extension des pâturages et leur surcharge : la rentabilité exige des conditions d'exploitation maximum et l'on se retrouve avec des troupeaux dépassant les possibilités fourragères des zones pastorales. La conséquence est l'appauvrissement des terres. L'herbe cède le pas à des plantes ligneuses qui, à leur tour, n'arrivent pas à fixer des sols de plus en plus fragiles. Le résultat est la disparition progressive de la végétation ; les sols perdent leurs matières organiques pour finir en sable emporté par les vents.
En Algérie, la situation est vraiment inquiétante. Les règlements en vigueur dans les années 70 comme ceux interdisant les labours dans la steppe ou fixant une limite au nombre de bêtes sur les pâturages ; tous ces règlements ont disparu ou ont été bafoués. Dès qu'il y a une bonne pluviométrie, la charrue fonce sur ces sols en piteux état pour les fragiliser davantage. Nous payons le prix fort de cette irresponsabilité et l'on voit bien que le désert avance partout. Il monte vers le nord à un rythme effrayant. Toute la zone située au sud du Tell est concernée. Aux grands maux les grands remèdes : seule une opération d'envergure, de dimension nationale, impliquant les populations riveraines dans un cadre socioéconomique nouveau, peut constituer un début de solution.
L’Algérie révolutionnaire des années 70 a été parmi les premiers pays à prendre conscience du problème et à proposer des solutions qui ont fait école. L’idée était toute simple : tenter d’arrêter l’avancée inexorable du désert. Comment ? En dressant une barrière d’arbres tout au long de cette zone steppique qui va des frontières marocaines aux confins algéro-tunisiens. Nos experts de l’époque, une pléiade de spécialistes de niveau mondial, maîtrisaient la question. Ils me disaient : «Nous sommes partis d’une idée qui ne vient pas à l’esprit de beaucoup de gens. Le Sahara, tel que nous le connaissons, n’a jamais été un océan de sable, il y a des milliers d’années. En remontant de 8 000 années à travers l’Histoire, on s’aperçoit que le Sahara était couvert de forêts de cèdres et qu’il bénéficiait d’une pluviométrie qui est aujourd’hui enviée par certaines régions plus au Nord : 500 à 1 000 mm.»
J'ai eu la chance d'effectuer un grand reportage qui m'a mené d'El-Bayadh à Tébessa, sur plus de 1 200 kilomètres. Cela se passait en 1976. J'ai parcouru les six groupements du Service national qui avaient en charge ce grand projet de l'Algérie révolutionnaire et l'image qui m'en reste est celle d'une génération pour qui le mot impossible n'existait pas. L'autre souvenir impérissable est cette mobilisation dans la ferveur révolutionnaire et l'enthousiasme juvénile de ces appelés que ni le froid terrible de ces régions ni leurs étés insupportables n'ont empêché d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions. J'ai vu comment des ingénieurs de différents domaines d'activité se sont reconvertis en experts forestiers menant les travaux de reboisement avec sérieux et professionnalisme et comment ils ont organisé les tâches en amont et en aval. J'ai vu comment l'esprit d'initiative et le compter sur soi ont donné des ailes aux idées les plus folles : créer des pépinières pour alimenter les chantiers, organiser le travail en dehors de la saison de plantation (octobre-mars), tracer des pistes dans les forêts, édifier des retenues d'eau, construire des villages agricoles, utiliser les centres médicaux de l'armée implantés dans les groupements et sous-groupements pour soigner les nomades et les villageois riverains, etc. J'ai vu comment s'organisait la vie dans les camps, que mangeaient les appelés, où ils dormaient, quels étaient leurs loisirs, où ils passaient leurs sorties en permission. Tout n'était pas parfait mais l'ardeur juvénile et l'amour de la patrie ont fait oublier à ces jeunes leurs rudes conditions pour les pousser à travailler dur et, surtout, à croire en ce qu'ils faisaient.
À El-Bayadh, je suis tombé sur un sous-groupement qui précédait les autres. Son rôle : préparer les potées pour les prochaines plantations. Ses éléments se trouvaient loin de la base et devaient survivre sous de fragiles tentes submergées de flocons et ployant sous les vents. Je suis passé dans cette région en pleine tempête de neige et pour qui ne connaît pas El-Bayadh, c'est la Sibérie garantie en hiver. Le soir, dans la chaleur douillette d'un salon d'hôtel surchauffé, j'ai eu une pensée émue pour ces jeunes. À Aflou, j'ai aimé l'ambiance de cette projection cinématographique hebdomadaire bruyante et chahutée. À Tadmaït (Djelfa), j'ai croisé des appelés officiers qui voulaient faire carrière dans l'armée. À Bou-Saâda, j'ai vu ce que le Service national a fait d'une vaste zone connue pour son sable s'étendant à l'infini. C'est devenu un paradis ! À N'Gaous, j'ai vu les beaux résultats d'une expérience qui, en partant des pratiques culturales locales, a généralisé la plantation des abricotiers. Les appelés officiers me faisaient part fièrement du résultat : «Pourquoi planter partout des pins ? Là où c'est possible, là où il y a des fellahs prêts à prendre la relève, nous plantons des arbres fruitiers...» À Tébessa, j'ai rencontré le docteur Kennouche, totalement vidé après une journée harassante consacrée aux soins prodigués à des enfants des douars de El Ma Labiodh.
C'était en 1976. Aujourd'hui que l'on parle de la reprise de ce gigantesque projet, il faut nécessairement faire le bilan de la première expérience pour en tirer les leçons. L'ANP et l'enthousiasme des appelés ne seront plus là. Il faut penser à faire appel à une main d'œuvre locale expérimentée, encadrée par les compétences du secteur forestier. Mais il faut beaucoup de monde car ces chantiers sont pharaoniques ! L'autre leçon — et c'est la cause de la dégradation d'une partie du Barrage vert — concerne le suivi des opérations. Quand l'ANP a quitté la steppe, un grand vide s'est fait ressentir parce que les équipes squelettiques des services forestiers se trouvaient dans l'impossibilité d'assurer l'arrosage des plantes nécessaire pour les premières années des pousses. Personne aussi pour surveiller ces gigantesques nouvelles forêts contre les dégradations et les prédations des populations riveraines. Très vite, les anciennes pratiques sont revenues comme les incendies volontaires, les cultures en zone interdite et le surpâturage. Le Barrage vert est une solution originale typiquement nationale qui a marqué l'Algérie des années 70. Sa reprise augure d’une ère nouvelle pour ces vastes zones oubliées par le progrès et où tout reste à faire…
M. F.



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