Algérie

Vivre sans le football



Des footballeurs transformés en « ghilmane » par un Emir qui veut les couvrir d'or : autour de l'équipe nationale, la dérive continue.

Le feuilleton de l'été a failli mal tourner, à cause d'une erreur de débutant commise par l'un des meilleurs serviteurs du système politique algérien, Mohamed Raouraoua. Comment le président de la FAF, ancien patron de l'ANEP, ancien commissaire de l'année de l'Algérie en France, postes qui lui ont permis de distribuer des fortunes aux journaux et artistes « amis », comment cet homme a t-il pu commettre cet impair, alors que l'Algérie surfait sur le miracle de la coupe du monde ?

L'erreur a été d'autant moins appréciée qu'elle a jeté une ombre sur une situation rêvée pour le gouvernement algérien. L'équipe nationale de football, après un début approximatif en coupe du monde, a relevé la tête, pour accomplir un parcours correct, transformé en exploit unique par la propagande officielle, et glorifié comme tel par une opinion qui adore être prise à contrepied. Du coup, une équipe qui a gagné un seul match sur quatre est accueillie comme si elle avait remporté la coupe du monde, avec tournée sur les grands boulevards, accueil par le président de la République, et sujet de prime time pour toutes les chaines de télévision. L'entraineur de l'équipe, en fin de mission, est même sollicité par le chef de l'Etat lui-même qui lui demande de rester, et de multiples pétitions sont lancées pour le supplier de ne pas nous abandonner.

Car en ce début d'été 2014, l'Algérie parle de football. Cela permet d'éviter de parler prix, mauvaise gestion et corruption. Cela évite de s'intéresser aux consultations sur la constitution menées par M. Ahmed Ouyahia, des consultations qui virent au ridicule. Cela évite d'évoquer tous les sujets qui fâchent. Le président Bouteflika l'a bien senti. Il a envoyé une multitude de messages aux joueurs de l'équipe nationale pour saluer leur bravoure et leur courage, louer leur détermination, et rendre hommage à leurs résultats, qui ont permis de hisser l'Algérie au firmament des nations.

LASSITUDE

Bref, on est dans une opération très classique de récupération de performances sportives par le pouvoir classique. Rien de nouveau sous le soleil, à part peut-être cette tendance des Algériens à trop tirer sur la corde, à exagérer, au point de ne plus être crédible. Mais, dit-on, c'est un pays du tiers-monde. Pourquoi se comporterait-il mieux avec l'équipe nationale qu'avec une élection présidentielle ou dans la gestion de son argent ? Pourquoi séparer le sport du politique, quand on n'arrive pas à séparer les pouvoirs, ni le religieux de la politique ? Comment éviter ces confusions quand on confond dépenses et investissements, quand de hauts responsables confondent leur argent et celui de l'Etat, quand les agents de l'Etat confondent servir l'Etat et faire allégeance au pouvoir du moment ? Le jeu pouvait donc continuer, jusqu'à ce que les Algériens se lassent. Et la lassitude commençait effectivement à se faire sentir.

Jusqu'à l'erreur de Raouraoua. Celui-ci avait eu, jusque-là, un flair exceptionnel, en pariant sur Oreedoo pour sponsoriser l'équipe nationale il y a cinq ans, alors que Djezzy était encore tout puissant. Cela lui a permis d'éviter l'écueil Oum Dourmane, et d'offrir au football algérien une nouvelle source de financement, qui lui permet désormais de contrôler la plupart des rouages. Qu'importe si l'appel d'offres pour le sponsoring de l'équipe nationale accuse du retard, et si une certaine confusion entoure tout ce monde du sport et de l'argent. L'Algérie est prête à fermer les yeux sur beaucoup de choses, en contrepartie de ces quelques moments de bonheur.

INSTITUTIONS ET INTERET PERSONNEL

Ce qui était inadmissible, par contre, c'est que d'autres tentent de tirer profit des exploits des footballeurs algériens. Comme ces qataris qui, forts de leur argent, se croient tout permis. Ils affrètent un avion spécial pour transporter toute l'équipe à Doha où elle devait être couverte d'or par un Emir avide de reconnaissance internationale ; une action qui ressemble étrangement aux traditions d'un autre âge, celle d'un calife couvrant d'or des « ghilmane » pour les récompenser de leur servilité. Ça, c'est inacceptable. Et Raouraoua s'est prêté à cette opération.

Bien entendu, les Qataris ont démenti. Il s'agissait simplement d'organiser une cérémonie entrant dans le cadre normal du contrat de sponsoring conclu entre l'équipe nationale et la compagnie Ooreedoo. C'est d'ailleurs le PDG de cette compagnie qui avait invité les joueurs, assure-t-on. Mais toujours est-il que le ministre des sports lui-même a été contraint de se déplacer à l'aéroport d'Alger, pour ramener des joueurs qui étaient déjà dans le bus pour prendre l'avion de Doha. Qui a organisé tout cela ? Tous les regards se tournent évidemment vers M. Raouraoua.

Vrai ou faux ? Le président de la FAF ne s'est pas encore prononcé. Il a l'habitude de savoir se défendre quand c'est nécessaire, par ses méthodes à lui. Dans la discrétion, mais de manière très efficace. Pourtant, même s'il est coupable, M. Raouraoua n'a fait que remplir son rôle selon les meilleures traditions du système politique algérien: il utilise des institutions, FAF et équipe nationale, pour servir ses intérêts et servir le pouvoir en place. Avec le temps, il est accusé de servir plus ses intérêts, et moins ceux du pouvoir. Mais jusque-là, il a effectué un parcours sans faute. Faut-il lui tenir rigueur pour deux petites fautes, celles d'avoir condamné Hallilodzic avant terme, et d'avoir rendu service aux amis qataris ? Faut-il tenir rigueur à M. Raouraoua, le limoger, le trainer dans la boue, ou faut-il ouvrir les yeux pour se rendre compte que dans tous les secteurs, une nuée de Raouraoua gère le pays ?


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