Depuis la médiatisation de la lutte des «écureuils» dans les arbres de l’A69, les militants qui grimpent sont de plus en plus nombreux. Un engagement physique et psychologique pour protéger le vivant.
Saint-Hilaire-de-Briouze (Orne), reportage
Huit personnes lèvent le nez vers le houppier d’un grand chêne d’où pendouillent des cordes d’escalade. Pour les accrocher, Simon [*] a lancé un petit sac lesté qui s’est accroché autour d’une grosse branche. Un geste vif, qui nécessite une certaine adresse et ne fonctionne pas à tous les coups. «Certains utilisent parfois des arbalètes», explique le militant de 28 ans au petit groupe qui l’entoure, lors d’une séance d’initiation pendant le festival Les Résistantes, qui s’est déroulé en Normandie en août.
Il est membre des Grimpantes des terres, un réseau informel de grimpeuses et grimpeurs d’arbres lancé fin 2023. Des amis d’amis, souvent militants, parfois professionnels de la corde, qui partageaient une même envie: s’accrocher aux arbres menacés d’abattage par des projets contestés.
Certains voulaient monter en compétence, d’autres cherchaient des camarades d’action, ou encore du matériel. Leur réseau est en pleine expansion, même s’il est difficile d’estimer le nombre de ses membres. Peut-être une centaine de personnes? «Oh, largement plus que ça!» s’exclame Simon.
. Même si l’arbre finit par être abattu, «il aura vécu six mois de plus, il aura fait des feuilles, des fruits ». © Paul Lemaire / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
De Saint-Péray (Ardèche) à Compiègne (Oise) en passant par Brest (Finistère) et par l’autoroute A69, la grimpe dans les arbres est devenue un outil efficace pour médiatiser une lutte et permet souvent de retarder les travaux grâce aux recours au tribunal.
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D’autant qu’abattre des arbres n’est pas une mince affaire pour les bétonneurs. Ils doivent respecter les périodes autorisées, précisées dans les enquêtes environnementales. Il faut également faire venir un écologue pour vérifier chaque cavité. Un travail minutieux qui peut prendre des mois, mais n’est pas toujours respecté. «En général, les entreprises font ces abattages illégalement. Comme ça, après, elles peuvent rapidement commencer à bétonner», constate Simon.
- «Intérêt médiatique»
Même lorsque les arbres finissent par être détruits, l’occupation permet de gagner du temps. «Parfois, l’arbre aura vécu six mois de plus, il aura fait des feuilles, des fruits. Des gens auront ramassé des petits platanes et les auront plantés chez elles et eux. C’est beau», s’émeut Simon. «Il y a vraiment un intérêt médiatique à conserver un espace naturel avec les arbres, car cela donne beaucoup plus envie de se mobiliser que lorsque tout est rasé et qu’on se dit que c’est foutu, comme on peut l’entendre sur l’A69», raconte Clémence [*] 26 ans, autre membre des Grimpantes des terres.
Les «écureuils» en lutte contre cette autoroute entre Toulouse et Castres ont donné le goût de la grimpe à beaucoup de jeunes, comme Clémence passée sur la zad fin août 2024, juste avant les abattages: «Quand j’ai vu les personnes dans les arbres se faire attraper par la Cnamo [la Cellule nationale d’appui à la mobilité, brigade de gendarmerie spécialisée dans le délogeage de personnes occupant des arbres], ça m’a choquée car c’était très violent. Les gens ont risqué leur vie».
. Lire aussi: A69: les gendarmes de la Cnamo mis en cause dans les chutes graves de militants (A lire sur site ci-dessous)
Hélène, également membre du collectif, était aussi présente. «Je n’ai pas vu les arbres abattus, mais j’ai entendu un cri de détresse comme je n’avais jamais entendu. C’est comme si quelqu’un avait perdu un membre de sa famille parce que l’arbre Majo était en train d’être coupé», raconte-t-elle avec émotion en se rappelant le nom de l’arbre disparu. «Les gens hurlaient, on devait se boucher les oreilles pour ne pas entendre», renchérit Simon.
Comment expliquer une telle douleur? «Un arbre, c’est quelque chose qui est debout comme nous. Si on le coupe, il tombe par terre. Pour moi, c’est un peu comme un camarade en manifestation qui se prend un LBD, qui crie et qui tombe sous tes yeux», estime Simon. Sa camarade renchérit: «Un arbre ne peut pas se défendre. S’y attaquer, c’est vraiment être le pire des lâches.»
. L’occupation des arbres fait partie de l’arsenal des militants écologistes depuis un demi-siècle. © Paul Lemaire / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Le bruit de la tronçonneuse sur l’écorce tailladée, le crissement du tronc qui plie, puis tangue avant de s’effondrer dans un craquement épouvantable déclenche une immense vague d’empathie. «Il suffit de voir un seul arbre tomber dans sa vie et on devient le militant ou la militante la plus radicale de l’histoire», poursuit-il.
- Pierre angulaire du mouvement Earth First!
Leur lutte s’inscrit dans une histoire née aux États-Unis, à Austin (Texas), en 1969. Des étudiants avaient grimpé dans des cyprès et des chênes pour empêcher leur abattage lié à l’extension d’un stade. Dans les années 1980, le mouvement Earth First! en a fait la pierre angulaire de ses combats.
. Lire aussi: Occuper les arbres: une stratégie de lutte payante (A lire sur site ci-dessous)
Cette technique s’est ensuite propagée dans le reste du monde: en 1978, en Nouvelle-Zélande pour sauver la Pureora Forest, en Australie, au Canada, en Irlande, aux Pays-Bas, en Suède, en Angleterre... L’une des occupations les plus médiatiques est celle de Julia «Butterfly» Hill. En 1998, cette femme, âgée à l’époque de 23 ans, s’est accrochée à Luna, un séquoia vieux de 1.500 ans qui risquait d’être abattu en Californie. Elle y est restée 738 jours, jusqu’à ce que l’entreprise forestière n’accepte de préserver l’arbre et tous ceux situés à 60 m autour de lui. Une expérience qu’elle raconte dans le livre De sève et de sang (éd. Libre, 1999).
En France, Thomas Brail, le fondateur du Groupe national de surveillance des arbres, est devenu la figure médiatique de la grimpe militante. «Il a rendu un grand service. Mais quand une personne prend une place aussi centrale, tout va se concentrer sur elle pour les négociations. Elle fait office de porte-parole», regrettent les militants.
«C’est plus facile que ce que j’avais imaginé»
Retour en Normandie, sous le grand chêne du camp des Résistantes. Simon liste le matériel nécessaire pour l’ascension: corde, baudrier, mousqueton, descendeur et cordelette. Le tout pour moins de 100 euros. «On essaie que cela nous coûte le moins cher possible, pour limiter la perte en cas de saisie par la police», explique-t-il. Le jeune homme rappelle également les règles de sécurité, car, avant de grimper, il faut connaître l’état de santé de l’arbre.
L’une des participantes à l’atelier se dévoue pour être la première à tenter l’ascension. Simon lui montre comment tresser un nœud autobloquant, appelé prusik, avec une cordelette. Il installe ensuite une autre cordelette pour lui faire une pédale. La jeune militante enfile son baudrier, installe son pied dans la pédale et commence à s’élever dans les airs. «C’est plus facile que ce que j’avais imaginé», sourit-elle.
«Je suis dans mon élément », s’amuse Ségolène, participante à l’initiation organisée au festival Les Résistantes, dans l’Orne. © Paul Lemaire / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Pourtant, la grimpe militante dans les arbres n’est pas toujours une partie de plaisir. Il faut tout d’abord être en forme physique et ne pas avoir le vertige. Ensuite, les violences policières, le froid glacial, le soleil brûlant et la pluie battante usent les nerfs de celles et ceux qui choisissent de se percher. Avant de s’engager sur une prochaine action, Hélène estime qu’il faudrait qu’elle soit accompagnée de gens envers qui elle a «une totale confiance, et avoir un attachement au terrain. Mais surtout, il faut du temps et de la disponibilité».
Clémence ressent également le besoin de «rediscuter avec plein de gens qui ont vécu des récentes d’occupations d’arbres pour voir s’il y a moyen de faire mieux, avec moins de risques et plus efficace. Et parce que sinon, c’est vraiment se brûler une bonne partie de son psychisme sans résultat», estime-t-elle.
[*] Le prénom a été modifié.
Photo: Un atelier d'initiation à la grimpe militante lors du festival Les Résistantes, dans l'Orne, en août 2025. - © Paul Lemaire / Reporterre
Pour accéder et lire l'article dans son intégralité avec toutes les illustrations et articles en annexe: https://reporterre.net/Comment-les-ecureuils-sont-devenus-des-symboles-des-luttes
Par Laury-Anne Cholez et Paul Lemaire (photographies)
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Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Laury-Anne Cholez et Paul Lemaire (photographies)
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