Un Témoignage Historique à Biskra
Au cœur de Biskra, surnommée la « Reine des Zibans », se dressait un monument aux morts dédié aux soldats tombés lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Ce mémorial, érigé dans le canton de Biskra durant l’entre-deux-guerres, portait les noms de 341 soldats « Morts pour la France », issus de toutes origines – indigènes algériens et colons européens confondus. Ce relevé, référencé sous le n°57387 par la Commune Mixte de Biskra, témoigne de la diversité des combattants biskris ayant sacrifié leur vie sur les champs de bataille européens.
Une Œuvre Artistique et Symbolique
Conçu par l’architecte local Quinemand, basé à Biskra, et sculpté par Émile Popineau (1887-1951), ce monument fut réalisé en 1928 et inauguré le 10 février 1929. Popineau, né à Saint-Amand-Montrond (Cher) et résidant à Paris, découvrit l’Algérie en 1924 avant de s’y établir partiellement à Bône (Annaba), influencé par ses liens familiaux – son épouse étant la fille du peintre algérien réputé A. Gadan. L’œuvre, mêlant calcaire et bronze, incarne un style sobre mais poignant, typique des monuments aux morts de l’époque coloniale, visant à honorer les héros anonymes dans un esprit d’égalité face à la mort.
Les 341 Noms Gravés dans la Mémoire
La liste des soldats, longue et émouvante, reflète la pluralité ethnique et sociale de Biskra. Parmi eux figurent des noms tels qu’Abbas Ben Mebarek (1915), Ahmed Ben Abdelkader (1918), Alemany François (1918), ou encore Touitou Mardochée (1918), illustrant l’union des communautés musulmanes, juives et européennes dans l’effort de guerre. Ces hommes, tombés entre 1914 et 1919, incarnent le lourd tribut payé par la région, que ce soit dans les tranchées de la Somme, à Verdun ou ailleurs. Les registres, bien que précis sur les noms et années de décès, laissent souvent dans l’ombre les détails de leurs parcours, renforçant le caractère universel de leur sacrifice.
Contexte et Signification
Sous la colonisation française, Biskra, ville stratégique et carrefour culturel, envoya des milliers de ses fils combattre pour la France. Les tirailleurs algériens, souvent loués pour leur bravoure, côtoyaient les zouaves et chasseurs d’Afrique issus des colons. Ce monument, comme d’autres en Algérie, reflétait une « fraternité d’armes » mise en avant par les autorités coloniales, bien que cette reconnaissance symbolique n’ait rarement conduit à des droits égaux pour les indigènes. Inauguré en 1929, peu avant le centenaire de la conquête française (1930), il portait aussi une dimension impériale, mêlant mémoire de guerre et affirmation coloniale.
État Actuel et Héritage
Si le monument a marqué le paysage biskri jusqu’à l’indépendance en 1962, son sort reste incertain. Comme beaucoup de mémoriaux coloniaux, il a pu être démantelé, déplacé ou transformé après la guerre d’Algérie. Toutefois, les noms qu’il portait subsistent dans les archives, notamment via le relevé n°57387, préservant la mémoire de ces 341 soldats. Des références historiques, telles que l’article de L’Afrique du Nord Illustrée (16 février 1929) ou le dictionnaire d’Élisabeth Cazenave (2001), soulignent son importance artistique et mémorielle.
Conclusion
Le monument aux morts de Biskra demeure un lieu de mémoire, un pont entre passé colonial et identité locale. À travers ses 341 noms, il raconte une histoire de courage, de sacrifice et de diversité, ancrée dans une ville qui, entre oasis et désert, a vu ses enfants tomber pour une cause lointaine. Aujourd’hui, il invite à réfléchir sur la complexité de l’héritage franco-algérien et sur la nécessité de préserver ces traces d’histoire.
Références Utilisées :
L’Afrique du Nord Illustrée, 16 février 1929.
Parisot, M., Algérie, Tunisie, Guides Bleus, 1955, p. 450.
Cazenave, E., Les artistes de l’Algérie, 2001, p. 366.
Alzieu, T., De Batna à Biskra, 2006, p. 74.
Richemond, S., Les Orientalistes, 2008, p. 178.
David, F., Comprendre le monument aux morts, 2013, p. 93.
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Posté par : patrimoinealgerie