Algérie

Presse : la nouvelle économie !

On l'avait annoncé dans nos divers écrits, déjà à partir de la fin des années 90. On le voit, on le sait. Dans la plupart, sinon dans tous les pays du monde libéral, du moins dans les nouvelles économies, libérées, brusquement et sans préparation approfondie, des contraintes de la propriété collective (ce qui n'est pas, à mon sens, une aberration), les paysages médiatiques, carrefours des enjeux politiques, idéologiques et financiers, ont été les premiers à en faire les frais. Pour les pays les plus «ouverts» aux réformes, le capital étranger s'est engouffré dans la brèche et s'est rapidement approprié les moyens les plus intéressants ou en a créé de plus puissants et de plus attractifs ou, alors, il a joué le rôle de partenaire au «savoir-faire» indéniable. Ceci est très visible dans les pays de l'ex-bloc soviétique d'Europe de l'Est, dont la Russie, mais aussi dans certains pays arabes et africains où, désormais, journaux, radios, télés privées et agences de publicité à capitaux privés - tout ou en partie - foisonnent. Tout cela dans une atmosphère de concurrence en apparence sauvage, mais qui a l'avantage d'être, sinon loyale, du moins «franche». Avec, bien sûr, en certains endroits, un pouvoir politique - surtout lorsqu'il est assuré par des «héritiers», vieux ou encore jeunes, des anciens régimes autoritaristes - qui tente de défendre son pré –carré (en l'occurrence l'audiovisuel avec une préférence pour la télévision), mais sans grand enthousiasme, sachant bien qu'il est désormais très «surveillé» par les vigiles de la mondialisation-globalisation. Revenons au marché algérien de la Communication en général et à celui de la presse en particulier ! Depuis la loi relative à l'Information d'avril 90, qui a libéralisé le champ et, jusqu'à la fin des années 90, la scène médiatique a été occupé surtout, pour ce qui concerne la presse écrite et la publicité, par ce que l'on pourrait qualifier de journalistes «indépendants», un vocable qui cache, en fait, des entreprises créées et gérées par un ou plusieurs journalistes, pour la plupart issus du secteur public, et qui tentaient «l'aventure intellectuelle», avec l'espoir de réussir commercialement. On en est vite arrivé à plus de 250 titres et à plus de 400 agences de publicité et de régie publicitaire, à quelques dizaines de sociétés de production audio-visuelles et à une dizaine, sinon plus, de sociétés de diffusion de la presse. La presse écrite publique s'est rapidement trouvée quasi-totalement écartée du marché. Certains journaux de statut privé ont connu un certain succès, avec l'aide, au départ désintéressée, il fallait le croire, d'entreprises n'ayant rien à voir avec la presse : une aide en matériels informatiques (à l'époque (un micro-ordinateur ou une PAO, c'était cher et rare), parfois en locaux, souvent en publicité, et pourquoi pas en un peu d'argent. A l'image de ce qu'a fait l'Etat, au départ, en 90 - 91 ! La suite est une autre paire de manches : On s'est vite aperçu, l'expérience aidant et les ambitions ou les calculs divers apparaissant sur la scène politico-économique, les partenaires désintéressés d'hier se sont sentis concernés par les affaires de la presse qui pouvait «rapporter» soit de l?'argent directement, soit une parcelle de pouvoir ou d'influence indirectement. Il est vrai que, pour les journaux qui réussissaient, les formes de management et de gestion quotidienne devaient obligatoirement changer, ce qui n'était pas une mince affaire pour des gens habitués à écrire et non à compter. On a donc vu des sortes «d'infiltration» dans les directions des entreprises. Les exemples sont connus. Juste après (l'insécurité ambiante de l'époque ne favorisant pas la stabilité et la vigilance des rédactions, les journalistes les plus expérimentés obligés de se cacher ou de s'exiler, faute de moyens de protection appropriés, le Conseil supérieur de l'Information étant supprimé), on passa à une autre démarche faite d'appropriation d'une bonne partie du capital (on augmente le capital et l'on obtient ainsi la majorité des actions !). Seuls résistèrent les journaux à composante multiple faite de journalistes (El Watan, El Khabar, Le Soir d'Algérie…. Le Matin jusqu'à une certaine limite et, par la suite, Le Quotidien d'Oran) dont les statuts ne permettaient pas aux actions de sortir, en tout cas facilement, du collectif originel. Cette appropriation était d'autant plus aisée que la plupart des nouveaux «gros investisseurs», surtout les industriels ou de «gros» commerçants détenaient des parts du marché de la publicité. Certains d'entre eux, étant arrivés tardivement, ont contourné le processus en s'en allant créer leur propre agence de publicité et de régie (première source de financement de la presse) ou en s'associant, entre autres, avec des multinationales occidentales ou arabo-asiatiques comme Havas, Rscg, Publicis, Dentsu, ou en facilitant leur entrée sur un marché porteur et prometteur (ex : Karoui et Karoui)…. Depuis 1999, on assiste à l'accélération du mouvement, non encore de concentration, mais surtout d'appropriation - par «OPA» déguisée - de la totalité des capitaux (El Youm, Liberté et, …la rumeur parle de plus en plus d'El Khabar). Pis encore, les hommes d'affaires et les affairistes créent leur journal (et leurs entreprises de communication, surtout publicitaires ou de diffusion) ….avec l'aide, toujours d'un journaliste ou d'un groupe de journalistes, ces derniers obligés qu'ils sont, alors (et encore) sans statut et la loi relative à l'Information inappliquée, de «chercher du travail» et tout heureux de le trouver en ces temps de gros chômage, comme pour faire pendant à l'Etat qui, d'ailleurs, pousse à cela ou se tait ou laisse faire, au nom de la liberté d'entreprise et de l'économie de marché ou, tout bêtement et tout simplement, en guise de «punition» (sic !). Les exemples sont connus. Des entreprises industrielles ou commerciales privées sont souvent citées dans les «cafés de commerce»….. Par ailleurs, les partis politiques ne sont pas en reste et, après l'échec, durant la première étape quant à la création de journaux partisans et affichant franchement (ou presque) leur couleur politique, ils créent, par le biais d'entreprises SARL commerciales des journaux (surtout des périodiques) qui défendent leurs orientations (après tout, l'Etat a, aussi, ses EURL, les six quotidiens plus exactement). C'est là, diriez-vous, un développement logique ou naturel. Autre temps, autres m?urs ! Ce qui l'est bien moins, c'est que toutes ces appropriations s'effectuent avec l'aide directe ou indirecte de l'Etat, qui trouve son compte pour éliminer les gêneurs, qui peut mieux manipuler les rédactions à l'approche d'élections par exemple, d'autant que le marché des abonnements institutionnels et celui de la publicité (institutionnelle et aussi celle venant de gros annonceurs privés, surtout les partenaires étrangers qui n'osent pas aller à l'encontre des desiderata du pouvoir en place….ou qui, pour certains d'entre - eux , découvrant la force de leur «force de frappe» financière et commerciale «jouent» au Réd-chef, une manie «bien de chez nous» remise à la mode ) sont «entre ses mains». Ce qui l'est bien moins, c'est que la plupart des nouveaux propriétaires de la presse sont beaucoup plus des «affairistes» que des «hommes d'affaires», des «beaucoup flouss» que des grands argentiers, car ils n'hésitent pas à mettre au service de leur mercantilisme économique et politique égoïste et à court terme, le contenu et l'orientation de leurs journaux, les faisant bien souvent virevolter. On a même parlé, à un certain moment, d'argent «blanchi» dans la presse : de l'argent de bien des trafics, de l'argent «importé», de l'argent du crime et même du terrorisme…. De l'argent sale ! Chi lo sa ! Koul Chi moumkin ! A quand la nouvelle étape ? Celle de la concentration des titres, entre les mains de deux ou trois nouveaux magnats qui, très aisément - et dans la prudence et la discrétion, après avoir vu l'expérience avortée de Khalifa Abdelmoumène qui avait, certes, de la passion mais pas de raison, iront prendre d'assaut (ils en parlent déjà entre eux) l'audiovisuel dès son ouverture à l'initiative privée. Tant mieux pour eux ! Et, tant pis pour la liberté de la presse…et, aussi , pour le service public, car les individus ou les groupes d'individus, dans les rouages de l'Etat, hélas, et/ou les cercles proches - qui refusent la constitution d'une Autorité de contrôle et de régulation en application (en attendant mieux ) des termes de l'actuelle Loi relative à l'Information d'Avril 90 comme l'ex-Conseil supérieur de l'Information, qui n'aident pas (en raison des man?uvres habituelles) les Syndicats de journalistes à perdurer et les Unions d'éditeurs à se former…..), qui poussent à cela. Aujourd'hui, se préparent déjà à un nouveau pouvoir qu'ils croient être le leur alors qu'il est déjà ailleurs. * Journaliste et Universitaire
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