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Blanche neige, noire misère Dans les villages haut perchés de Chellata (Béjaïa)



Blanche neige, noire misère Dans les villages haut perchés de Chellata (Béjaïa)
Le mur de neige qui borde la route dépasse les deux mètres de hauteur. Le danger est encore là. A tout moment, une avalanche peut se déclencher et enterrer véhicule et occupants.
La route ressemble à un lugubre et froid corridor bordé par des remparts de neige de deux mètres de hauteur. Le col de Chellata, sis à plus de 1500 m d'altitude, est encore très loin, perdu dans les cimes laiteuses et brumeuses du Djurdjura. Pourtant, les engins de déneigement ont toutes les peines du monde à avancer. Les quantités de neige dégagées sont tellement importantes qu'on ne sait plus où les mettre. Il faut dégager la route vers les bas côtés déjà surchargés. Le froid est mordant malgré le soleil radieux, et l'immensité blanche scintille à tel point qu'il est difficile d'ouvrir les yeux.
«Nous avons livré un combat quotidien contre la neige pendant quinze jours. Chaque jour, du matin jusqu'à 20h ou 22h h», dit Mahmoud Mimoun, l'un des employés de la mairie de Chellata, sur les hauteurs d'Akbou, qui nous a accompagnés dans cette sortie sur le terrain, vers des villages difficilement accessibles. Ath Hyani, Alma, Ath Mqeddem et Ath Anane.
sisyphe au déneigement
Ce mercredi 15 février, dans la matinée, il neigeait encore. Tel Sisyphe et son rocher, les équipes de la mairie, chaque jour, recommençaient à zéro le pénible travail de déneigement de la veille. De mémoire d'homme, on ne se rappelle pas un pareil épisode neigeux depuis 1945.
Le premier village visité est celui d'Alma situé à de 1200 m d'altitude. La route est bien dégagée, mais pour un seul véhicule seulement et les croisements se font de façon difficile et aléatoire.
Ce village composé de jolies maisons noyées sous les frênes disparaît à moitié sous la neige. Un jeune habitant traîne un bidon d'eau puisé à la source. La corvée d'eau est de mise malgré les quantités de neige accumulées. Une association religieuse vient juste de quitter les lieux. Sur le devant du fourgon chargé de vivres, le nom de l'association, écrit sur une banderole sale, s'étale en lettres grasses, bien en évidence.
Depuis quelques jours, des associations d'ordre politique ou religieux sillonnent les routes des villages isolés pour livrer des dons. Pourtant, les villageois que nous avons rencontrés nous ont tous parlé des dons fait par des industriels philanthropes qui ont aidé généreusement, mais sans publicité tapageuse. Discrètement. Comme le veut la tradition séculaire de ces régions. Quand on donne, on ne le crie pas sur tous les toits.
La situation difficile vécue par les villages pris sous une neige tenace et persistante a suscité un immense élan de solidarité. Ceux qui possèdent des véhicules 4x4 ou des engins de travaux publics les ont mis à la disposition des populations pour évacuer les malades ou ouvrir des routes. Chacun, selon ses moyens et ses possibilités, a donné la main à son voisin. Pour la commune de Chellata, le plus dur a été vécu par les villages de Ath Hyani, Ath Mqeddem et Ath Anane. Outre l'épaisseur très importante de la neige, les routes, qui mènent vers ces villages, sont des descentes vertigineuses où les engins glissent ou ont de la peine à remonter. Au-delà de la première semaine d'isolement, les équipes de l'APC ont mis un point d'honneur à joindre chaque jour les habitants isolés pour leur apporter des vivres et des provisions. «Parties le matin, nos équipes arrivaient vers 21h et ne rentraient qu'à minuit passé», raconte M. Maïbeche, maire de la commune, que nous avons joint au téléphone.
Des villages à moitié ensevelis
Pour accéder au village d'Ath Anane, il faut emprunter une route défoncée par les bulldozers qui ont procédé au déneigement. Le mur de neige qui borde la route dépasse les deux mètres de hauteur. Le danger est encore là. A tout moment, une avalanche peut se déclencher et enterrer véhicule et occupants. Le cimetière des chouhada, à l'entrée du village, a disparu complètement sous le manteau blanc. Seul l'emblème national et la tête d'une statue de moudjahid émergent des amas blancs. Yata Cherif, «né à peu près en 1953», manie la pelle pour dégager la route avec son ami Maâfa Karim, 35 ans, originaire des Ath Mqddem. Ils témoignent de ce que les villageois ont vécu. «Une vraie misère noire», dit Cherif. «Nous aurions pu ne pas survivre, car notre commune est pauvre et manque cruellement de moyens», ajoute son ami. Trois tractopelles de marque Case ont renoncé devant l'impossibilité d'ouvrir les routes. Il a fallu envoyer des bulldozers dans la région.
Au final, l'abnégation des responsables de la commune ainsi que le réveil de la solidarité ancestrale ont évité le pire. La succession des hivers doux a fait baisser la garde à beaucoup de montagnards qui ne prévoient plus autant de bois de chauffage et de provisions.
Dans tous les villages que nous avons visités, les routes ont été ouvertes mais demeurent difficilement praticables. Cependant, le gaz butane n'arrive toujours pas. Il faut dépêcher des camions qui doivent passer la nuit au dépôt d'Akbou pour ramener quelques bouteilles qui seront de toute façon insuffisantes. Les écoles sont fermées pour encore longtemps.
Elles sont encore ensevelies sous la neige. Les infiltrations d'eau, les glissements de terrain, les canalisations éclatées, les toits écroulés, c'est pour demain. Toutes ces régions isolées, durement touchées par une neige de 15 jours et plus, auront besoin d'un véritable plan Marshall pour soigner les plaies du dénuement et les cicatrices d'une nature aussi capricieuse qu'implacable.
Demain, lorsque toute cette neige aura fondu, il faudra remettre en l'état les maisons, les granges, les étables, les routes, les maisons et les écoles. C'est bien connu des montagnards : c'est lorsque la neige fond que toute la laideur qu'elle a cachée réapparaît. C'est maintenant que les villageois demandent à ne pas être oubliés. Quand la neige blanche aura fondu, ils retrouveront leur misère un peu plus noire.
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