Situé à environ 4 km au nord de Tlemcen, au pied des monts de Tlemcen et près de la chaîne de Lalla Setti, le village de Bréa, aujourd’hui nommé Abou Tachfine depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, est un lieu chargé d’histoire. Fondé en 1846 sous la colonisation française, ce village agricole a joué un rôle clé dans le développement de la région. Cet article retrace son histoire, son patrimoine, son économie et son état actuel, avec une attention particulière portée à l’état de délabrement de son ancien cimetière chrétien.
Une fondation sous la colonisation française
Bréa fut créé dans le contexte de l’occupation française de Tlemcen, amorcée en 1836 et consolidée en 1842 sous le général Bugeaud. Quatre villages furent alors établis autour de Tlemcen : Negrier, Saf-Saf, Hennaya et Bréa. Ce dernier, nommé en l’honneur du général Bréa, assassiné en 1848, fut fondé autour d’un lieu-dit appelé « La Ferme », une propriété confisquée pour approvisionner les troupes françaises. Entouré d’une enceinte en terre battue avec des tambours en maçonnerie, Bréa servait de bastion avancé, dont les vestiges étaient encore visibles en 1962.
Sous l’impulsion du capitaine Safrane, originaire du Béarn, le village connut un développement rapide. Safrane y attira des colons béarnais, dont ses nièces et leurs familles, qui reçurent des concessions agricoles. En 1849, Bréa s’étendait sur 630 hectares, répartis en une cinquantaine de propriétés. En 1856, sa superficie fut augmentée de 425 hectares, atteignant environ 1400 hectares en 1962.
Une économie agricole prospère
L’économie de Bréa reposait initialement sur les céréales, avant de se tourner vers l’élevage, plus rentable. Rapidement, les vignobles et les oliviers devinrent les piliers de la richesse locale. Les cépages cultivés incluaient le Carignan, l’Alicante, le Cinsault, le Grenache pour les vins rouges, et le Maccabeo, la Malvoisie, l’Ugni blanc et le Muscat pour les blancs, produisant les réputés « Vins des coteaux de Tlemcen ». Des raisins de table, comme le Muscat et le Valency, étaient également prisés.
Les olives, transformées à l’huilerie coopérative de Tlemcen, donnaient une huile vierge de première pression à froid. Les vergers (cerises, pêches, grenades, agrumes) et les cultures légumières, irriguées par des systèmes traditionnels, complétaient l’économie. Une distillerie de la Société Industrielle d’Afrique du Nord (Sian) traitait les marcs de raisin, et une voie ferrée étroite (Tlemcen-Bréa-Hennaya-Benisaf) facilitait le transport des marchandises.
Une communauté en croissance
La population de Bréa croissait régulièrement. En 1911, le village comptait 251 habitants répartis en 57 familles. En 1962, environ 200 personnes y vivaient. Un événement marquant fut la naissance du premier enfant du village, un garçon de la famille Bernard, dont le général Mac Mahon devint le parrain.
Infrastructures et vie sociale
Éducation : Une école mixte fut établie dès 1851, initialement réservée aux enfants des colons, puis ouverte aux enfants autochtones avant l’indépendance. Parmi les institutrices, on note Mme Loustalot (1851) et Mme Bez Adonis (1866).
Religion : Jusqu’en 1856, le culte était assuré par le curé de Tlemcen, qui se déplaçait à cheval. Une paroisse dédiée à Saint-Dominique fut créée en 1856, avec l’abbé Jean Gaubert comme premier curé. Une église, construite en 1869, fut abandonnée entre 1920 et 1925 en raison de défauts structurels.
Administration : Bréa dépendait de la municipalité de Tlemcen, avec des adjoints spéciaux comme Joseph Lombard (1854-1857), François Mirande (1861) ou Paul Santucci, dernier délégué spécial.
Vie quotidienne : Le village disposait de gardes champêtres, d’un central téléphonique manuel (géré par Mme Amédée Cochet jusqu’à l’automatisation en 1958-1960) et de rues bordées de mûriers.
Un patrimoine marqué par le temps
Le paysage de Bréa, façonné par des calcaires jurassiques, des grottes, des sources et des nappes aquifères, offrait des terres fertiles. Les vestiges coloniaux, comme l’enceinte fortifiée, témoignaient de son passé militaire. Une maison coloniale notable, construite par M. Aventir, abrita autrefois le seul bistrot du village.
Le cimetière chrétien : un symbole de délabrement
L’un des vestiges les plus poignants de l’histoire coloniale de Bréa est son ancien cimetière chrétien, aujourd’hui dans un état de délabrement total. Les tombes, autrefois entretenues, sont envahies par la végétation, les stèles sont brisées ou renversées, et l’enceinte est partiellement effondrée. Ce lieu, qui abritait les sépultures des premiers colons et de leurs descendants, reflète l’abandon progressif des infrastructures coloniales après 1962.
Abou Tachfine aujourd’hui
Depuis 1962, Bréa, renommé Abou Tachfine, est intégré à la commune de Tlemcen (depuis 1984). Le village conserve un caractère résidentiel, avec des commodités modernes comme une mosquée, des écoles et une pharmacie. Le marché immobilier y est dynamique, avec des villas et propriétés prisées pour leur calme et leur proximité avec Tlemcen.
Conclusion
Bréa, ou Abou Tachfine, est un village dont l’histoire reflète les dynamiques complexes de la colonisation et de l’indépendance. De ses origines agricoles à son rôle de bastion colonial, en passant par son riche patrimoine, il incarne une mémoire vivante de la région de Tlemcen. Cependant, des lieux comme son cimetière chrétien, aujourd’hui en ruine, rappellent la fragilité du patrimoine face au temps. Préserver ces vestiges pourrait permettre de transmettre cette histoire aux générations futures.
La photo ci-dessus illustre cet état d’abandon :
Le cimetière chrétien de Bréa, envahi par la végétation et en ruine, témoigne du passage du temps et de l’oubli.
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Posté par : tlemcen2011