Biskra - HISTOIRE

Dachra Dhahraouia ou Village Rouge



Dachra Dhahraouia ou Village Rouge

Située à flanc de montagne, cette partie à l’ouest d’EL-KANTARA est un musée à ciel ouvert où les habitations traditionnelles et les rues tortueuses donnent au paysage un aspect typique.
Elle a été fondée par un groupe de familles qui étaient venues lors des conquêtes musulmanes en passant par la Maroc. Comme pour braver les éventuels pillards ou bandits de grands chemins, les maisons s’accrochent au pied de la montagne et jettent un regard discret sur les
jardins situés en bas, sur la rive droite de l’Oued El Haï.
DACHRA DHAHRAOUIA est le nom donné à cette vieille partie d’EL-KANTARA qui est la plus ancienne par les habitants des autres villages grâce à sa situation stratégique et son emplacement sur les hauteurs surplombant l’Oued El-Haï et la palmeraie. Quand les Français s’installèrent à EL-KANTARA et créèrent leur village européen dans les Gorges, ils partagèrent le village en 03 parties : DACHRA DHAHRAOUI devint alors le VILLAGE ROUGE, à cause de ses terres rougeâtres peut-être.
HISTORIQUE
EL-KANTARA a été de tous temps habité. Mais les descendants des habitants actuels, les uns Berbères, d’autres Arabes, sont sûrement venus s’installer dans le village vers 1048. Ils opposèrent une résistance farouche aux attaques des pillards des tribus avoisinantes ou de passage qui dévastaient leurs cultures et leurs champs.
Les premiers habitants de DACHRA DHAHRAOUIA sont d’origine berbère puis arabe, lors des conquêtes musulmanes sous la conduite d’OKBA IBN NAFAA et avec l’arrivée des Beni-Hillel et Beni-Salim d’Egypte sous le règne des Fatimides vers 1048, plusieurs familles s’y sont installées. Ils constituent la fraction des Ouled Si Ali MHAMED qui se compose des sous fractions : Ouled Bechina, Ouled Tadjine, Ouled Menina, Ouled Nacer, Ouled Si Mohamed et les Khettatra, auxquelles sont venues s’intégrer d’autres tribus.
Ainsi, les habitants de DACHRA DHAHRAOUI qui sont venus de DACHRAT EL KHEMIS à l’autre versant de la montagne d’EL-KANTARA après le passage des Beni-Hillel, réussissaient le plus souvent à faire fuir les arrivants grâce à leur position élevée et aussi grâce à la tactique employée lors de la confrontation avec leurs adversaires : en effet cette partie se trouve sur la rive droit de l’Oued El Haï sur les hauteurs de ses méandres et grâce à la vigilance des guetteurs positionnés à tous les endroits , ils réussirent à repérer l’ennemi et le poursuivre jusqu’à l’Oued El Haï qui est une barrière naturelle. Les armes utilisées alors étaient « el-mouglaâ » ou le lance-pierres et « el-haraoua » ou le gourdin. Ils résistèrent également au fil du temps à d’autres envahisseurs tels les Vandales. Puis c’est au tour des Romains de franchir les Gorges d’EL-KANTARA et pour accéder au Sud, ils construisirent un pont en pierres d’une arche de 10 mètres d’ouverture et de 4,90 de largeur, d’où le nom « el-gantra » donné par les nomades qui passaient par ce pont et qui lui est resté jusqu’à nos jours (environ 19 siècles). Les Romains stationnèrent à EL-KANTARA, le Calceus Herculis était un Centre urbain important, en effet « deux corps d’archers originaires de Palmyre ou d’Hemèse, en Syrie, y tenaient garnison ».
A DACHRA DHAHRAOUIA se trouve le musée lapidaire fondé par un certain Gaston de VULPILLIERES qui y a consacré 25 ans de son existence à chercher les vestiges de l’ancienne ville romaine ( bornes militaires, stèles, colonnes, inscriptions, autels, statues, épitaphes d’EL-KANTARA, et même la monnaie , etc…) mais malheureusement , après l’indépendance, la majorité des objets ont été pillés ou détournés vers d’autres musées de la région ; il ne reste aujourd’hui que quelques grosses pièces de moindre importance.
Quand les Romains partirent, les Byzantins les supplantèrent mais pas pour longtemps en ne laissant pas tellement de traces comme leurs prédécesseurs. Puis c’est au tour des Turcs de passer par EL-KANTARA, avec leurs beys leurs deys, leurs aghas, leurs kouroughlis, leur beylik, leur beïtel-mel, etc… Lorsque les Français, sous l’Empereur Napoléon III, arrivent à EL-KANTARA et foulent pour la première fois le pont romain vers 1844 en suivant l’ancienne route romaine (qui n’existe plus aujourd’hui) , ils ne manquèrent pas « de défigurer ce monument par une restauration inopportune » vers 1862 ( la plaque existe jusqu’à aujourd’hui) . Puis ils construisirent l’actuelle route qui s’appelait route impériale.
Pour joindre DACHRA DHAHRAOUIA (qu’ils appelèrent VILLAGE ROUGE), aux autres villages, ils construisirent 1888 une passerelle en fer pour piétons et charrettes (aujourd’hui disparue écroulée en 1988 sous le poids d’un camion).
Avec la naissance de l’Etoile Nord-africaine puis le Parti du Peuple Algérien (P.P.A.), le nationalisme a commencé à renaître. EL-KANTARA, alors petit village suivit le mouvement à l’instar de l’ensemble du pays.A DACHRA DAHRAOUIA, les BELLAL AHMED puis BELLAL MOHAMED CHERIF, ABDELHAMID SLIMANE, BELLAL LARBI, ABDELHAMID TAHAR, MENINA MOHAMED et bien d’autres militaient et participaient aux élections dans leurs partis respectifs contre ceux présentés par l’Administration coloniale.
En 1946, le Centre Municipal ouvre ses portes à EL-KANTARA et à sa tête la DJEMAA (l’équivalent de l’APC d’aujourd’hui) dont faisait partie comme membre ABDELHAMID SLIMANE.
Quand le Premier Novembre déclencha la Révolution, les Kantris étaient prêts pour défendre et libérer leur pays de l’oppresseur.
Les jeunes de DACHRA DHAHRAOUIA commençaient à rejoindre les rangs de l’ALN (Armée de Libération Nationale), comme les ZERROUG, les YOUB, les ABDELHAMID et d’autres. Les femmes tissaient les burnous et les kachabias, taillaient et cousaient les uniformes et drapeaux et préparaient les repas. Tous les jours, d’immenses quantités de produits alimentaires et vestimentaires transitaient à dos de mulets ou d’ânes vers leurs destinations précises grâce aux valeureux moussebilines (maquisards).
Il y avait une armada de soldats français et de harkis cantonnés dans des casernes ou des postes de gardes au milieu même des habitations. On entoura le village de fils barbelés et le couvre-feu fut instauré dès 1956. Des rafles furent organisées parmi la population et les tortures infligées aux principaux suspects, des combattants exécutés devant grands et petits d’où fusaient les you-yous des femmes, mais rien n’est venu à bout de ce peuple courageux et fier jusqu’à ce qu’il retrouve sa liberté et son indépendance.

La vie économique des Habitants
La palmeraie d’EL-KANTARA était dans le passé la principale ressource économique des habitants. En effet, plantée de plus de 50.000 palmiers dattiers et d’une multitude d’arbres fruitiers, c’était la fierté de nos pères et grands-pères. Cette immensité verdoyante leur procurait subsistance et besoins domestiques. Les dattes et les fruits abondaient dans les jardins cultivés et entretenus par les Kantris qui, du matin au soir, s’affairaient aux différents travaux, s’occupaient à tailler les arbres, à entretenir les palmiers dattiers majestueux et à récolter les fruits qui nourrissaient toutes les familles. C’était leur vie, ils n’achetaient chez l’épicier que rarement un peu de café et de sucre. Le lait provenait des chèvres, le blé des champs avoisinants. Leurs vêtements, ils les fabriquaient eux-mêmes car les femmes jadis travaillaient la laine et « tissaient des fins haïks de laine et de soie et des oussadas et des coussins ornés ». Les hommes confectionnaient des outils en fer et des objets en palmes ou en osier, des poteries parfois. Ils faisaient de même le troc de leurs produits avec d’autres membres de tribus voisines qui transitaient par le village. L’irrigation des vergers se faisait grâce à un système de SEGUIAS (rigoles ou conduites d’eau creusées dans la terre). Les Ouled Si Ali ben Mhamed creusèrent les premières séguias : DJIZA et TABDOUKH. L’eau des séguias était MELK (privée) et les parts d’eau pouvaient être louées ou vendues.
Ainsi, il y avait autrefois des règles dans la manière de partager et d’utiliser les eaux d’irrigation.
L’enseignement
Depuis longtemps, les enfants de DACHRA DHAHRAOUIA allaient le matin de bonne heure au djamâ (l’école coranique) et apprenaient le Coran et les règles de l’Islam. Il y avait plusieurs écoles coraniques où les Talebs (enseignants) dispensaient aux élèves des cours religieux. On célébrait les fêtes religieuses comme le Mouloud, l’Achoura et les 02 Aïd par des veillées aux mosquées et des visites aux familles ou aux voisins. Puis vint l’école française. L’unique école bâtie vers 1892 au Village Blanc était fréquentée par des élèves qui venaient des 03 villages d’EL-KANTARA.
Vers les années 30, on construisit une école de style mauresque au Village Rouge. Ainsi, les enfants étudiaient le Coran à l’école coranique, apprenaient les rudiments de la langue française à l’école française, mais aussi certains allaient à la Médersa El-Houda vers les années 40 pour apprendre la grammaire arabe, la théologie et le calcul sous la direction d’imams et érudits tels les frères SOLTANI. Ainsi d’illustres personnalités ont émergé tels :
El-Hadj Ahmed ben Messaoud El-Gantri BELLAL.
Né en 1870 dans une famille modeste, il apprit le Coran dès son jeune âge puis quitta son village natal EL-KANTARA et se dirigea vers la ville de TOLGA pour étudier la théologie et la grammaire arabe dans un établissement appelé « Zaouiat Dar Ali Ben Amor » sous la conduite d’éminents professeurs tel Cheikh El-Madani. Armé de patience et doué d’une grande intelligence, le jeune homme trouva aide et honneur dans cet établissement si bien qu’il y passa de nombreuses années jusqu’à
l’âge de 20 ans (environ de 1888 à 1908). Scribe admirable, il a laissé dans cette école beaucoup de manuscrits qui témoignent aujourd’hui de son passage. Il revint dans son village nourri de sciences et de savoir qu’il tenta de passer aux siens, cependant il ne tarda pas à se déplacer une autrefois. C’est à SEGGANA (Barika) qu’il élu domicile vers 1910 et là il connut Ibn El-Oudheini Mohammedi, chef nationaliste algérien et leurs idées se complétèrent de telle façon qu’ils nouèrent des relations pendant plus de 07 ans. Pendant ce temps, le Parlement et le Sénat français commençaient à étudier l’enrôlement des Algériens dans l’armée française (Service militaire obligatoire pour les Indigènes). Les intellectuels étaient contre cette idée. L’insurrection commençait à germer dans l’esprit des Algériens. Ahmed ben Messaoud BELLAL El-Gantri et le chef nationaliste Ibn El-Oudheini en partance pour la Mecque dans le but de faire le pèlerinage, firent un détour par la Turquie pour demander de l’aide militaire (hommes et armes) pour le futur soulèvement en Algérie. Mais, ils furent déçus par la réponse turque qui ne concernait que l’aide diplomatique et morale. En 1916, Merouana et surtout à Aïn-Touta furent le théâtre de soulèvements d’algériens contre le colonialisme français où des notables français ont été tués. Ainsi Ibn-Oudheini fut capturé par l’Armée française et El-Hadj Ahmed ben Messaoud se dirigea vers la Zaouia de TOLGA fuyant ses poursuivants. Il y resta et y enseigna jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale. Puis il retourna dans son village EL-KANTARA où il enseigna aux simples gens la théologie, la grammaire arabe, le Tafssir du Coran. Dans les années 20, il travaille à la Mahakma d’El-Kantara comme commis et s’occupe des affaires individuelles telles les mariages, les divorces, les problèmes de partage, d’adoption …)En 1933, ayant réussi à l’examen d’Imam, il est nommé à la mosquée Abdelmoumène au Vieux BISKRA, en même temps il occupe la fonction de Commis.
C’est ainsi qu’il consacra sa vie à l’enseignement de la théologie, de la grammaire arabe, des principes de l’Islam, et pendant les nuits du Ramadhan au Tafssir du Coran d’une part et des affaires religieuses à la Mahakma d’autre part. Il est l’un des principaux initiateurs de la création de la Médersa El-Houda dans les années 30, cet établissement qui était la fierté des Kantris , sous la direction du Cheikh Lamine SOLTANI et d’éminents enseignants d’EL-KANTARA a permis de rehausser le niveau culturel et patriotique des jeunes.
En résumé, nous pouvons dire que EL-Hadj Ahmed Ben Messaoud BELLAL El-Gantri était une école vivante qui propageait la science, la fraternité parmi les humbles, le droit, et partout où il allait il sensibilisait les gens à faire du bien jusqu’à sa mort en 1954.
D’après Ahmed BENDIAB, Poète et écrivain kantri

Citons aussi ABDELHAMID Slimane, nationaliste dès son jeune âge, il défendit son village et son pays. Membre de la première Djemaâ (Assemblée locale élue) en 1946 à la création du Centre Municipal à EL-KANTARA. Il rejoignit l’ALN et tomba au champ d’honneur en 1958. Il y a également BELLAL Larbi, Si Tayeb, ABDELHAMID Tahar, MENINA Mohamed, et d’autres encore. Les femmes méritent aussi d’être citées : Khamsa HAYOUN et Khamsa ABDAOUI ont participé pleinement aux côtés de leurs frères pendant la Guerre de libération nationale, de même que les familles YOUB, ZERROUG qui ont donné leurs meilleurs fils.

La culture
Cet endroit pittoresque a attiré de nombreux écrivains et poètes français et algériens de par le passé. Ils ont fait son éloge et vanté ses paysages magnifiques.
« A EL-KANTARA, où je m’attarderai deux jours, le printemps naissait sous les palmes ; les abricotiers étaient en fleurs. Nous passâmes dans cet éden deux jours paradisiaques ».
Ecrit par André GIDE, venant de Biskra.
«La palmeraie, toute la palmeraie d’EL-KANTARA se déploie devant mon regard ; il y a là près de cent mille palmiers, dont la verdure moutonnante s’étale comme un disque d’émeraudes… »
Louis Bertrand

La maison traditionnelle
Faisant partie intégrante du site naturel dans une parfaite harmonie, le Village Rouge (actuellement Cité du 08 Mai 1945) est un patrimoine national qui a résisté aux temps et diverses invasions. C’est un modèle d’architecture arabo-musulmane qui est en voie de restauration dans le but de préserver son cachet typique mais aussi pour attirer les visiteurs qui retrouveront les mêmes habitations d’antan à côté des différentes échoppes d’artisans ( poterie, vannerie, tissage, bijoux …). Les maisons à DACHRA DHAHRAOUIA sont bâties en « toub ».
C’est un aggloméré préparé à partir de terre et d’un modèle uniforme au moyen d’un moule en bois. Le toit est en terrasse et recouvert de troncs de palmiers qu’on découpe transversalement, de palmes, de terre et parfois d’osier. Les fenêtres sont parfois de petites ouvertures.
A DACHRA DHAHRAOUIA, on trouve DAR Cheikh, une maison de type architectural arabo-musulman. Dès l’entrée, on est dans une cour plantée d’arbustes puis avant de pénétrer dans les différentes pièces, tout autour se trouve un balcon ou galerie que supportent plusieurs colonnes et dont le toit en terrasse est fait de troncs de palmiers coupés et de terre. On monte au premier étage par un escalier intérieur et on trouve le même balcon ou galerie. De petites fenêtres s’ouvrent sur la cour avec des persiennes fermées pour éviter le soleil et la poussière.
Les ruelles du Village Rouge sont étroites et souvent recouvertes de sorte à former parfois un labyrinthe où le visiteur risque de se perdre.
Toutes les maisons ont presque la même disposition : dès l’entrée il y a la « sguifa » c’est un endroit fermé où on accueille les visiteurs (pour préserver l’intimité de la maison, frais en été et tempéré en hiver. Puis on entre dans une courette souvent plantée d’un ou plusieurs arbres fruitiers. Et là, vous apercevez tout autour les différentes pièces de la maison : chambre, cuisine, nsiff (magasin), …En haut, c’est le « âli » étage ou « tabga » auquel on accède par un escalier dans la cour. Dans un autre côté, les dépendances, endroit où on place les animaux (chèvres, poules) et aussi les toilettes en plein air. Les murs sont très épais pour qu’ils ne laissent pas passer ni le froid ni la chaleur torride de l’été.






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