Bouira - Revue de Presse

Bouira Ali Chikhi ou les chemins qui montent



Bouira Ali Chikhi ou les chemins qui montent
Publié le 07.09.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Ali Douidi

Assez timide encore dans les années 80, elle fait tout à coup un bond spectaculaire à la faveur des événements de Kabylie qui ont vu sa promotion en tant que langue nationale. Et c'est tout le côté «Far West» (entendre par là terres vastes et en friche), et c'est tout le côté «ruée vers l'or» qui est dévoilé dans cette période, où chaque jeune se sentant pousser des ailes, se lançait sur la voie de la création. On assista alors à l'éclosion de toute sorte de talent: dans le roman, dans la peinture, dans la chanson et jusque dans l'artisanat.
Le chanteur Ali Chikhi appartient à cette génération. Très jeune, il subit l'influence d'un autre chanteur kabyle: Athman Hamani. Il n'en fallait pas plus pour que le jeune coeur s'enflamme. Il y a cette langue, dont le garçon de dix ans découvrait la fraicheur et la beauté et qui lui susurrait des choses si tendres à l'oreille, et puis, il y a cette musique qui l'accompagnait et qui rendait les mots simplement divins. Sur le chemin de l'école, le gamin de Taghzout (Haïzer) découvrait ainsi cette poésie, ce trésor caché dans les mots et les notes de musique en les fredonnant.

Une époque difficile
On est d'une époque, comme on est d'une ville ou d'une région. Ce digne fils de ce village au pied de la montagne portait dans son coeur un trésor qu'il brûlait de l'envie de partager. «Toutes les musiques et toutes les chansons sont belles. Et moi, que voulez-vous, je suis sensible à ça» se confiait-il à nous, lors de notre rencontre à la Maison de la culture.
Une question le travaillait: ferait-il partie de ce groupe d'artistes et d'artisans qui se préparaient à aller exposer leurs produits à Constantine dans le cadre des échanges culturels organisés par notre wilaya, ou bien attendrait-il sagement le départ assez lointain de l'autre groupe pour El Meniaâ? Il hésitait. Il ne voyait pas ce qu'il gagnerait à l'un comme à l'autre déplacement. Deux millions de centimes à chaque participation...
La somme lui semblait dérisoire...Alors que s'il restait...C'est la période des fêtes et ce qu'il y gagnerait lui paraissait assez intéressant. Le ton était amer.

Pourtant, c'est un chanteur à succès...
Les temps sont durs. Et bien plus durs encore avec l'artiste qui, sans les fêtes et les tournées à travers le pays, mourrait certainement de faim. Pourtant, c'est un chanteur à succès. Son dernier tube lancé sur Youtube lui a valu d'être visité plus d'un million de fois. Sa musique fluide et écrite sur un rythme rapide envoûte, emporte. Il a composé six albums et les six marchent bien.
La preuve, ses tournées qui l'ont porté de son village natal jusqu'à Naâma, Saïda, Bechar et Tindouf. Il s'était même produit à la salle Trappe, à Paris, au Maroc et en Tunisie. Parce qu'il a su varier sa thématique qui touche à l'amour, au respect, à la vie, la misère, son public est divers: il y a les Kabyles, bien sûr, parce que Chikhi chante en kabyle, mais il y a aussi les Arabes et les Français...Et puis, est-ce qu'on a besoin de tout comprendre dans une chanson? La voix et la musique qui l'accompagnent tiennent lieu de sens.
Le reste, ce sont des mots. Hélas, aux salles pleines ont succédé les salles vides. Plus de public pendant trois ans. la Covid est passée par là et a soufflé un froid sur les soirées. Pendant trois ans, le chanteur lui-même a connu ce calvaire: le repos forcé imposé par la mesure de confinement. Il ne chanta plus, il ne pouvait plus gagner sa vie. Il s'ennuya. Alors, il chanta de nouveau, mais pour lui seul. Cela lui arrive encore de chanter pour lui seul. Car l'ennui est toujours là, même si rien ne vous oblige à rester à la maison.

Remonter la pente
Seulement, il y a autre chose: it y a la vie qui est devenue plus dure encore. «Je m'enferme dans une pièce vide et je joue de la guitare et je chante.» Chanter pour soi...c'est-à-dire devenir son propre public pour se distraire, mais aussi pour tâcher de trouver d'autres pistes, d'autres airs, d'autres mots, d'autres rythmes. C'est ça aussi le travail d'artiste. Chanter, c'est aussi chercher...
La dernière chanson date de 2016, El Oualdin. Puis, il y a eu le confinement et la chanson s'est tue, brusquement. Il a fallu cravacher pour remonter la pente.
Ali sent monter l'envie et la ferveur qui faisaient la joie et le bonheur des vieux jours. Il part à la rencontre de nouvelles inspirations. Naturellement il rêve. Comme tout poète qui a besoin de mots, mais aussi comme tout chanteur en quête de mélodies.
«Il y a toujours de l'espoir quand on cherche, assurait-il. Et le mien est d'écouter ce qu'apporte le vent de l'inspiration. C'est cet espoir qui conduit vers les sommets de la gloire.»
La prochaine chanson? Un clip, plutôt et une chanson: «Semhyi a tha zaoulith». Histoire de se prouver que rien ne peut arrêter le talent quand ledit talent a encore des choses à montrer.

Ali DOUIDI

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