Une initiative citoyenne berlinoise tente de limiter dans la ville l’utilisation de la voiture à douze jours par an. L’idée, soutenue par une partie de la gauche et des écologistes, est loin de faire l’unanimité.
Berlin (Allemagne), correspondance
L’idée a de quoi être radicale: utiliser sa voiture seulement douze jours par an. Dans la capitale allemande, l’initiative citoyenne Berlin Autofrei tente depuis plusieurs mois de préparer un référendum pour une capitale littéralement «sans voiture». Non sans mal.
Ce plan, contenu dans le projet de loi sur l’utilisation des routes dans l’intérêt général, vise notamment à baisser de 10 et 30 km/h la vitesse des véhicules dans le «S-Bahn-Ring», la ligne périphérique du train urbain — l’équivalent du périphérique parisien. Par ailleurs, et c’est la mesure phare qui provoque le plus d’incompréhension, il propose que les particuliers utilisent leur voiture dans la ville seulement douze jours par an et par personne. Avec des exceptions pour les personnes handicapées, la police, les pompiers et ambulances ou encore les livreurs et artisans, les taxis et autres voitures utilisées en autopartage.
Le mouvement de gauche et écologiste Berlin Autofrei estime qu’un tel plan aboutirait à réduire la circulation motorisée de 60 %, avec tous les avantages humains, environnementaux et financiers que cela implique.
. Lors des Critical Mass (ici le 7 septembre 2025), de petits groupes de cyclistes se réunissent deux fois par mois dans toute la ville pour former des cortèges de plusieurs centaines de personnes. © Paul-Louis Godier / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
«Utiliser sa voiture douze fois 24 heures par personne dans un foyer de quatre personnes, cela fait tout de même 48 jours par an. En combinant avec d’autres moyens de transport, c’est tout à fait viable. Mais dans notre société fossile, proposer de délaisser la voiture choque beaucoup», dit Marie Wagner, porte-parole de l’initiative citoyenne qui, vu le contexte tendu, évite de livrer des détails personnels.
La proposition a en effet provoqué une levée de boucliers dans cette ville dirigée par la CDU, l’Union chrétienne-démocrate. «Qui sont les extrémistes qui veulent nous interdire de conduire?» titrait par exemple le quotidien berlinois BZ en dressant leur portrait en forme d’avis de recherche. «La législation populaire est devenue le terrain de jeu des militants de gauche et des écologistes. Ce n’était pas son objectif initial et cela doit cesser», s’emportait l’un des éditorialistes du journal. Même chose du côté des politiques au pouvoir: «Ce projet implique des atteintes considérables à la propriété, c’est de facto une expropriation. Il ne contribue pas à la sécurité routière [...] C’est un monstre bureaucratique», assénait le président conservateur (CDU) de la commission pour la mobilité du Parlement de Berlin, Johannes Kraft, le 24 septembre.
La CDU, qui gouverne avec le Parti social-démocrate (SPD), a ainsi porté plainte contre l’initiative auprès du tribunal constitutionnel régional pour tenter de la stopper. Mais les juges ont estimé qu’il n’y avait pas de «droit à rouler en voiture» et que l’initiative servait bien l’intérêt public.
- Une politique à contre-courant
L’idée a toutefois peu de chance d’être adoptée par le Parlement. Vainqueur des élections de 2023, le maire (CDU) Kai Wegner avait annoncé la couleur avec ses populistes: «Berlin empêchera que l’on interdise la voiture» ou encore «Berlin est là pour tous, aussi pour les automobilistes».
Fatigué par sept ans d’une coalition très divisée réunissant le SPD, le parti de gauche Die Linke et les écologistes, l’électorat de gauche s’était peu déplacé dans les bureaux de vote. «Kai Wegner a su instrumentaliser la peur des électeurs des quartiers extérieurs, plus tributaires de l’automobile pour aller au travail», dit Jan Michael Ihl, conseiller municipal écologiste de l’arrondissement de Neukölln et spécialiste des questions de transport.
. Eberhard Brodhage, président de l’ADFC Berlin, et Lisa Feitsch, porte-parole de l’association, lors d’une manifestation organisée à la porte de Brandebourg, le 13 septembre 2025. © Paul-Louis Godier / Reporterre (Voir photosur site ci-dessous)
«Nous sommes dans une situation paradoxale. 50 % des foyers berlinois n’ont pas de voiture», dit Lisa Feitsch, porte-parole de l’ADFC, le plus grand club cycliste au monde avec 240.000 adhérents allemands, dont 21.000 à Berlin. Devant la porte de Brandebourg, elle attend le signal du départ de la 25e boucle annuelle des cyclistes de l’ADFC, qui manifestent en soutien à l’initiative et pour critiquer les mesures antivélo du gouvernement.
«Les études montrent que la part de l’automobile dans la mobilité berlinoise ne cesse de reculer au profit des piétons et du vélo. Mais, pendant que Paris, Madrid ou Stockholm limitent radicalement leur circulation, la coalition qui dirige la ville mène une politique provoiture qui ne correspond pas aux besoins et aux aspirations des gens. Nous voulons un rééquilibrage», explique la jeune femme.
. D’autres organisations et collectifs se joignent au cortège, comme Respect Cyclists. © Paul-Louis Godier / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Depuis 2023, Berlin et sa majorité provoiture détruisent en effet les acquis des dernières années. Le nouveau pouvoir s’est d’abord empressé d’achever le chantier d’une bretelle d’autoroute de 3,2 km en plein Berlin-Est pour 720 millions d’euros. «Berlin a besoin d’une infrastructure performante… L’autoroute urbaine attire aussi le trafic hors des zones résidentielles et les désengorge», a affirmé le maire lors de l’inauguration fin août.
Pour l’instant, les Berlinois ont surtout assisté à l’apparition d’un nouveau «point noir» routier: un bras d’autoroute qui se déverse sans transition dans un tissu urbain non préparé. «Mon arrondissement borde l’arrivée du tronçon. Chaque jour, des bouchons désorganisent les lignes de bus et de tramways du quartier», s’énerve Jan-Michael Ihl, conseiller municipal écologiste, qui voit la confirmation du vieux slogan «Qui sème des routes récolte du trafic».
- Reculs sur le vélo
La politique orchestrée par Ute Bonde, la sénatrice conservatrice des Transports, est du même acabit. Le budget 2026 pour les pistes cyclables, les vélos et la sécurité des piétons va être divisé par deux. Le financement des nombreux «Kiezblock», ces quartiers semivégétalisés et à circulation réduite où la rue est partiellement redonnée aux piétons, a été stoppé dans la plupart des arrondissements.
Par ailleurs, début septembre, la majorité municipale a voté le relèvement de la limitation de vitesse de 30 à 50 km/h sur 25 rues principales. Motif? L’abaissement de la vitesse ayant permis de faire baisser le niveau d’émissions de CO2, la mairie estime qu’il est donc possible de remonter la vitesse pour «fluidifier» le trafic...
«La loi sur la mobilité de 2018, qui est elle-même née d’une grande consultation populaire en faveur du vélo, prévoyait la construction de dix voies cyclables rapides pour sortir de Berlin, et 1.600 km de pistes normales supplémentaires d’ici à 2030. Mais tout a été gelé. En 2024, Berlin n’a construit que 17 km de pistes cyclables!» commente Lisa Feitsch.
. Déterminée, Marie Wagner, porte-parole de Berlin Autofrei, doit récolter 170 000 signatures pour que son initiative aboutisse à un référendum. © Paul-Louis Godier / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
La société Netbikes, subventionnée pour offrir un service de location de vélos dans les quartiers extérieurs, va devoir se retirer. Enfin, de nombreuses voies cyclables installées sous la municipalité précédente sont en cours de suppression, comme sur la très fréquentée Kantstrasse, dans l’ouest de Berlin.
- L’espoir d’un référendum
Ces mesures mécontentent fortement les Berlinois, qui se réveillent d’autant que le nombre de morts sur la route a grimpé de 33 à 55 entre 2023 et 2024. «Berlin reste une ville sous-développée pour les vélos. Il y a trop peu de pistes, trop mal entretenues et trop d’endroits dangereux au contact des voitures», s’indigne Mathilde Langendorf, qui est venue manifester à vélo avec son mari, Martin, à la porte de Brandebourg.
La popularité du gouvernement du Land Berlin s’est effondrée en conséquence avec seulement 26 % des personnes interrogées «satisfaites» ou «très satisfaites», contre 68 % de mécontents. Chaque mois, le nombre des manifestations provélo se multiplie dans de grands cortèges. Le très écologiste Club cycliste allemand (VCD) milite d’ailleurs activement devant les établissements scolaires pour imposer la création de «rues aux écoles», «des rues protégées qui garantissent la sécurité de nos enfants et se développent très bien à Paris et à Barcelone, mais pas ici», dit le président du club, Nordost Heiner von Marschall.
Cette remobilisation grandissante donne du courage à Marie Wagner. «Outre le soutien des écologistes et de la gauche, nous devrions pouvoir compter avec l’appui de ce large réseau associatif, qui est très bien implanté dans toute la ville», dit-elle.
Le travail qui l’attend ces prochains mois est conséquent. «Dès que le Sénat aura refusé notre projet de loi, nous aurons quatre mois pour réunir 170.000 signatures. Et si nous y parvenons, les Berlinois se prononceront directement par référendum le 20 septembre 2026, en même temps que l’élection du Parlement régional», précise-t-elle, ravie de cette concordance des agendas politiques qui, au minimum, va permettre à l’initiative Autofrei de placer sa proposition au cœur des débats électoraux.
Photo: Une cinquantaine de cyclistes manifestent à Berlin contre les mesures antivélo du gouvernement, le 13 septembre 2025. - © Paul-Louis Godier / Reporterre
Pour voir l'article dans son intégralité avec toutes les illustrations: https://reporterre.net/A-Berlin-la-bataille-fait-rage-pour-une-ville-sans-voiture
Par Thomas Schnee et Paul-Louis Godier (photographies)
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Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Thomas Schnee et Paul-Louis Godier (photographies) - 21 octobre 2025
Source : https://reporterre.net/