Cheikh Khaled Bentounès, président d'honneur de la tarika El-Alaouiya, a précisé hier l'esprit du Tassaouf enseigné dans les zaouïas. Un esprit, dit-il, « loin de l'extrémisme matériel ou encore spirituel ». Invité de la librairie du Tiers-Monde, le cheikh a voulu expliquer ce que sont le soufisme et le Tassaouf devant une assistance très attentive. Enseigné dans les zaouïas, « cet » Islam, jugé quelque peu particulier et différent par les théologiens purs et durs, a été, à une certaine période de l'Algérie post indépendance, brimé et même combattu par le pouvoir d'alors. Au début des années 90, le pays s'est trouvé confronté à des esprits « venus » d'ailleurs prêcher la parole et l'acte de l'islamisme politique, de l'extrémisme, du fondamentalisme, selon les convictions des uns et des autres. L'on se rappelle que dès son élection en tant que président de la République en 1995, Liamine Zeroual a pris son bâton de pèlerin pour « en savoir plus sur ce volet de l'Islam qui avait été obligé de vivre pratiquement dans la clandestinité. Zeroual avait alors comme mission de sillonner des pays comme le Yémen, le Sultanat d'Oman, l'Indonésie ou la Malaisie, là ou l'Islam kharidjite ou soufi - c'est selon - permet aux sociétés de vivre en harmonie. L'objectif du pouvoir étant à l'époque d'inverser les choses en substituant l'Islam wahhabite, qui avait envahi nos quartiers et nos territoires, par celui plus « clément et plus souple ». La réflexion étant toujours pendante, cheikh Khaled Bentounès l'a remise publiquement sur la table en insistant sur la non-différenciation entre un Islam et un autre. « Le Tassaouf est tel que le prophète Mohamed (QSSSL) définit l'Islam, à savoir que le véritable musulman est celui qui ne fait pas de mal à autrui, ni par l'acte ni par la parole », explique le conférencier. Il rappelle dans cet ordre d'idées que « la salafia est née à Paris en 1890 à la naissance d'El-Ouâati El-Outhka; les penseurs visaient l'ouverture sur le monde. Aujourd'hui, on a inversé les choses, on a manipulé l'histoire, on a détruit notre propre culture spirituelle ». Le cheikh explique sa pensée à travers deux de ses ouvrages qu'il a dédicacés hier à ses adeptes et lecteurs. Cheikh Bentounès insistera beaucoup sur le principe de l'Unicité (El-Taouhid) sur lequel repose et prend essence l'Islam. Il tient à ce que la société se l'inculque dans « cette Algérie qui se cherche (...) ». Et ce défi, il ne veut pas qu'il soit la mondialisation parce qu'il dit que « cette aoulama est basée sur la matériel sans l'immatériel: c'est la pire des situations dans laquelle va se trouver l'humanité, elle perdra ainsi les vertus, le caractère, l'éducation et le savoir-faire ». Il estime que « le matériel nous appelle à un conflit permanent ». Il reconnaît à cet effet que « l'Occident nous pose problème mais nous posons aussi problème à l'Occident: le défi est posé aux uns et aux autres ». L'Unicité est pour lui le remède idéal pour résoudre la crise de l'humanité. Et-Taouhid est, dit-il pour « humaniser l'Islam en créant cette relation du vivant au vivant, au Er-Rahim (Dieu) ». Il met ainsi en avant « cette relation de sacralité de la vie dans laquelle Dieu a désigné un lieutenant - l'Homme -, pas dans le sens de la hiérarchie mais pour gérer sur la terre avec miséricorde, celle qui nous appelle à cette élévation de soi pour regarder le monde et le comprendre avec harmonie ». Il plaide pour la création « d'espaces neutres en remplacement des systèmes pyramidaux où il y a toujours des chefs et une base qui doit exécuter. Système pour y accéder, il faut marcher sur la tête ou les pieds des autres ». Le cheikh appellera ces espaces « le cercle des vertus et des qualités qui est une technique de management connue aux Etats-Unis, mais chez nous on ne sait ce que cela veut dire ». Le cercle, le cheikh le veut pour « que chacun de nous, musulman et non musulman, quand il se trouve à n'importe quel point, il est le premier et le dernier ». Le cheikh appelle au Tassaouf, c'est-à-dire « un enseignement d'éveil qui permet de regarder le monde d'une autre façon en se préparant à toute éventualité; c'est fondamental pour se prémunir des défis et menaces ». Il regrettera avec amertume que « le monde musulman se trouve aujourd'hui à s'entre-déchirer entre sunnites et chiites; c'est malheureux ! ». Il souligne la nécessité de se référer uniquement à « cette voix du milieu, en référence au Coran sans extrémisme matériel ou spirituel, voix qui permet à la Oumma de s'exprimer avec et dans la sagesse ». Ou ce qu'il qualifie d'Islam plus ouvert, celui du juste milieu, parce que, dit-il, « nous sommes de la sunna et de la djamâa avec des opinions différentes. Mais il ne faut qu'il y ait de voix dominantes ni extrémistes et il ne faut pas taire les voix des autres, ce qui créera une désharmonisation entre le pouvoir et la société et entre la société elle-même ». Ses références, le cheikh les puise dans le Coran. Dieu, dit-il, a permis aux Hommes par la révélation et l'inspiration de pouvoir concevoir la cité, tout en la reliant au ciel, une relation qui permet de garder l'espoir, de dire que demain sera mieux, tout en poussant la réflexion sur nous-mêmes ». « Ne fais pas à l'autre ce que tu ne veux pas qu'on te fasse », rappelle-t-il, en soutenant que le Tassaouf, « cette culture mohammadienne, nous appelle à l'altérité parce qu'on ne se découvre réellement que si on accepte ce rapport d'altérité avec l'autre, ami ou ennemi. Ce dernier peut t'aider pour te remettre en cause parce qu'il observe tes défauts, ces côtés ténébreux de nous-mêmes que nous voulons laisser cachés ». Il ne manquera de signaler que « des pays ont voulu gérer leurs sociétés par la Charia: « Qu'est-ce que ça a changé ?». Pour lui, « ceux qui ont réussi ne mettent pas dans leur constitution l'Islam comme religion de l'Etat mais la foi ». L'Indonésie sera son exemple parce qu'elle est ce pays « qui a réussi à réunir par la foi 227 millions d'habitants ». Mais, dit-il, « nous ne sommes pas l'Indonésie, nos institutions sont des coquilles vides parce qu'elles fonctionnent sans spiritualité ». Après tout cela, et à une question sur faut-il dans ce cas changer notre constitution ?, cheikh Bentounès répond simplement: « Je ne fais pas de politique ! ».
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Posté Le : 12/03/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com