Algérie

SAGESSE DU TERROIR LE MULET DU CHEIKH EST MORT (Bghel cheikh mat)


Le vent souffle sur cette partie du désert depuis que la caravane du Cheikh a pris la route, on ne voit rien. Les mirages se sont terrés dans cette étendue sans fin de sable.
Le voyageur ne distingue plus rien, les grains de quartz pénètrent partout. La bouche est sèche et pleine de ces minuscules particules jaunes qui craquellent sous la pression des dents. Fermés, cachés sous un turban, les yeux ne s'ouvrent, de temps en temps, que pour épier une voie devenue difficile à emprunter. Les bêtes sont fatiguées autant que les hommes, elles sont gênées dans leur course par les sacs et les différents objets hétéroclites qu'elles transportent depuis déjà plus d'une journée. La deuxième journée de voyage est bien entamée, le vent souffle depuis le premier matin charriant dans son souffle infernal des dunes entières qu'il transforme, qu'il remodèle. De nouvelles figures changent l'aspect du Sahara. Le Cheikh invoque le Créateur. La lassitude, la soif, les brûlures sur le visage rendent pénible l'avancée. Les caméristes veulent s'arrêter, elles sont vidées, elles n'en peuvent plus, elles supplient le Cheikh qui est encore plus mal en point. Non, il ne faut pas s'arrêter, il ne faut pas se laisser couvrir par le sable. La marche continue inexorable, sans fin, un mulet tombe ; c'est le préféré du Cheikh. On le décharge, on le laisse respirer, on lui donne le peu d'eau encore en possession. On fait tout pour le faire relever. La mort est là, elle impose sa présence, elle s'introduit dans le tréfonds de l'animal. L'animal agonise, le Cheikh verse une larme, le mulet meurt. Il faut l'enterrer pour éviter qu'il soit bouffé par l'hyène et le chacal. L'ordre est donné quand par miracle le vent tombe, enfin on respire, on revit. Les hommes de main du Cheikh s'affairent, ils enterrent le mulet. Le cheikh part avec quelques serviteurs, ne laissant que deux de ses hommes pour accomplir la mission. Le mulet est enterré ; deux bonnes heures plus tard, un émir passe suivi d'une caravane immense. L'émir s'arrête, il voit une tombe. Il s'enquit. On lui répond en termes simples : «C'est le m…… cheikh qui est mort.» L'émir est tout remué, il est complètement sonné. Il ne peut laisser cette tombe sans nom. Ça ne peut être l'inconnu, il se doit de laisser une épitaphe après avoir ordonné la construction d'un véritable mausolée. L'émir ne peut admettre la bâtardise qui souille le vénéré personnage. Cheikh est synonyme de vertu, de sagesse, de savoir et surtout de charnière pouvant rapprocher tout pécheur de Dieu. L'émir voit là l'occasion de se laver de toutes souillures qu'une vie agitée peut avoir listées sur une longue page. Le mausolée couvre la tombe du… cheikh, une grande salle est élevée pour les visiteurs, un puits est creusé, des chambres pour les laquais et bien d'autres commodités qui font que le lieu devient important. Le bouche à oreille fonctionne si bien que les visites au Cheikh m... se multiplient chaque jour et que les «zouars» ne trouvent plus logis. On dresse des tentes en attendant d'agrandir la, désormais, «zaouïa». Un parfum de couscous monte dans le ciel, on fait des zerdas chaque jour, on psalmodie le Saint Coran. On récite des prières, on ramène des malades que le saint lieu guérit par les pouvoirs extra-lucides du m….. Cheikh. Les transes font le hitparade du moment, femmes et hommes se donnent à cœur joie à des danses d'un autre âge, obéissant à des symboles paranormaux ils lacèrent leurs corps, n'en faisant que larges plaies. Ils appellent des djinns, ils font apparaître toutes sortes de choses immatérielles que les crédules jurent avoir vues. Les guérisons, la fécondité des femmes deviennent aussi banales que le miracle transporte le Cheikh, maître du mulet sur les lieux. Que ne voit-il ' Ses laquais trônant sur des divans de velours qui, pris de panique, s'empressent de lui rapporter les faits. Ils lui avouent que l'émir qui passait par là, après son départ, lui, le Cheikh, maître du mulet, n'avait entendu de la phrase prononcée que : «Le Cheikh est mort.» Voilà ! C'est ainsi que l'émir, voulant se racheter des méfaits qu'il avait accomplis dans sa vie de détritivore, il avait décidé de construire une zaouïa au grand m… Cheikh. Lorsque le vent se mêle dans les choses humaines, il est capable d'influer sur l'ouïe comme sur l'esprit pour plonger, toujours les humains, dans les ténèbres que tout être sensé évite. L'homme a quelques cavités par lesquelles pénètre le sirocco porteur de grains de sable si fin, il continue son parcours des couloirs vides de l'intelligence. Il ne peut que colmater le peu de passage qui reste dans ces têtes afin de garder à l'ombre toute son étendue. Il y a des hommes qui ont toujours besoin de s'accrocher à une corde virtuelle qui servira probablement à leur pendaison. L'association … est un péché que condamne le mulet du Cheikh.
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