Algérie

Un grand artiste, une passion, une vie



Un grand artiste, une passion, une vie
On ne peut pas parler de l'association tunisienne Al Rachidia sans parler de Salah El Mahdi El Charif, et on ne peut pas parler de Salah El Mahdi El Charif sans parler de Constantine.Ce grand artiste vouait un amour intense pour son pays et pour la musique andalouse, tant il avait une grande place dans son c?ur pour la ville du Vieux Rocher, avec laquelle il avait gardé de grands liens. «La ville de Constantine a toujours habité Si Salah El Mahdi, depuis qu'il l'a visitée la première fois avec son grand-père en 1939, et avant même son père, alors qu'il avait à peine 14 ans.Depuis, il ne cesse de revenir chaque année à l'antique Cirta, histoire de se ressourcer comme s'il s'agissait de son second lieu de naissance», témoigne Ouarda Arfa, une grande militante du mouvement associatif et humanitaire à Constantine. C'est d'ailleurs grâce à cette dame que nous avons pu retracer le chemin de la vie de ce grand homme, qui demeure encore méconnu chez nos contemporains. Mais dans toute histoire, il faut un début.Un fil conducteur qui nous mènera vers Tunis où Salah El Mahdi El Charif, de son vrai nom Mohamed Salah Ben Abderrahmane Ibn Mehdi El Chérif, vit le jour le 9 février 1925, dans une famille imprégnée de musique. Après des études primaires et secondaires réussies, il rejoindra Djamaâ Ezzitouna, comme le voulait la tradition, où il réussira à décrocher deux diplômes entre 1948 et 1951. Parallèlement à ses cours à Ezzitouna, il fut un brillant étudiant à l'Ecole d'administration et l'Ecole de droit. Son grand succès sera son admission au concours de recrutement des juges qui lui ouvrira les portes de la magistrature.En 1951, il sera désigné juge au tribunal de première instance de Tunis, connu populairement par «Driba». L'ambiance musicale dans laquelle il vivait au sein de sa famille finira par dessiner son destin. Influencé d'abord par son père Abderrahmane, artisan fabricant de la chechia et maître de musique, qui donnait des cours dans sa maison, mais aussi par le fidèle ami de son père, le musicien Khemaïs Ternane, l'un des maîtres d'Al Rachidia, fondée en 1934, Salah El Mahdi grandit aussi sous le toit de cette association à partir de 1938, où il avait fait ses premiers pas, alors qu'il était âgé de 13 ans. Avec persévérance et assiduité, le jeune doué passa par toutes les classes.Elève, puis musicien, il était un parfait joueur de nay (flûte), mais il excellait aussi dans le luth, le qanoun et le violon. Il sera par la suite enseignant à Al Rachidia, puis compositeur avant de devenir chef d'orchestre et directeur artistique. Il connaîtra la consécration comme président de l'association Al Rachidia entre 1965 et 1971. De l'aveu de tous ses contemporains et des spécialistes de la musique arabe, Salah El Mahdi, magistrat et musicien à la fois, a marqué d'une empreinte indélébile l'histoire d'Al Rachidia.Ses compositions signées sous le pseudonyme de Ziriab, réalisées sur les ?uvres des grands poètes tunisiens, dont Abou El Kacem Chabbi, Jalaleddine Nakache, Marzouki, Benjeddou et autres, ont connu un grand succès. Il avait composé des chansons pour la grande Saliha, alors au sommet de sa gloire. Il avait également offert ses meilleures compositions à Oulaya, de son vrai nom Beya Bent Béchir Ben Hédi Rahal, dont il avait choisi le nom artistique en référence à la s?ur de Haroun Rachid, de même que la chanteuse Naâma, de son vrai nom Halima Bent Laroussi Ben Hassen Echeikh.Un initiateur de projets culturelsAvec l'avènement de l'indépendance de la Tunisie en 1956, Salah El Mahdi, homme de culture bouillonnant d'idées, sera le précurseur et l'initiateur de nombreux projets culturels. Il fut à l'origine de la création du Conservatoire national de musique, de danse et de théâtre, de la troupe nationale des arts populaires et de l'orchestre symphonique tunisiens. Il était le premier à avoir ?uvré pour l'institution de l'éducation musicale dans les écoles et les lycées.Il occupera plusieurs postes au Secrétariat d'Etat à la Culture et l'Information, et sera président du comité culturel national. En 1958, Salah El Mahdi réussit, parmi 22 musiciens, au concours de composition de l'hymne national tunisien Ala Khallidi, d'après un poème de Jalaleddine Nakache. A l'échelle internationale, il a été président et co-fondateur de l'Académie arabe de musique.Président pour deux mandats dans les années 1980 et 1990 de l'organisation mondiale des arts et des traditions populaires, il avait pour secrétaire général-adjoint de la zone de l'Afrique du Nord, le défunt et grand artiste algérien Khelifi Ahmed. Décédé le 12 septembre 2014 à l'âge de 89 ans, Salah El Mahdi, le Ziriab tunisien qui a marqué pendant plus de 50 ans la scène musicale dans son pays, restera parmi les plus grandes personnalités musicales du XXe siècle dans tout le monde arabe.Malgré les critiques qu'il avait subies en raison de ses ?uvres réalisées durant le règne de Bourguiba, et les cérémonies dont il s'est vu confier la direction pour célébrer avec faste les anniversaires du défunt président, Salah El Mahdi El Charif a eu le mérite de laisser derrière lui un héritage musical très riche, avec près de 600 compositions entre chants classiques et populaires, musiques orientales et occidentales, sans compter les noubas, les mouwachahate, mais aussi des ?uvres symphoniques qui seront jouées aux festivals de Moscou et de Saint-Pétersbourg. On retiendra ce témoignage de son ami de jeunesse, le professeur Amor Chadli : «Salah El Mahdi a contribué à donner sa noblesse à la musique tunisienne, dont il devint l'un des principaux piliers.Il est l'auteur d'un ouvrage sur la Rachidia et un autre sur Khemaïs Tarnane, publiés en 1981. En 1982, il fit paraître une étude exhaustive de la musique dans le monde arabe. Il organisa chez lui un club culturel, le Club Ziriab, qui réunissait chaque dimanche des intellectuels de diverses disciplines. Sincère, loyal et généreux, il fit don de sa collection de disques qui compte plus d'un millier d'enregistrements à la phonothèque nationale.»Une grande passion pour l'antique CirtaDepuis l'institution à Constantine des quinzaines culturelles de Youm El Ilm, ou celles consacrées au Malouf, Salah El Mahdi ne ratait plus ces deux événements pour rien au monde. Il différait même ses déplacements et s'excusait auprès des organisateurs d'autres manifestations rien que pour être présent dans la ville du Vieux Rocher. «J'étais jeune quand j'ai connu pour la première fois le maître Salah El Mahdi.C'était dans les années 1940 à travers les ondes de la radio tunisienne, qui nous était très familière dans ma ville natale de Tébessa, surtout qu'on ne recevait pas les ondes de la radio française émettant à partir d'Alger. C'est ainsi que j'ai profité des leçons du Malouf que dispensait régulièrement et méthodiquement El Oustadh El Mahdi», témoigne Mohamed-Tahar Arbaoui, enseignant à la retraite et ancien maire de Constantine de 1975 à 1984. «Le destin a voulu que je le rencontre, bien plus tard, lors de mes deux mandats à la tête de l'APC de Constantine», poursuit-il.«J'ai eu l'honneur de connaître Si Salah El Mahdi en sa qualité de pilier de l'Ecole tunisienne du Malouf ; il dirigeait la prestigieuse troupe d'Errachidia ; c'est avec beaucoup d'émotion que je le revois très élégant, très modeste, très souriant aux côtés d'autres maîtres également disparus, à l'instar de Si Sadek Bedjaoui, Si Hassan Al Annabi et Si Hassan Aribi El Lybi ; et bien entendu avec les symboles de l'école constantinoise du Malouf, les regrettés Si Abdelkader Toumi et Si Abdelmoumene Bentobbal, et les maîtres encore en vie, Si Mohamed-Tahar Fergani et Si Kaddour Darsouni», notera-t-il.L'ancien maire de Constantine affirme garder jalousement un enregistrement sur de «vieilles» cassettes, d'un vrai «dialogue musical» entre Tahar Fergani et Salah El Mahdi. Un enregistrement historique et inédit qui marquera pour l'éternité leur rencontre qui a agrémenté leur matinée à l'occasion d'une rencontre privée dans un local de l'université populaire de Constantine, actuelle maison de la Culture Ben Badis.«Salah El Mahdi avait également beaucoup d'amis à Constantine ; il venait souvent pour des séjours chez certaines familles, soit à l'occasion des quinzaines du Malouf ou pour de longues visites de courtoisie ; il aimait beaucoup Constantine qu'il tenait toujours à voir pour se ressourcer ; c'était un bon père de famille et un grand-père exemplaire ; c'était aussi un brave homme, aimable, affable, humble, courtois, respectueux et surtout très généreux avec ses élèves, ses amis à Al Rachidia et tous ceux qui l'ont connu durant sa longue carrière musicale ; il mérite amplement un hommage qui le fera connaître auprès des jeunes générations», conclut Ouarda Arfa.


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