Béchar - 01- Généralités


LA PRINCIPAUTE DE KENADSA
ADSA

LA ZAOUIA FACE A LA CONQUETE COLONIALE KENADSA :

UNE CAPITALE DESTITUEE ET UNE «PRINCIPAUTE»

EN PHASE D'IMPLOSION

«Tout prédestinait Kenadsa à jouer les premiers rôles. Elle était déjà une métropole quand l'actuelle ville voisine (Béchar) n'était qu'un lieu-dit. Les nouvelles logiques introduites par la colonisation décideront autrement. C'est la petite bourgade de Béchar, encore appelée Tagda, qui sera choisie comme chef-lieu. Le ministre de l'Intérieur et des Cultes de l'époque justifie ce choix dans une lettre adressée au ministre de la Guerre le 25 janvier 1901, en ces termes «La désignation de Béchar comme chef-lieu du cercle à créer chez les Dhwi Mnî a paru, au gouverneur général, préférable à celle de Kenadsa, l'expérience ayant démontré qu'il valait mieux laisser distinct les cercles d'action administrative et les centres d'influence maraboutique, et notre installation à Béchar, présentant autant d'avantages, tout en étant moins délicate» (archives de Vincennes 1H1033. A. Moussaoui). «Des logiques tout à fait profanes se voient obligées de tenir compte des règles édictées par le sacré». Les problèmes de la zaouïa de Kenadsa avec l'administration coloniale ont commencé bien avant l'arrivée des Français au Sahara. La colonisation qui sévissait dans le Nord allait perturber, voire donner un coup d'arrêt définitif à toutes les formes de communication traditionnelles en matière de négoce. Le commerce caravanier sera tué. Les activités économiques liées à ce commerce sont en chute libre. C'est le marasme total. «La principauté de Kenadsa» est en passe de «perdre de sa superbe». Il ne reste plus à la zaouïa que les ressources ordinaires que lui procurent ses affiliés se trouvant majoritairement dans le nord du Maghreb central et occidental, maintenant sous domination coloniale. Celle-ci va faire écran entre Kenadsa et ses affiliés. «Déjà, en 1893, le cheikh de l'époque Si Mohammed ben Abdallah écrivit aux autorités coloniales (pour se plaindre de la gêne qu'elles provoquent), leur demandant une autorisation de visite dans le nord du pays pour lever la ziyara. A sa mort, son fils Brahim B. Mohammed Ben Abdallah, qui le remplace renouvelle son allégeance aux autorités coloniales par une lettre datée de 30 juillet 1899 et adressée au gouverneur commandant général de la division d'Oran». (A. Moussaoui série 16H65 des archives d'outre-mer Aix-en-Provence)

Il est évident que les cheikhs successifs chercheraient surtout à obtenir des faveurs de l'administration coloniale, à l'effet de collecter des ziara-s, dans des régions déjà soumises à leur autorité. Même encore loin, la colonisation est ressentie à Kenadsa comme une gêne sérieuse, voire une grande catastrophe à laquelle il était urgent de faire face. En plus on ignorait les dimensions qu'allait prendre cette «catastrophe», si elle allait s'arrêter ou s'aggraver. Car en effet, privée de ses revenus, la zaouïa n'est plus ce qu'elle devrait être: c'est-à-dire avant tout une institution caritative. Elle était en train de perdre donc sa fonction principale et sa raison d'être. Le produit des ziara-s n'est pas conservé par le cheikh mais fait l'objet d'une «redistribution» dans le sens économique moderne du terme, une nécessité vitale pour le fonctionnement de l'Institution politico-théologique. Le cheikh nourrit, loge les visiteurs venus de loin ainsi que les quêteurs de baraka venus en retraite, accueille les nombreux affiliés de passage ainsi que les nouveaux, donne aux pauvres, circoncit les enfants... Les étudiants sont nourris et logés par la zaouïa. Le cheikh gère également les biens et les domaines de «l'institution» (souvent très éloignés), paie des salaires à ses intendants, etc. La colonisation va briser toute cette organisation. Le nouveau cheikh Sidi Brahim est conscient de l'inégalité des forces en présence. Il va opter pour un profil bas. Il sait qu'il est impuissant devant un pouvoir doté d'une force milliaire inédite dont il ignore les tenants et les aboutissants, mais dont l'efficacité a fait ses preuves. Le nord du Maghreb et entièrement occupé, et les tribus du sud, défaites les unes après les autres, vont tenter une résistance larvée. «Le Sayed» (titre honorifique et solennel que prennent les chefs de la zaouïa de Kenadsa) va essayer tantôt d'utiliser la diplomatie, tantôt la ruse pour sauver les meubles, afin d'obtenir le maximum possible d'un adversaire qu'il sait intraitable et qui détient de surcroît, tous les atouts. C'est un peu le dey d'Alger sans son éventail ni sa morgue. Les informations arrivent à Kenadsa. La conquête avance inexorablement. Les événements se précipitent. En 1903 les militaires français sont à Béchar. En 1907 ils s'installent «définitivement» à Kenadsa. L'avis de la zaouïa n'est plus requis pour quoi que ce soit. Les opposants (notables et membres confrériques) ne sont pas contents et le manifestent bruyamment. Cependant, ils se trouvent devant le fait accompli. Les membres influents de la confrérie menacent d'émigrer vers l'ouest et abandonner Kenadsa à l'occupant: ils préfèrent encore se mettre sous la bannière du sultan du Maroc (Abdelaziz) que sous celle de la France, un pouvoir non musulman et donc mécréant.

Le cheikh Sidi Brahim s'est retrouvé entre le marteau et l'enclume : d'une part, les membres de la confrérie qui refusent toute forme de soumission au pouvoir colonial et font pression sur lui pour émigrer. Mais apparemment, il sait que « se mettre sous l'aile du souverain marocain » ne serait d'aucune utilité puisque la France était déjà chez lui. D'autre part, cette même France, omniprésente désormais au Maghreb, installée près de son propre ksar, au lieu dit Belhadi, commence la réalisation de son projet d'infirmerie, et ce sans attendre l'avis de la zaouïa qui s'était déjà opposée au dit projet. Les rumeurs à propos des membres de la confrérie qui menacent de se redéployer ailleurs et qui se préparent à vendre tous leurs biens, n'inquiètent pas outre mesure les autorités coloniales. Ces rumeurs sont atténuées par un rapport du commandement militaire du 28 février 1907 qui considère que «la zaouïa ne peut pas plus quitter Kénadsa que la papauté ne pourrait quitter Rome ». (A. Moussaoui, thèse). Le cheikh de la zaouïa, qui n'avait nullement envie d'émigrer ni de quitter la terre de ses ancêtres, a choisi donc de rester et de «composer avec les nouveaux maîtres du moment». Ceci déclenchera une crise majeure de pouvoir « qui va durer quelque six mois, pendant lesquels les rapports entre le cheikh et le conseil de la zaouïa sont assez tendus ». La structure confrérique était en train d'imploser. A la longue, un arrangement mitigé fut finalement trouvé, d'où Sidi Brahim sortira affaibli. Celui-ci mourra le 19 février 1918 à l'âge de 67 ans, laissant derrière lui une zaouïa endettée. Son cousin et confident, Si Mohamed Laaraj, va lui succéder. Par cette désignation, après un intermède de cinquante-huit ans, la direction de la zaouïa revient aux descendants de Abu Madyan II, c'est-à-dire le grand-père de l'actuel cheikh et éponyme. La mashikha (la fonction de cheikh) va renouer avec la transmission par la primogéniture mâle.


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