Algérie

Slim Othmani (Directeur général de la Nouvelle conserverie algérienne NCA) « Il faut une amnistie fiscale bien pensée »




Patron d’une entreprise privée familiale, la Nouvelle conserverie algérienne (NCA Rouiba), Slim Othmani revient, à travers cet entretien, sur la problématique du développement du secteur privé algérien et de l’économie nationale dans son ensemble. Selon lui, les pouvoirs publics doivent consentir une amnistie fiscale pour redonner confiance aux opérateurs économiques et parvenir ainsi à réactiver l’économie nationale. Le fait que le secteur privé soit dominé, dans sa composante, par des entreprises familiales ne constitue, de son point de vue, en aucun cas un obstacle à son développement.


 

Pour certains économistes, le fait que le secteur privé algérien soit dominé, dans sa composante, par des entreprises familiales constitue un frein au développement de l’économie nationale. Comment analysez-vous ce point de vue ?
 Le secteur privé, de par le monde, est constitué majoritairement par des entreprises familiales. Ce n’est absolument pas propre à l’Algérie. En général, l’entreprise se crée avec l’initiative d’un entrepreneur qui monte sa petite affaire. Il fait donc appel à sa famille pour y travailler car ceci lui revient beaucoup moins cher. Même quand elles deviennent suffisamment développées, ces entreprises continuent de demeurer à caractère familial. Cela ne constitue en aucun cas une entrave à leur développement. Bien au contraire, les entreprises les plus performantes au monde sont des entreprises familiales. S’agissant de l’Algérie, il est clair que le développement du secteur privé et des entreprises familiales en particulier dépend avant tout de l’impératif d’améliorer l’environnement dans lequel évoluent ces entreprises, en veillant notamment à l’émergence d’un système éducatif performant d’où peuvent être puisées des compétences, mais aussi en offrant des incitations fiscales sur les droits de succession pour faciliter la transmission de l’entreprise.
 

Estimez-vous que les droits de succession pour la transmission des entreprises familiales sont excessivement lourds ?
 En effet, dans l’état actuel des choses, une fois que le patron d’une entreprise familiale décède, les héritiers se voient confrontés à la contrainte de payer des droits de succession excessivement lourds pour pouvoir reprendre l’entreprise. A défaut, c’est-à-dire dans le cas où les héritiers n’arrivent pas à assumer ces droits de succession, l’entreprise est soit cédée, soit emmenée à disparaître. Ce problème de transmission auquel se heurtent les entreprises familiales, faut-il néanmoins le souligner, existe dans de nombreux pays et n’est guère spécifique à l’Algérie. Quoi qu’il en soit, fiscalement parlant, les droits de succession sont suffisamment importants pour créer une turbulence dans la vie de l’entreprise.

 En quoi le caractère familial peut-il servir une entreprise ?
 Le caractère familial confère à l’entreprise une part importante de stabilité, bien que l’environnement économique reste important et déterminant pour son développement. L’entreprise familiale a l’avantage de la flexibilité, car elle s’adapte aux circonstances. Les membres de la famille travaillant pour l’entreprise peuvent ainsi, si besoin est, travailler 7 jours sur 7 et ne prendre de vacances qu’une fois le travail fait.

 L’on évoque souvent à l’encontre des entreprises familiales algériennes le cas de non-recrutement de compétences en dehors de la famille. Qu’en est-il au juste ?
 C’est faux dans certains cas et vrai dans d’autres. Les entreprises familiales algériennes commencent désormais à comprendre l’importance de s’encadrer de compétences. L’entreprenariat, c’est avant tout avoir le sens des affaires, mais pour gérer correctement l’entreprise, il faut des compétences. De plus en plus, les entreprises familiales en Algérie font appel aux compétences en dehors de la famille.

 La non-transparence dans la gestion figure également parmi les reproches souvent formulés à l’endroit de l’entreprise familiale algérienne…
 La gestion des entreprises algériennes est à l’image du système économique dans lequel elles évoluent. Un système où la compétence n’est pas érigée en valeur fondamentale, ce qui fait que la société dans son ensemble se comporte de la même façon. L’entreprise familiale algérienne n’est pas différente de celle américaine ou autre. En Algérie, le système économique actuel n’est pas transparent et les entreprises réagissent de la même manière. Si la gestion dans les entreprises familiales n’est pas toujours transparente, c’est faute de régulateur fort, car l’Etat n’est pas en mesure de faire respecter la loi. Exemple : des industriels algériens, privés ou publics, font face à la concurrence de produits chinois parfois réellement compétitifs, parfois non. Mais dans le second cas de figure, ils peuvent quand même être compétitifs du fait de l’absence de régulation et donc de pratiques de sous-facturation par des importateurs, par exemple. Cet état de fait engendre une concurrence déloyale pour les entreprises locales, les poussant en définitive à s’adapter à de telles contraintes en devenant elles mêmes non-transparentes.

 Comment expliquez-vous le fait que les entreprises familiales en Algérie, contrairement à ce qui se fait dans les pays développés, restent réfractaires aux opérations d’ouvertures de capital ?
 Les entreprises familiales algériennes ne refusent pas de s’ouvrir. Cependant, le marché financier en Algérie n’a commencé à exister que depuis peu. Les entreprises sont en train de comprendre qu’elles peuvent s’ouvrir et renforcer ainsi leurs fonds propres en invitant de nouveaux actionnaires. Ceci étant, quand une entreprise décide d’ouvrir son capital, elle le fait non seulement dans le but de collecter de l’argent frais, mais aussi pour bénéficier d’un apport en innovation, en technologie ou en parts de marché supplémentaires. A partir de là, il faut évoquer la nécessité d’offrir aux entreprises des incitations fiscales pour les cas de transferts de technologies. Sur ce registre précis, la pression fiscale en Algérie n’a, pour ainsi dire, aucun sens dans sa forme actuelle. Qui plus est, le fait que le ministère des Finances demande à chaque fois à connaître l’origine des fonds, constitue une autre entrave pour les entreprises qui veulent s’ouvrir pour augmenter leurs fonds.

 Estimez-vous qu’une amnistie fiscale soit nécessaire pour favoriser la relance de l’activité économique ?
 Il faut effectivement tourner la page sur le passé. Il faut nécessairement une amnistie fiscale pour que les opérateurs économiques reprennent confiance. Il faut commencer par ne plus poser de questions sur l’origine des fonds. A partir de là, il faut établir des règles claires et veiller à les faire respecter. Amnistie fiscale, régulation et refonte du système fiscal et du système de contrôle constituent, en somme, autant d’exigences à satisfaire pour développer l’économie nationale.

 Appeler à une amnistie fiscale ne reviendrait-il pas à approuver les pratiques de fraudes et d’évasion fiscales... ?
 L’amnistie fiscale est nécessaire. Nous n’approuvons pas l’évasion fiscale. On reconnaît qu’il y a eu durant les 12 à 14 dernières années, à l’ombre de la décennie noire, beaucoup d’évasion fiscale, favorisée notamment par une vacance des autorités. Cependant, les acteurs économiques ont maintenu une certaine vie de l’économie nationale durant cette période. On retient ainsi que le principe de l’amnistie fiscale doit permettre de recanalyser l’argent caché vers les circuits formels. Il s’agit ainsi de rétablir la confiance entre l’Etat et le contribuable. Il faut pour ce faire remettre les compteurs à zéro afin de permettre à l’administration, notamment le fisc, de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire sa réorganisation et sa mise à niveau, de façon à se mettre en adéquation avec les attentes et de l’Etat et des contribuables. Aussi, l’amnistie fiscale est nécessaire pour réamorcer la pompe de confiance et donc pour relancer l’économie nationale.

 Quelles mesures peuvent être décidées par les pouvoirs publics afin de favoriser le développement des entreprises ?
 Les entreprises familiales algériennes et leurs dirigeants souhaitent de plus en plus entrer dans la transparence, ne serait-ce que pour bien dormir le soir. Il y a aujourd’hui une main tendue des entrepreneurs aux pouvoirs publics pour permettre à ces entreprises d’évoluer dans un environnement sain, incitatif et stimulant. Dans la conjoncture actuelle, si l’environnement économique national n’arrive pas à créer le bien-être social, alors qu’il y a autant de richesses dans les caisses de l’Etat, c’est qu’il y a un véritable problème du modèle économique algérien. Il faut donc y opérer de sérieux ajustements et ceci ne peut se faire qu’en concertation avec les chefs d’entreprises. Il est ainsi urgent d’œuvrer à assainir et à améliorer le climat des affaires en Algérie.

 Le statut juridique des entreprises pèse-t-il sur leur fonctionnement et leur développement ?
 Le statut juridique de l’entreprise familiale n’est pas une contrainte à son développement. Ce n’est pas parce qu’elle est une Spa, une Sarl ou une Eurl que son fonctionnement diffère. Reste à dire que les sociétés anonymes n’existent malheureusement pas en Algérie. Cela aurait permis une fluidité dans les échanges d’actions, grâce à l’anonymat des porteurs. Du reste, pour la question de la mise en bourse des entreprises privées en Algérie, il faut dire que ce sont là des opérations qui nécessitent des actions incitatives de l’Etat car elles sont très coûteuses et très lourdes, tant en termes d’évaluation que de mise à niveau et de préparation juridique et autres.

 Quel est, selon vous, l’élément clé qui pourrait servir aujourd’hui de déclic pour redynamiser la sphère économique nationale ?
 La confiance, la confiance et puis la confiance. Il faut œuvrer à rétablir la confiance entre les opérateurs de la sphère économique domestique et l’administration pour parvenir à amorcer une dynamique de croissance réelle et durable.


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