Algerie - Ecologie

Planète (Europe) - Incendies: pourquoi l’eucalyptus est au centre des tensions en Espagne


Planète (Europe) - Incendies: pourquoi l’eucalyptus est au centre des tensions en Espagne
En Galice, des volontaires ont monté des brigades pour lutter contre la prolifération des eucalyptus. Cette espèce invasive, massivement plantée pour sa rentabilité, est accusée de favoriser les incendies.

Froxán (Galice, Espagne), reportage

Il tire d’un coup sec. La tronçonneuse se met à ronronner. En face, à gauche, à droite, à perte de vue, des troncs fins à l’écorce lisse partent en lignes droites vers le ciel dans un parfum frais, légèrement camphré. «Attention, je vais faire tomber celui-ci vers la droite!» prévient Borja, qui ajoute: «Il faut prendre garde à ce que la chute des eucalyptus n’endommage pas les plantes indigènes.»

Les plantes locales sont rares à avoir pu s’imposer sur cette parcelle entièrement colonisée par l’eucalyptus, espèce invasive qui dévore la région de Galice, à l’extrémité nord-ouest de l’Espagne. Face à cette prolifération qui rend le territoire plus vulnérable aux incendies qui le frappent régulièrement, les habitants du petit hameau de Froxán ont décidé de monter des «brigades de déseucalyptisation».

. Borja manie la tronçonneuse pour couper les eucalyptus sans endommager les plantes de la région. © Alban Elkaïm / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Leur région a été l’épicentre de la vague historique d’incendies qui a frappé l’Espagne cette année, les plus dévastateurs du siècle. 382.000 hectares sont partis en fumée depuis début janvier, dont 338.000 rien qu’en août. La Galice compte pour 144.000 de ces hectares calcinés, ce qui a relancé la polémique récurrente autour de l’eucalyptus et sa gestion.

Introduit en Espagne au début de la dictature de Franco (1939-1975), dans une politique de reforestation rapide et rentable, cet arbre possède un bois est particulièrement apprécié par les industries du papier et du bois. L’eucalyptus est droit, il pousse vite, peut le faire sur des terrains difficiles et réclame peu de travail d’entretien.

Selon un rapport émis en 2023 par le Conseil de la culture galicienne, ces dix dernières années l’ont vu gagner 53.000 hectares, pour arriver à 406.000 en tout dans la région. 27 % de sa masse forestière. Dans la province de La Corogne, où se trouve Froxán, cette proportion atteint 48 %. Et l’entreprise portugaise Altri doit bientôt installer une méga usine pour produire du tissu textile à base de bois, ce qui augmenterait encore les besoins. Avec la bénédiction du gouvernement régional.

«On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose»

«Il faut le mettre ici, pour broyer plusieurs couches», explique Xesús à Isabel en plaçant un burin entre les stries circulaires de la souche d’un arbre fraîchement coupé pour le battre à coups de marteau. «Si on le dépèce, on est sûr que les champignons entrent, et la souche pourrit. Sinon, tu as des reprises et c’est un nouvel arbre dans quelques années.»

Isabel s’applique, sous la lumière terne que laisse filtrer la canopée haute des eucalyptus. Fondées en 2018 par Joam Evans, ces brigades organisent régulièrement des actions de «déseucalyptisation», et réussissent à attirer un public de volontaires motivés, sans cesse renouvelé.

Ce samedi, une trentaine de personnes ont répondu à l’appel. «Les brigades sont nées ici, à Froxán, à la suite d’un incendie qui nous a touchés en 2016. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose et nous avons commencé à toute petite échelle. Il n’y a que quatre maisons ici», sourit Joam Evans, qui dirige les opérations ce jour-là.

. « La présence des eucalyptus favorise les feux, et les feux favorisent leur expansion », dit Joam Evans, fondateur des brigades. © Alban Elkaïm / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Même quand il n’est pas planté volontairement, l’arbre a tendance à conquérir du terrain, évinçant les autres espèces, et à former des forêts peuplées dont ses semblables sont presque les seuls habitants. En raison des propriétés de cette essence originaire d’Australie, ces masses forestières brûlent particulièrement bien et fort si elles ne sont pas strictement contrôlées et soigneusement entretenues.

En 2017, deux séries d’incendies avaient ravagé la Galice et le Portugal, lui aussi envahi. Bilan: 111 morts, dont 4 en Espagne. Le pays voisin avait alors pris des mesures pour restreindre le droit à planter et cultiver cet arbre, très rentable. «Là, nous avons décidé de lancer le projet à l’échelle de toute la Galice, raconte le fondateur des brigades. Nous étions 40 volontaires à l’époque. Aujourd’hui, nous sommes plus de 1.500!»

- Un arbre qui s’entend bien avec le feu

Ce samedi, les volontaires s’occupent d’un terrain qui, après un incendie, en 2006, a été colonisé par l’espèce invasive. «Nous l’éliminons pour restaurer une forêt autochtone, avec des essences endémiques comme le chêne ou le châtaignier, qui brûlent moins facilement», explique Joam Evans.

L’eucalyptus est un adversaire trop coriace pour elles. Il croît très rapidement, accapare les ressources, l’espace et forme rapidement une canopée qui empêche les autres de prendre la lumière, indispensable pour le développement des plantes. De plus, l’arbre australien est pyrophyte, résilient face aux feux et capable de se régénérer après avoir brûlé. «Leur présence favorise les feux, et les feux favorisent leur expansion», résume Joam.

. Rodrigo et Martina découpent les eucalyptus abattus pour les empêcher de repartir. © Alban Elkaïm / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Région brumeuse au ciel souvent couvert, la Galice connaît un climat qui rappelle celui de la Bretagne. C’est pourtant celle qui brûle le plus en Espagne. Gare aux conclusions hâtives, prévient toutefois le WWF Espagne: «Chaque fois que la Galice ou le Portugal brûlent, le même discours revient: “C’est la faute de l’eucalyptus.” L’arbre facilite l’accumulation de feuilles mortes et propage des huiles inflammables. Mais de nombreux autres facteurs entrent en jeu», dit l’organisme.

«Chaque année, la province d’Ourense est celle qui brûle le plus et elle ne porte presque pas d’eucalyptus, rappelle le WWF Espagne. En Galice et au Portugal, les zones broussailleuses ou de pâturages brûlent largement plus souvent que les forêts d’eucalyptus […]. Sa présence est surtout une partie d’un modèle territorial général où il n’y a ni planification ni gestion, ce qui facilite l’accumulation de combustible.»

«Tu entends? Il n’y a pas d’oiseaux.»

«Tu entends?» interpelle Manuel qui se repose, à un moment où les tronçonneuses se sont tues, ce samedi. La brise dans les feuillages. Les éclats de voix indistincts de volontaires… «Il n’y a pas d’oiseaux. Dans une forêt, ce n’est pas normal.» «En réalité, c’est un authentique désert vert, avec très peu de biodiversité. La plupart du temps, ce sont des monocultures forestières», regrette Joam Evans.

Outre les spectaculaires incendies qui choquent la société entière, cette hégémonie a de nombreuses conséquences écologiques et socioculturelles très néfastes. Dans son rapport de 2023, le Conseil de la culture galicienne estime que le modèle de l’exploitation d’eucalyptus dans la région est «complètement destructeur», provoque une métamorphose du paysage naturel et culturel, la perte de biodiversité, l’uniformisation, l’altération de ressources hydriques — l’arbre consomme tellement d’eau qu’il est utilisé pour assécher des marais — et un appauvrissement des sols. Nombre de plantations engloutissent également des sites d’intérêt archéologique préhistoriques, souvent non répertoriés, nombreux dans la région.

. Le Conseil de la culture galicienne estime que l’eucalyptus est délétère pour l’ensemble du paysage de la région. © Alban Elkaïm / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

À l’écart du hurlement des tronçonneuses, Martina abat la lame de sa petite hache sur un tronc couché au sol. Rodrigo marque le rythme en fredonnant des notes aux sonorités gaéliques. Ils sont venus de Saint-Jacques-de-Compostelle avec deux autres amis, membres de leur groupe de pandeiro, tambour traditionnel galicien.

«C’est très satisfaisant de voir que, si nous nous organisons, nous pouvons gérer nos montagnes, les maintenir propres et productives pour l’usage de ceux qui en vivent réellement, et non des grandes plantations», abonde Martina en galicien, langue régionale proche du portugais, utilisée pour l’immense majorité des échanges ce jour-là.

14 heures. Les vrombissements s’espacent, puis cessent. Les volontaires finissent d’entasser les troncs qui serviront de bois de chauffe. Ce qui était un sous-bois mal éclairé forme désormais une petite clairière où seuls restent debout de rares eucalyptus et la silhouette irrégulière de quelques jeunes chênes. Moins de 1 hectare. Dans le fond, à perte de vue, des troncs à l’écorce lisse s’élancent vers le ciel en lignes droites.

Photo: Les «brigades de déseucalyptisation» se mobilisent en Galice pour couper ces arbres invasifs. - © Alban Elkaïm / Reporterre

Pour voir l'article dans son intégralité avec les illustrations ci-dessus: https://reporterre.net/En-Espagne-ils-coupent-les-eucalyptus-accuses-de-favoriser-les-incendies

Par Alban Elkaïm

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