Béjaia - Arts et Cultures Divers


la moisson
La moisson.

Le vent sec et poussiéreux, décoiffait les pissenlits, les fait voler comme des fils de soie. Cette magnifique fleur fragile à tête ébouriffée, et plumeuse, sur laquelle on soufflait, ses aigrettes blanches s'envolaient. S'il ne restait, plus aucun duvet, c'est que nos vœux se réalisaient et ça nous amusait à cet âge de puberté. À cet âge où on regardait les filles, différemment. C'est aussi la chute des illusions, qui nous berçaient, la réalité de la vie qui apparaissait. C'est en ces moments où nous envisagions que serait notre vie d'adulte. Nous avions cet art de s'amuser avec rien. Nous fabriquions des instruments buissonniers avec des tiges de paille coupées en biseau. Ou bien avec des roseaux, et la paille servait d’anche pour siffler ou imiter le son des animaux. Il est de tradition en cette saison de faire des tresses, des bouquets en céréales de blé porte bonheur, de toute forme carré, losange, ou en balayette.... Ces bouquets laissent éclore leurs épis à l’extérieur, symbole de fécondité. On se contentait de cette nature qui nous entourait pour vibrer, en harmonie avec elle.

Sous ce soleil de plomb, les cigales chantèrent, tandis que les ruelles du village, étaient désertes. Sur le toit en tuiles rondes, qui reposait sur un muret en pierre sèche, d'où s'échappait, une fine fumée qui venait accentuer, cette canicule. C'est la forge du village, une forge de tradition de père en fils vieille de plusieurs années. À l'entrée en forme de fer-à-cheval, on entendait l'écho du marteau, frappant sans arrêt le fer, amollit, incandescent rougi sur l'enclume jusqu’à ce qu'il se façonnât. Sur les murs, sont accrochés des dizaines d'outils agricoles. Un grand soufflet où s’accroche la suie, maintenait le foyer du brasier ardent, d’où jaillissaient les flammes.

Les paysans, coiffés d’un chèche jaune, ou chapeaux de paille, se serraient dans l’ombre pour récupérer, les outils confiés à la forge.

Aâmi Amar, forgeait ciseler, estamper avec habileté, est capable de donner forme à tout objet sur son enclume. Quelques bêtes de somme attendaient leur ferrage pour cette saison des moissons.

C'est cet éclat d'un soleil d'or, sur le champ de l'épi noir qui s'offrait à nos yeux, ressemblant à celui d'une mer de céréales qui vaguait sous l'effet du vent, formait des cercles mystérieux. La moisson était un événement chaleureux qui lançait la période estivale. Les paysans s'acharnaient sur leurs taches, moisson, battage et stockage ; de l'épi, au grain et du grain au pain. Pour cette terre qui nous a été léguée par nos ancêtres.

Ce travail commençait à l'aube et s'achevait tard dans l'après-midi.
Les silhouettes des hommes armés de faucilles aiguisées, lames au sol, moissonnaient le blé, allègrement, touffe par touffe, infatigables avec un mouvement latéral sans lâcher la poigne. Ils formaient des javelles, d'épis aux grains rangés, en dents de peigne qui semblaient nous sourire. Les attachant avec un brin de seigle, puis les réunissaient en gerbes. Qu'ils déposaient sur les sillons en moyettes. Une ambiance rythmée, des chants s'élevaient avec de joyeux refrains, qui résonnaient sur nos montagnes. Louant et implorant Dieu pour une abondance de nourriture. La mélodie de ces chants déchirait les cieux, accompagnait les mouvements de faucilles qui se croisaient, crisser en mordant le blé mure pour que nos greniers ne manquassent pas de grain ; à faire tourner la meule en pierre du meunier. Le soleil montait, de plus en plus haut, chaud et brûlant, les corps mouillés par la sueur, qui ruisselle sur les visages, rougis et sur le front des faucheurs, pour l'amour du pain et de la dignité. Le champ paternel était incliné, que nous avons l'impression qu'il nous tirait vers le bas. J'eusse tôt fait de me rapprocher d'Aâmi El Houcine qui était mon maître compétent, m'initiait à tenir la faucille et employer la pierre à aiguiser. Il m'apprit à ne pas marcher sur le blé ; qui fait partie des bienfaits, de dieu pour ne pas attirer la colère de l'éternel, comme la foudre et l'érosion. Je mettais ma main en visière, pour le regarder, je protégeais mes yeux de l’éblouissement, et j’étais de toute ouïe.

Le soleil était au zénith quand grand-mère arrivait à dos d'âne. Un couffin d'osier plein de nourriture, retirait les galettes de seigle chaudes, qu'elle dessinait en pointillés avec ses pouces avant de les briser en deux. Une cruche de lait et beaucoup d'autre plats ou la buée s’échappait et mouiller les couvercles. Les moissonneurs s’arrachassent à leur besogne. À ras du sol, sous le magnifique grand figuier vert, qui nous protégeait du soleil. Le champ était bruyant de sauterelles, des mantes religieuses auxquels, s'ajoutassent des mouches exaspérées par la chaleur.

Nous nous servîmes des parts, il y avait eu beaucoup d’égards envers moi, on me laissait la plus grosse part de viande, pour illustrer mes efforts et mon courage, j’étais le plus jeune travailleur du groupe et c’était ma première moisson.
Nous savourions, Thamadhlouht*, faite maison, dont la croûte rugueuse, et croustillante. Ils levèrent leur jatte en terre cuite remplies de lait frais, auxquels on ajoutait une pressurisation de sève du figuier ; nous obtenions aghughlu* un fromage de nos montagnes, ferme, lisse et lustré au goût velouté.
C’est un plaisir, de jaser en cercle autour d’un repas en plein air, c’était une ambiance chaleureuse et conviviale. Quelques-uns piquaient du nez tandis que d’autres cueillaient les figues violettes qui s’égouttaient en miel, elles étaient généreuses et douces à notre palais. Quelques passereaux granivores attendaient notre départ pour se nourrir. Après cette dure journée de labeur ; les cambrousards, relaçaient leurs guêtres, qui adhéraient aux semelles bovines. Nous quittâmes le lieu. Je rentrais à la maison avec les brûlures d’épis sur le corps, mais combien content et fier de ma journée.

Une autre fierté est celle du partage, après la moisson, notre champ est laissé à Imhiwach*, cette pratique séculaire qui consiste à ramasser les blés, ou olives qui sont tombés à terre ou qui ont échappé à la faucille ou la gaule, pour nourrir ceux qui portent le fardeau avec dignité. Ma grand-mère disait toujours quand il n’y aura plus d’âme charitable, c’est la fin de la compassion.

Thamdhlouhth :pain de campagne

Aghughlu:Fromage frais traditionnel

Imhiwach:glaneurs


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)