Béchar - PERSONNAGES

Le cheikh ABI ABDALLAH MOHAMED BEN KACEM EL KANDOUSSI Mort en 1278 H/1861 Un soufi, un écrivain et un grand calligraphe kénadsien



I - CHEIKH EL KANDOUSSI : l’homme de sciences
Malgré l’importance et le rôle qu’il joua dans la culture de son époque (XIII s. h. /XIX), le Cheikh ABOU ABDALLAH MOHAMED BEN ELKACEM ELKADNDOUSSI reste malheureusement peu connu de nos jours en dehors de certains milieux intellectuels initiés au soufisme et aux grandes écoles maghrébines de celui-ci. Le cheikh EL KANDOUSSI est né, comme son nom l’indique, à KENADSA où il passa sa prime jeunesse. Il y fréquenta ses medersas (écoles coraniques) accumulant les connaissances qui y étaient enseignées en ce temps là : le Coran, le fiqh, la jurisprudence etc. Mais, de bonne heure, le jeune étudiant s’était senti d’autres ambitions. Se sentant pousser des ailes, il ne pouvait se suffire du savoir enseigné dans sa ville natale. Aussi, décida-il d’émigrer à Fès, qui était alors une des grandes métropoles du savoir au Maghreb, notamment par la réputation de sa fameuse Université des « Karaouiyine ». Notre futur cheikh se rendit à Fès et s’y installa.
Pour assurer sa subsistance, il se fit marchand de plantes médicinales au souk des « achchabine » (marché des herboristes). Puis il se mit à fréquenter les cours dispensés par les éminents savants de la ville de Fès. Au bout de quelques années d’études assidues, il deviendra lui-même un savant émérite. Tout d’abord timide, il vivra presque effacé dans la société urbaine de son temps. Il n’est connu que de quelques intimes qui appréciaient sa compagnie. Comme tous les soufis « en herbe » (Essalikoune), ceux qui cherchent à consolider leur « voie », il avait cette attitude de retrait par rapport au monde qui l’entoure et de ses biens matériels. Mais n’empêche. Un de ses admirateurs nous dit : « Il était d’une sociabilité agréable, tenait des conversations d’un très haut niveau et avait une grande connaissance des êtres humains, en plus qu’il soit devenu un maître avéré du soufisme ». Ce témoignage est de Jaafar Idris El KATTANI, dit « Cheikh El Islam » dans son livre « Achcharab el Mouhtadar wa Essir el Mountadar … » que nous traduisons par : « La boisson présente et le mystère attendu chez les penseurs du 13ème siècle (de l’Hégire) ». Ceci a été rapporté par Mohamed Hamza Ben Ali ELKATTANI pages 89-90 dans sa traduction numéro 89/1ère édition 2004 (Dar-el-Koutoub-el-ilmia - BEYROUTH). (1)[i]
Le Cheikh El KANDOUSSI a écrit plusieurs livres dans de nombreux domaines : le fiqh, la philosophie, le soufisme etc. Dans le soufisme, nous citerons l’un de ses livres les plus connus qui est : « Etta’ssis fi Massaoui Eddounia wa Mahaoui Iblis » (L’établissement des erreurs du monde et des artifices du Démon). Il s’agit, nous dira Jaafar EL KATTANI cité plus haut : « un volume d’une belle facture, d’une exceptionnelle précision, au contenu très utile, d’une rare sagesse, merveilleux, plein de mystères et de génie.. ». EL KANDOUSSI était également un calligraphe hors du commun. En effet, il a réalisé la transcription d’un Coran en douze volumes d’une qualité calligraphique et esthétique unique dans le genre, une œuvre d’une beauté inégalée. « J’ai vu le dernier et grand volume de ce Coran, il s’agit d’une œuvre extraordinaire : il est dit qu’il n’existe que de très rares exemples d’une telle perfection dans le monde » nous dit encore Le Cheikh Jaafar Idris ELKATTANI, hagiographe et disciple du Maître. L’original de ce « Moshaf », (achevé en 1266H/1849) se trouve dans la Bibliothèque Royale à Rabat – Maroc (Cote 3595), ainsi que la majorité des écrits de notre auteur.
Parmi les écrits du Cheikh EL KANDOUSSI, nous pouvons citer également:
- Charab Ahl Essafa fi Essalati Ala El Moustapha
- Tarik El Maaridj ila Hadhrati Sahib Attadj
- Bouraq El Qouloub Ila Biçat El Mahboub
- Ilaj Ettabib Fi Jamaa El Mahboub wa El Habib
- El Bawarik El Ahmadia fi El Haraka wa Assoukoun
- Moukhtassar Fi Asma’ Allah El Housna
- Assalatou El Wafia Min El Ahwal Adhoulmania
- Attalwouine wa Attamkine Fi Matlaa Assalat Ala Sahib ElWahy El Moubine
- El Fath El Koudoussi
Le Cheikh a également un important commentaire sur la « Hamzia » de l’Imam EL BOUSAIRI. Dans le domaine de la calligraphie, nous avons vue que le Cheikh était loin d’être un vulgaire scribe (nessakh) mais un véritable artiste. Effectivement, il a laissé aussi de merveilleuses copies, écrites de sa propre main, de « Dala’il El Khaïrat » de l’Imam EL JAZULI. Il s’agit de véritables œuvres d’art. La majeure partie de ces manuscrits est conservée dans la Bibliothèque Royale à Rabat (Maroc) et des copies peuvent être également consultées auprès de la Bibliothèque de l’Institution du Roi Abdelaziz Al Saoud des Etudes Islamiques et des Sciences Humaines de Casablanca (Maroc).
Cheikh EL KANDOUSSI est également l’auteur de la fameuse création historique représentant la transcription du « Nom de Majesté d’Allah » (Ism El Jalala), tableau qui orne depuis sa réalisation à nos jours, le fronton du mausolée de Moulay Idris El Azhar, dans sa mosquée éponyme de Fès, que de nombreux visiteurs du monde entier viennent admirer.
II – CHEIKH ELKANDOUSSI : le soufi
Nous avons évoqué au début de cette modeste contribution que le Cheikh Abou Abdallah Mohamed Ben El Kacem ELKANDOUSSI avait commencé ses études d’abord à Kénadsa, sa ville natale avant d’émigrer à Fès, ville où il s’installa et où il vécut jusqu’à la fin de sa vie. Mais c’est à Kénadsa qu’il s’était déjà initié au soufisme auprès de la zaouïa fondée par « le Waliy Essalih » Sidi M’Hamed BEN BOUZIANE, lui-même grand soufi, ayant fondé sa confrérie dite « AZZIANIYA » et ce, par référence à son prénom BENBOUZIANE. Ce dernier, lui-même était allé, très jeune, parfaire ses études là où il y avait sciences et en dernier parcours à Fès. Il en était revenu, chez lui, à Kénadsa, après de longues années de pérégrinations qui n’étaient pas exemptes de tribulations, déboires et difficultés de toutes sortes. Néanmoins, à son retour où sa réputation l’avait précédée, était paré d’une aura de sainteté exceptionnelle, une réputation d’honnêteté et de droiture proverbiales, d’homme de bienfaits et un savant qui accomplissait des prodiges (karamat). Aussi, pour les étudiants de l’époque, Sidi M’Hamed BENBOUZIANE était l’exemple à suivre même si l’on était assuré de ne pas pour atteindre à son exceptionnelle célébrité et à son halo de saint homme.
Mohamed ELKANDOUSSI avait pris la route de Fès, cette même voie qu’avait auparavant suivie le maître fondateur de la zaouïa de Kénadsa. D’abord en quête du savoir, puis si possible autres choses, l’aventure intellectuelle, l’inconnu, un destin exceptionnel… Les pérégrinations estudiantines en quête du savoir, la curiosité scientifique, la recherche de l’absolu, étaient un phénomène de l’heure, incontournable pour qui veut la gloire ou le rapprochement de Dieu. Aussi, faut-il penser que notre jeune étudiant kénadsien, était arrivé à la fin de sa vie, à ses fins puisqu’il était devenu un savant honoré, un grand calligraphe et surtout, un maître accompli du soufisme d’une notoriété incontestée. Dès lors, dans ce Fès cosmopolite en effervescence, en plus de ses occupations de commerçant, d’écrivain, de penseur et de calligraphe, il va se frayer un chemin vers l’enseignement. Il aura ses propres halakat (cours d’enseignement) qui vont rapidement attirer beaucoup d’étudiants et atteindre à la renommée. Il prie donc des disciples dont certains vont lui rester d’une fidélité indéfectible même après qu’ils soient devenus eux-mêmes d’éminents savants et atteint à la notoriété.
Comme « voie soufie » (tarîqa), il opta pour celle de Sidi M’Hamed BENBOUZIANE, son prédécesseur et non moins concitoyen, à savoir la tarîqa EZZIANIYA ENNACIRIA ECHCHADILIA, qui elle-même dérive de la tarîqa ELQADIRIA, qu’il enseignera avec la rigueur et la profondeur de sa foi, celles de ses cheikhs et prédécesseurs réputés. Ce choix de la tarîqa, serait-il venu du fait que le cheikh ELKANDOUSSI aurait pris son premier « werd soufi ZIANI-NACIRI» (engagement confrérique), - d’après l’auteur de « Taharat Ennouffouss » - des mains du Cheikh de la zaouïa ZIANIYA de Kénadsa, Sidi Mohamed Ben Abdallah Ben Abi Mediane ? En effet, celui-ci avait exercé la Machikha (pouvoir confrérique sur la zaouïa) de 1204 à 1242 Ha (1790-1825). Ainsi, notre cheikh aurait-il ainsi gardé malgré l’exil, en plus de sa foi indéfectible, un lien « ombilical » spirituel, voire psychique et sentimental, avec sa mère patrie : Kénadsa.
Parmi les brillants disciples d’ELKANDOUSSI, il y aurait lieu de citer le cheikh Mohamed Ben Abdelwahed ELKATTANI dit «Mohamed ELKABIR ». Grand maitre soufi, celui-ci fonda sa propre zaouïa à Fès au sein de laquelle il est enterré. Ce grand cheikh du soufisme maghrébin reconnait avoir pour seul maître (‘Oumda) le cheikh ELKANDOUSSI, de qui il tient, dit-il, son héritage cognitif et spirituel. Par ailleurs, Ben Abdelwahed ELKATTANI qui vénérait son maître, dit en parlant de lui : « qu’à notre première rencontre, il m’a fait rencontrer le Prophète MOHAMED (que le Salut soit sur Lui) et ce, en état d’éveil et de nuit, à la mosquée El Qarawiyine ». Ces faits sont rapportés par le Cheikh El Islam Abi Abdelwaheb Jaafar Ben Idris ELKATTANI dans sa « Fahrassa » (Préface) Editeur : Dar Ibn Hazm Edition 1ère 2004 – BEYROUTH. Ce témoignage d’un phénomène extraordinaire d’une éminente personnalité telle que Mohamed El Kabîr ELKATTANI est d’une importance capitale à l’effet de corroborer, si besoin est, les rencontres supranaturelles du cheikh ELKANDOUSSI, d’avec le Prophète de l’Islam (QSSL), rapportées par le cheikh notamment dans son « Etta’ssis fi Massawi Eddounia wa Mahawoui Iblis », pour asseoir son origine généalogique chérifienne relatée ci-dessous.
III- QUI EST VRAIMENT EL KANDOUSSI ? SES ORIGINES ?
Les non-initiés sont souvent déroutés par des écrits, des déclarations, des témoignages ou des comportements des soufis eux-mêmes ou de faits rapportés par des tierces personnes et qui relèvent de l’extraordinaire. En effet, il est difficilement admissible pour un esprit logique, cartésien, d’admettre la production de phénomènes surnaturels, légendaires ou rapportés par des témoins oculaires, tenus pour vrais, tel que les phénomènes des « karamat » par exemple, c’est-à-dire les miracles et autres prodiges produits ou exécutés par des personnes (saint, waliy, taleb…) seules douées de ce don qu’ils tiendraient du Pouvoir Divin par leurs sacrifices, prières surérogatoires et autres efforts pour s’approcher de Dieu.
Dans l’épilogue qu’il écrivit lorsqu’il a fini de calligraphier le « DALA’IL EL KHAYRAT » (1267 H/1850) de JAZULI, le Cheikh EL KANDOUSSI, fait remonter ses origines personnelles à la tribu arabe des AOUS, une des deux tribus (l’autre étant les KHAZRADJ) qui ont apporté leur soutien au Prophète (Que le salut soit sur Lui) lorsqu’il s’exila avec ses compagnons à YATRIB qui deviendra Médine ou MADINAT ENNABI par la suite.2 Cependant dans son livre cité plus haut sur le soufisme « Etta’ssis Fi Massawi Eddounia wa Mahaoui Iblis » notre cheikh va modifier son origine pour se donner une descendance chérifienne. Il dit notamment : « le Prophète (QLSSL) m’est apparu pour me dire : « Tu es vraiment mon fils, si tu veux dire tu dis, si tu ne veux pas dire tu te tais ». Puis le cheikh dit qu’il s’était plaint au Prophète (QSSL) de « certains qui mettaient en doute ma descendance en question ». Alors le Prophète (QLSSL) lui aurait dit : « Ce sont des démons des djinns et des humains, ne fait pas cas de ce qu’ils disent. Moi je t’aime et j’aime ceux qui t’aiment. Je te protège, ne craint rien ». Après quoi notre auteur « s’abime » dans une série de profondes louanges à Dieu et à son Prophète pour tous les bienfaits dont il bénéficie…
Cheikh Abou Abdallah Mohamed Ben ElKacem ELKANDOUSSI est mort en 1278 H/1861 à Fès, dans l’après midi du samedi de Joumade El Awel. Il fut enterré en dehors de Bab El Foutouh de Fès, dans le mausolée de Basset El Karadine, dans le quartier des Qattanine près de la tombe de son élève et disciple le Cheikh ELKABIR ELKATTANI. Si nous connaissons avec exactitude la date de sa mort, nous ignorons sa date de naissance. Il est né à Kénadsa mais en toute logique il n’est pas le contemporain de Sidi M’Hamed BENBOUZIANE, le fondateur de la « dynastie ZIANIDE ». En effet, ce dernier est mort en 1145 H/1732. Environ 130 ans séparent les morts respectives des deux hommes. On ignore les dates de leurs naissances. Aussi, trois ou quatre générations les séparent. En supposant qu’ELKANDOUSSI ait vécu 60 ans, cela veut dire qu’il aurait vécu dans le premier siècle d’existence de la zaouïa de Kénadsa mais que le fondateur de celle-ci était mort au moins depuis 40 ans. Ce qui pourrait expliquer sa contemporanéité avec son petit fils et cheikh successeur au quatrième degré à la tête de la Zaouïa, le cheikh Mohamed Ben Abdallah Ben Abi Madiane, lequel lui aurait donné de « werd de la Zianiya » comme rapporté par l’auteur de « Taharat Ennoufous ». Donc l’historicité des événements ferait naitre EL KANDOUSSI vraisemblablement dans le dernier quart du XIIème siècle de l’hégire /18ème S. La ferveur religieuse et spirituelle devait être au paroxysme de son état dans la petite cité de Kénadsa. Une effervescence qui influencera plus d’un jeune à l’expatriation, en quête de plus de savoir et d’Idjtihad dans le domaine des sciences et de la foi. ELKANDOUSSI n’aurait pas résisté à cet appel…
Abdallah AZIZI


1- Les cheikhs Jaafar Idriss ELKETTANI et Mohamed Hamza Ben Ali ELKATTANI vont nous servir de principales références pour cette modeste contribution et ce, pour avoir été pour le premier un disciple de Cheikh EL KANDOUSSI et le deuxième, un parent du premier et un des meilleurs biographes et hagiographes d’ELKANDOUSSI et de Jaafar ELKATTANI.

2-Rapporté par Khirddine EZZAKALI dans son Kitab el Alem 7/pages 8 et 9 édition 15/2002 DAR EL ILM LIL MALAYINE - BEYROUTH



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