Algérie

Vu à la télé


Vu à la télé
Fidèle lecteur d'El Watan, Rachid Boudjedra a exprimé, dans une de ses chroniques publiées par un site électronique, tout son dépit de voir le journal qu'il classe parmi les plus grands quotidiens du pays accorder une demi-page de sa Une à une annonce publicitaire. Cette façon de faire de la pub qui l'a visiblement choqué ? surtout de la part d'un media crédible ?lui semble être une pratique commerciale intolérable dans la mesure où elle porte atteinte aux règles déontologiques les plus élémentaires. Une pratique fondée, selon lui, sur le mercantilisme le plus étroit si l'on en juge par la critique sévère qu'il a développée, le ton qu'il a mis pour manifester sa colère.Sans vouloir remettre en question son droit à la réprobation qui est somme toute légitime, sans vouloir aussi entrer en polémique avec l'un de nos plus talentueux et brillants ? sinon le plus brillant ? écrivains, sur un sujet sérieux qui fait débat et qui mérite assurément une analyse bien plus importante que celle qui lui est consacrée dans un billet au rôle de sniper qui tire sur tout ce qui bouge, nous avons à ce propos l'intime conviction que blâmer de manière aussi désinvolte c'est mal connaître ou si peu la réalité économique dans laquelle se débat la presse nationale aujourd'hui. A moins de feindre l'ignorer volontairement, et là c'est une tout autre histoire? qui pourrait ressembler à la coquetterie intellectuelle.Nous préférons rester dans la justesse de la diatribe morale qui vient des tripes et qui invite à la réflexion tout en prenant le soin de rappeler au passage que les plus grands journaux dans le monde, qui sont considérés comme des institutions dans leurs pays (France, USA, Angleterre?) ont parfois tendance à privilégier ce type d'espace au niveau de leurs vitrines, sans que cela n'apparaisse comme une entreprise douteuse. Si donc des publications grand public en viennent à cette procédure avec ce souci constant de ne jamais altérer la ligne éditoriale, ce n'est sûrement pas de gaieté de c?ur ni pour faire dans l'esthétisme graphique.Le marché de la publicité étant ce qu'il est chez nous, la concession devient inévitable juste pour amener le bateau à bon port et continuer à être au service d'un lectorat toujours exigeant. Mais, il ne faut pas s'y méprendre, ce qui apparaît comme étant une pratique commerciale «perverse» n'est évidemment que la conséquence directe du jeu politique trouble qui affecte le domaine de la publicité et son instrumentalisation par le Pouvoir comme puissant moyen de pression économique pour affaiblir les organes récalcitrants et domestiquer la liberté d'expression.Quand les rapports à la libre concurrence sont à ce point faussés, que reste-t-il aux entreprises de presse pour s'en sortir sans trop de dégâts ' Vendre son âme au diable, c'est-à-dire faire allégeance et recevoir sa «ration», ou se démettre. C'est cela la politique publicitaire que pratiquent nos dirigeants pour normaliser le champ médiatique. Il faut beaucoup de ténacité et de conviction pour ne pas succomber, encore faut-il porter en soi l'idéal de liberté avec tout ce qu'il comporte comme risques, et à ce jeu les postulants à la résistance ne sont pas tellement nombreux.Bien sûr que notre écrivain que nous respectons beaucoup a toutes les raisons de fulminer contre une demi-page de pub étalée sur la page la plus noble du journal, mais on aurait aimé ? sans vouloir encore une fois égratigner sa susceptibilité ? voir sa colère s'exprimer de la même manière quand toute la machine répressive du Pouvoir s'était mise en branle dès le quatrième mandat de Bouteflika pour «assécher» littéralement la presse libre de ses recettes publicitaires traditionnelles.Non contents d'avoir privé El Watan de la pub étatique en provenance de l'ANEP depuis plus de vingt années ? notre journal est le seul à ne pas avoir de contrat avec l'agence publique, donc jamais d'entrées publicitaires ?, les tenants du système ont fait encore plus fort pour nous asphyxier en faisant carrément du chantage aux gros annonceurs des firmes étrangères établies en Algérie s'ils continuaient à choisir nos espaces. Du jamais-vu dans aucun pays au monde. Et pour mener à bien cette directive, le Pouvoir a instruit un ministre de la République pour appliquer une feuille de route. Sous prétexte d'assainir le secteur de la presse, il a surtout visé la partie la plus sensible des titres, en l'occurrence la manne publicitaire.Le résultat ne s'est pas fait attendre. Si El Watan attirait jusque-là jusqu'à douze ou treize pages de pub sur trente-deux et trente-huit pages (et non 16 sur 24 comme affirmé), cette manne qui avait fait tant saliver est brutalement tombée à son plus bas niveau alors que les charges de l'entreprise, de plus en plus lourdes, n'ont pas changé. Les recettes ont chuté de plus de 60% sans que notre journal dévie de son défi.Grâce à son contenu et son sérieux, il réussit à maintenir tant bien que mal le cap, alors que de partout bruissent autour de lui les clameurs des puissances d'argent qui viennent mettre fin à une époque «romantique», celle de l'aventure intellectuelle. Le cri de Boudjedra nous est finalement parvenu comme un cri de c?ur de la part d'un fidèle lecteur qui assiste comme nous à la fin de cette époque où l'argent n'a jamais été l'essentiel.Comparée à celle de notre voisin de l'Ouest où les médias publics n'existent plus et où le marché de la publicité est ouvert à une saine concurrence et non pas soumis aux règles détestables du chantage et de la soumission, la situation de la presse en Algérie va de mal en pis. Son avenir reste lié à un noble combat pour la liberté qui devient trop inégal de jour en jour. Et cela, l'auteur de La Répudiation le sait.




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