Algérie

Politique, lettre, jeu et spectacle




Politique, lettre, jeu et spectacle
Par Zineddine SekfaliUne lettre récemment adressée par le chef de l'état-major général de l'armée et vice-ministre de la Défense au secrétaire général du parti FLN a éclairé d'une lumière crue les liens subtilement cachés et apparemment indissolubles, fussent-ils inconstitutionnels, qui unissent encore l'ANP et le FLN. Contrairement à ce que d'aucuns tentent à faire accroire, cette lettre n'est pas, il s'en faut de beaucoup, une simple carte de compliments et de courtoisie, comparable à celles qu'on s'adresse, je dirais par civilité ou protocolairement, à l'occasion d'un heureux événement ou d'une élection à un mandat national, ou d'une nomination à une haute charge de l'Etat. Cette lettre contient, si on veut bien la lire attentivement et en entier, un message, on ne peut plus clair, d'appui et de soutien politiques. Tout le monde sait le sens de ces deux mots — soutien et appui — et en saisit la portée d'autant plus qu'ils sortent de la plume d'un général-major. A vrai dire, cette lettre a toutes les caractéristiques d'une profession de foi solennelle et d'un engagement partisan, à la fois formels et publics. Il est, par ailleurs, difficile de croire qu'elle n'exprime qu'un point de vue individuel et personnel, car on a pris soin de rappeler, dans la partie la plus significative et la plus vigoureuse de la missive, la formule : «L'ANP, digne héritière de l'ALN.» Il faut bien reconnaître qu'il ne s'agit pas là que d'une simple clause de style. On se souvient que nous disions à l'époque du parti unique, que le président de la République, secrétaire général du FLN, «incarnait» l'unicité de l'Etat et du parti. Or, depuis 1989, il n'y a plus, en principe, de parti unique en Algérie, sauf peut-être dans la tête de quelques rares nostalgiques inconciliables. Personne n'incarne plus le FLN, car on n'incarne pas l'Histoire. Le secrétaire général du nouveau FLN doit donc être normalement logé à la même enseigne que tous les autres secrétaires généraux des autres partis politiques. Sauf si l'on n'est qu'un incorrigible «politicien boujadi» ou qu'un primo-débutant en politique, on ne devrait pas sous-estimer le sens, le poids et la portée politiques de la lettre en question. Elle a du reste fait l'effet d'un véritable coup de tonnerre dans le beau ciel bleu de l'Algérie, en étant publiée au moment précisément où notre système politique entre dans une zone de turbulences inquiétante ! Elle nous a projetés trente ans en arrière, voire même plus loin encore, jusqu'à la crise historique de l'été 1962, d'une certaine manière. Les péripéties actuelles trahissent, disent les uns, un désordre institutionnel et mettent en évidence, pour d'autres, le désarroi du sommet de l'Etat. De toute manière, malgré les quelques progrès réalisés par les Constitutions de 1989 et 1996, il semble que le pouvoir politique ne saurait se concevoir chez nous que dans la forme du binème ANP-FLN. Le pouvoir politique est certes «àune tête» — il est bien en effet monocéphale, mais il apparaît de plus en plus qu'il a deux visages «l'un civil, l'autre militaire», tous deux insécables, comme celui de Janus bifrons, le Dieu antique à la fois craint et vénéré par la population. Or, nous serions à la veille d'une grande révision constitutionnelle — une de plus ! — et vu la manière dont la situation est en train d'évoluer, on brûle d'impatience de lire le projet de texte qui se concocte ou que nous ont Politique, lettre, d'ores et déjà concocté nos experts attitrés en droit constitutionnel. Cette lettre a en plus ce mérite non négligeable de nous révéler l'aspect ludique et spectaculaire de la pratique politique dans notre pays. Chez nous, en effet, la politique participe de certains jeux de société, tels plus particulièrement que le jeu des échecs, qui ne laisse pas de place au hasard, mais au contraire exige de la réflexion, de la logique, de la stratégie, du calcul. Dans ce jeu-là , tout est bluff, mystification, ruse et embûches. Certains individus ont le virus de la politique et sont addicts au jeu politique, comme d'autres le sont au jeu diplomatique. Si ces gens-là se donnaient la peine d'apprendre les échecs, ils feraient probablement d'excellents champions. Cependant, il faut se rendre à l'évidence que dans le jeu politique, beaucoup de gens confondent joueurs et pions. Dans le jeu d'échecs classique, il y a toujours deux joueurs, chacun ayant ses propres pions. Dans le jeu d'échecs «politique», il y a un seul joueur et plusieurs pions interchangeables, que le joueur place et déplace dans tous les sens, dans un but précis, à l'intérieur d'une stratégie mûrement réfléchie. Ces pions-là peuplent les cabinets noirs. Ce sont eux les fameuses éminences dites grises qui sont capables, comme les caméléons, de changer, à tout instant, de couleur pour s'adapter au milieu ambiant, soit par intérêt, soit par opportunisme, soit encore par pusillanimité. C'est dans ces cabinets, par définition obscurs, que nichent les spécialistes à's quotas, les experts en redressements «scientifiques», les recruteurs de «lièvres» présentables, tous ceux qui sont particulièrement férus en coups bas et en coups fourrés. Metteurs en scène habiles et généreusement dotés en moyens financiers et matériels dont souvent on ignore la provenance, ils organisent les meetings quand ils veulent et là où ils veulent, et si besoin est, font donner la charge contre leurs adversaires ou concurrents, par leurs réserves de baltaguia, ou leurs chiens pitbulls, comme cela s'est déjà vu. Ils sont toujours prêts à tout ! Ils ont montré qu'ils sont capables de créer «une opposition à l'opposition», ce qui évite à leurs séides de monter au créneau et de n'intervenir que pour donner le coup de grâce aux plus coriaces des opposants. C'est évidemment dans ces officines, cabinets et autres comités que se concoctent des plans forcément opaques, parce qu'inavouables tant ils sont contraires à la morale et à l'honneur. Tout compte fait, ces joueurs invétérés, en jouant contre leurs adversaires et , concurrents, se jouent aussi de tous les citoyens. Quant aux pions, leur sort est pitoyable, car ils sont toujours pris dans les manipulations des joueurs. Pire que cela, il arrive que les pions manipulés se manipulent entre eux, ce qui rend la situation encore plus pathétique La politique tient aussi du spectacle de marionnettes, comme le pensent quelques-uns. Le spectacle des marionnettes est un regard posé sur le monde tel qu'on souhaiterait le refaire. Il est à la culture populaire ce que le théâtre est à la culture savante. Il donne à voir aux spectateurs le combat permanent qui existe entre le bien et le mal, entre les bons et les mauvais, entre les gardiens de l'ordre public et les malfaiteurs. Le spectacle des marionnettes est généralement très agité. C'est habituellement une suite saccadée de poursuites, de bastonnades et de ruses. On entend surgir du côté de la scène des paroles, des cris, des appels”? Mais les figurines ne sont que des pièces en carton, en chiffon ou en bois, qui n'ont ni parole ni conscience, ni âme ni intelligence. Ces figurines sans vie font cependant allusion à des situations vécues par les spectateurs dans leur vie quotidienne. Comme le théâtre comique, les marionnettes amusent le public, tout en éveillant les consciences des gens et en les éduquant. Cela n'a pas échappé aux politiques qui ont découvert dans le spectacle des marionnettes un moyen simple et peu coûteux, d'agir sur les gens, sur leurs comportements et sur leur conscience. La marionnette est par nature manipulée. Elle peut être aussi un excellent moyen de manipuler autrui. Car derrière toute marionnette, il y a immanquablement un marionnettiste qui tire les ficelles, parle, ordonne, commande, mais sans se montrer. On ne le voit pas au travail, mais il donne à voir à ceux qui viennent assister au spectacle. Comme disent les économistes en parlant du marché, il est «la main invisible», qui fait que tout bouge sur la scène. Il agit derrière le rideau, dans le dos des pantins qu'il agite. Il lui suffit de tirer sur deux ou trois ficelles pour que toute la scène s'anime. Il est tout à la fois le machiniste en chef, le scénariste, le parolier et le metteur en scène. Il n'est pas donné à tout le monde d'être un bon marionnettiste. Ne sont capables de tels tours de force ou prouesses que quelques virtuoses de la politique. Aussi, quand, par extraordinaire, les spectateurs trouvent que les marionnettes jouent mal, c'est le marionnettiste qu'il convient de siffler. Car l'acteur, c'est lui, pas les figurines !







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