Biskra - 01- Généralités

Cheikh Essouna Saada Eriyahi des Zibans




Sa‘âda, un Riyâhî du Zâb
Sa‘âda appartenait aux Rahmân, famille de la tribu des Musallam, branche de celle de Riyâh. Sa mère, Hudayba, pratiquait l’ascèse et la dévotion. Le jeune Sa‘âda n’échappa pas à son influence. Du Zâb où il était, il valait mieux se déplacer vers le Maroc que vers Tunis. En effet, le chemin semblait plus sûr en suivant la caravane des pèlerins de retour de la Mecque. Il décida d’aller à Tâza où il fit la connaissance du « chef des saints docteurs de l’époque », le très pieux Abû Ishâq at-Tsûlî. Cette initiative lui valut prestige et estime parmi ses contribules Riyâh. Ainsi, dès son retour au Zâb au début du VIIIe/XIVe siècle, il se fixa à Tûlqa (Tolga) et de là, il entreprit sa prédication, comme l’avait fait Qâsim chez les Sulaym aux environs d’al Qayrawân, mais avec un dynamisme et un prestige personnel plus grands. Il rallia à lui un certain nombre de chefs arabes qui appartenaient à sa propre fraction et à certains groupes voisins : Dawâwida et Zughba. « La réputation qu’il s’acquit dans l’accomplissement de cette tâche, écrit Ibn Khaldûn, lui gagna un grand nombre de partisans, tant au sein de sa propre tribu que parmi les tribus voisines. Plusieurs personnages de haut rang se mirent au nombre de ses disciples et s’obligèrent à marcher dans la voie qu’il leur avait tracée » Ce ralliement draina vers lui une masse non négligeable d’individus .de petite condition qui s’empressèrent tous de seconder les vues du réformateur. Ensemble, ils remportèrent d’abord quelques succès sur les pillards de caravanes ; mais quand il décidèrent d’imposer à Manëûr b. Fadil Ibn Muznî, gouverneur du Zâb, la suppression de taxes illicites au regard de la loi musulmane, la tâche devint plus difficile. Ibn Muznî, s’appuyant sur les principaux chefs des Dawâwida et sur des troupes régulières envoyées par Bidjâya, résista aux injonctions du réformateur, et le fit même chasser de Tûlqa. Le proscrit sortit de la ville, et se fit bâtir, dans le voisinage, une zâwiya qui devait lui servir de lieu de dévotion, de groupement pour ses disciples et de point de ralliement à son action. Ayant opéré un grand rassemblement de ses partisans, appelés Sunniyya ou Murabiíûn, il décida, vers 700/1300, de mettre le siège devant Biskra. Cette deuxième tentative ne lui réussit pas mieux. En 705/130576, ses partisans parmi les Dawâwida rentrèrent dans leurs quartiers d’hiver, et le laissèrent dans sa zâwiya avec un nombre réduit de disciples. Se croyant assez fort pour se passer de leurs services, il rassembla tous les nomades de son parti (hizb), restés dans le Zâb et assiégea Melili. Averti à temps, Ibn Muznî réagit rapidement grâce aux troupes gouvernementales mises à sa disposition par le sultan et à l’aide que lui apporta une branche des Dawâwida, les Awlâd [1]arbî. Sa‘âda fut tué avec un grand nombre de ses partisans, sa tête fut portée à Ibn Muznî. La mort du fondateur du Hizb al Sunniyya n’avait pas affaibli la « secte ».Bien au contraire, celle7ci prit une vigueur nouvelle sous la conduite d’Abû Yahyâ Ibn Ahmad Ibn ‘Umar, chef des Awlâd Mahriz, fraction des Dawâwida et disciple de la première heure de Sa‘âda. En 713/1313714, Abû Yahyâ décida le siège de Biskra. Il parvint même à saccager sa palmeraie avant de défier en une bataille sanglante les troupes d’Ibn Muznî, auxquelles s’étaient alliées d’autres Dawâwida, rivaux des Awlâd Mahriz. Au cours de ce conflit, ‘Alî Ibn Muznî perdit la vie. Les Sunniyya remportèrent une victoire complète et firent prisonnier le propre frère de leur shaykh Abû Yahyâ. Cependant, suite au décès du chef tribal et religieux Abû Yahyâ, les Awlâd Mahriz se détachèrent de la coalition. Le conseil des Sunniyya se réunit pour « choisir un faqîh capable de les éclairer sur les points obscurs de la Loi et sur les pratiques de dévotion qui pourraient les embarrasser » Ils prirent . comme guide un religieux natif de Magra, qui avait fait ses études à Bidjâya : Abû ‘Abd Allâh Muhammad Ibn al Azraq. Le nouveau guide avait fait gagné à la « secte » une place de choix sur l’échiquier politique du sud du pays, grâce au soutien que lui apportèrent des groupes d’A‘râb de la fraction des Awlâd Sibâ‘, commandés par Hasan Ibn Salâma. Le sultan abdalwâdide Abû Tâshfîn (1318/1337), qui ne cessait d’intervenir militairement contre les Hafsides en Ifrîqiya, lui servit une pension afin de garantir son appui en cas de besoin. Mais, suite à des tensions internes, les Awlâd Sibâ‘ furent battus par leurs parents Awlâd Muhammad dans des circonstances peu connues, alfaqîh Ibn al Azraq quitta ses alliés pour se retirer chez les puissants Banû Muznî qui le nommèrent immédiatement qâdî de Biskra. Revirement attendu en milieu tribal, les Sunniyya se donnèrent de nouveau des ailes en obtenant l’appui du chef des Awlâd Muhammad, ‘Alî b. Muhammad qui les avait auparavant combattus. En 740/1339740, sous la conduite de leur nouveau chef, ils attaquèrent de nouveau Biskra. ‘Alî avait en fait des comptes personnels à régler avec la famille des Banû Muznî. Ce fut d’ailleurs la dernière tentative militaire sérieuse des Sunniyya. Le mouvement hérita de la zâwiya, fondée par Sa‘âda, qui continua sa mission réformatrice. Ibn Khaldûn nous apprend que les descendants de Sa‘âda se succédèrent dans la zâwiya de leur ancêtre. Il semble même qu’ils s’étaient réconciliés avec les Banû Muznî qui leur témoignaient une grande considération. « Les Arabes de la tribu de Riyâh qui habitent le Désert leur reconnaissent le droit de donner des sauf-conduits aux voyageurs. De temps à autre, quelques individus appartenant à la tribu des Dawâwida essaient de relever la cause des sunnites, non par esprit de religion et de piété, mais parce qu’ils y trouvent un moyen de se faire payer la dîme par la classe des cultivateurs ». Nous ne savons pas ce qu’était devenu le mouvement de réforme lancé par Qâsim, mais pour Sa‘âda, fondateur de la zâwiya de Tûlqa, Ibn Khaldûn a laissé entendre qu’il était devenu chef patronyme d’une famille maraboutique. C’est peut être ainsi que le VIIIe/XIVe siècle vit naître la première configuration sociale bâtie sur de nouvelles bases religieuses et ethniques. Nos sources sont très avares en informations pour suivre de près cette nouvelle dynamique socio-religieuse. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de poser des questions quant à la manière dont étaient nées des familles maraboutiques dans un milieu tribal bâti sur la seule ‘aëabiyya avant d’évoluer vers la formation de tribus maraboutiques. En somme, les deux réformes, celles de Sa‘âda et de Qâsim, entamées au nom de la Sunna avaient eu lieu en même temps ou presque dans la première moitié du VIIIe/XIVe siècle. L’une chez les Ka‘ûb sulaymites maîtres de la steppe qayrawânaise, l’autre chez les Dawâwida Riyâh, maîtres des campagnes du Zâb. Elles représentaient des aventures extrêmement intéressantes, « où apparaît clairement, écrit Brunschvig, l’éternel conflit entre nomades et sédentaires, mais aussi entre nomades apparentés, où les motifs profanes s’imbriquent dans des mobiles religieux et souvent les dominent, où s’entrecroisent les influences et s’entremêlent les milieux sociaux ». Dans un tel univers mental et psychologique comment ne pas s’attendre à ce que le soufisme popularisé (soufisme de sens commun) trouve une large diffusion ? N’apportait- il pas, que la conception d’un Dieu plus puissant que les espritsdémoniaques, l’idée qu’Allâh pouvait transmettre à certains hommes une part de son pouvoir, de sa baraka ? S’ajoutait à cela que l’absence d’un pouvoir politique fort et cohérent semble avoir laissé un vide charismatique que des chefs tribaux nomades comme Qâsim et Sa‘âda, anciens détrousseurs de caravanes avaient rempli en proposant à leurs disciples une nouvelle alternative alliant ‘aëabiyya et da‘wa. C’est ainsi que pour la fin du IXe/XVe et le début du Xe/XVIe siècles, nous avons pu recueillir quelques informations sur deux tribus maraboutiques ayant vu le jour au sein de deux grandes tribus nomades de l’intérieur de l’Ifrîqiya : les Namâmsha et les Frayshîsh situées de part et d’autre de l’actuelle frontière tuniso-algérienne. Encore aujourd’hui, les Awlâd Sîdî ‘Abîd et les Awlâd Sîdî Tlîl se donnent toujours pour nom patronymique, non pas la tribu d’origine mais le nom de l’ancêtre fondateur de la zâwiya et de la famille maraboutique.

DIFFUSION DU TASSAWWUF CHEZ LES TRIBUS NOMADES DE L’INTÉRIEUR DE L’IFRÎQIYA ENTRE LE VIe/XIIe ET LE IXe/XVe SIÈCLE ET NAISSANCE DE TRIBUS MARABOUTIQUES
Salah ALOUANI
*Université Lumière7Lyon 2/UMR 5648 7 CNRS






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