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Planète (Brésil/Amérique du Sud) - Face aux feux en Amazonie, les autochtones deviennent sapeurs-pompiers


Planète (Brésil/Amérique du Sud) -  Face aux feux en Amazonie, les autochtones deviennent sapeurs-pompiers
Au Brésil, un réseau de brigades de sapeurs-pompiers s’est créé pour agir contre les feux, brûlant de millions d’hectares de forêt chaque année. Beaucoup sont issus de communautés autochtones.

Réserve de Resex Tapajós-Arapiuns (Brésil), reportage

6 h 15 du matin, le Janderson Felipe démarre et commence à remonter la rivière Tapajós. Les hamacs et leurs occupants encore endormis se balancent. À l’étage du dessous, les locataires du dortoir, tout près du moteur, se mettent à vibrer.

La mission dans laquelle s’est engagée la vingtaine de Brésiliens à bord est organisée par le Réseau de brigades du Bas-Tapajós, comprenant des «brigadistas» (sapeurs-pompiers) volontaires, autochtones, communautaires et institutionnels. Ensemble, ils font le tour des communautés de la réserve extractiviste Resex Tapajós-Arapiuns [1], gérée par l’Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité (ICMBio). Objectif: faire de la prévention sur les incendies pendant la saison la plus à risque de l’année.

Au deuxième jour de leur tournée d’une semaine, l’embarcation s’arrête dans la communauté de Cabeceiro do Amorim. À l’ombre des manguiers et des hévéas, la réunion démarre. Maria-Alice Bizam, agente de l’ICMBio, demande aux habitants leurs souvenirs des incendies qui ont touché le territoire. 1998 a été le premier feu marquant. En 2010, un autre est entré dans le village. «Vous vous souvenez de celui de 2015?» demande Maria-Alice. Un quart de la Resex, soit plus de 45.000 hectares, avait été réduit en cendres.

. La réserve Resex Tapajós-Arapiuns. © Louise Allain / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

- Vivre avec le feu

Aussi destructeur soit-il, le feu est un élément essentiel du quotidien des habitants de la réserve, qui cuisinent avec tous les jours et l’emploient pour faire leurs cultures sur brûlis. C’est l’un des facteurs des incendies, derrière les feux liés à l’accaparement des terres, la spéculation foncière et les incendies d’origine agricole.

«On n’est pas là pour vous l’interdire, insiste Tainan Kumaruara [2], brigadière autochtone, mais pour vous rappeler les bonnes pratiques et éviter de perdre le contrôle.»

Parmi les pratiques rappelées: créer une zone coupe-feu de 3 mètres de large minimum autour de ses cultures, réaliser le brûlis en groupe et en fin d’après-midi quand les températures baissent, faire des départs de feu à contrevent, qui laissent une porte de sortie aux espèces animales… La réunion permet aussi de constater l’évolution des pratiques due au changement climatique: les anciens démarraient le brûlis autour de midi, aujourd’hui, il faut attendre 17 heures quand le soleil est moins fort.

. Intervention sur un incendie en bord de rivière. © Leonardo Milano (Voir photo sur site ci-dessous)

Le travail du Réseau de brigades du Bas-Tapajós s’appuie sur la gestion intégrée du feu, qui combine les pratiques traditionnelles et modernes pour réduire les risques. «Une partie essentielle de notre travail n’est pas le combat, mais la prévention», insiste Tainan Kumaruara.

Selon le Panel scientifique pour l’Amazonie (SPA), la gestion intégrée du feu, en impliquant les populations locales, les mieux placées pour connaître le territoire, réduit grandement le risque d’incendies incontrôlables. Sur les 13 sapeurs-pompiers institutionnels de l’ICMBio, 10 ont été recrutés dans la Resex. Dans les autres brigades, tous sont des locaux.

. Tainan Kumaruara, brigadière autochtone. © Anouk Passelac / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

- «L’affaire de tous»

La majorité des pompiers présents ce jour sont volontaires. Ce qui les anime: «L’amour pour le territoire», répondent-ils chacun à leur manière. «C’est notre maison et nous n’en avons qu’une seule, dit José Martins Da Silva, en battant la terre sous sa botte, la main sur le cœur. Si on la perd, où ira-t-on?»

Lui a perdu son grand-père dans les flammes lors d’un brûlis incontrôlé. Tainan Kumaruara, brigadière autochtone, s’engage pour ses enfants, «pour qu’ils puissent grandir sur un territoire préservé». Ses yeux sont soulignés par un trait noir horizontal et un trait vertical sous la bouche.

. «C’est notre maison et nous n’en avons qu’une seule. Si on la perd, où ira-t-on? » s’inquiète José Martins Da Silva. © Anouk Passelac / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Les habitants prennent la parole pour exprimer leurs besoins et leurs questionnements. Parmi les problèmes relevés, les conflits de voisinage qui débouchent parfois sur des incendies criminels. Le brûlage des ordures (aucun système de collecte n’est mis en place par la préfecture de Santarém dont ils dépendent) peut aussi provoquer un incendie et génère des tensions.

«Dans ma communauté, c’était comme ça aussi, confie Marlisson Castro. Avant, si mon voisin n’arrivait pas à contrôler son brûlis, c’était son problème. Mais c’est faux, si un incendie démarre, c’est l’affaire de tous.» En filigrane, l’équipe de sapeurs-pompiers tente de motiver les communautés à créer leur propre brigade. L’ICMBio propose des formations gratuites chaque année.

. Intervention dans la communauté Cabeceiro do Amorim. © Anouk Passelac / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Dans l’après-midi, trois «brigadistas» partent enregistrer les coordonnées GPS des parcelles qui seront brûlées après la période d’interdiction (le mois d’octobre étant trop sec). Ces données serviront ensuite à l’ICMBio, qui surveille quotidiennement par satellite les points de chaleur apparaissant dans la Resex. «Si cela provient d’un brûlis autorisé, on est plus tranquille», explique Maria-Alice Bizam, agente du ICMBio et responsable de la logistique de cette mission.

- Une réponse mieux coordonnée

Contrairement aux idées reçues, le sol amazonien, constamment lavé par les pluies, est pauvre en nutriments. Le brûlis produit des cendres qui fertilisent ainsi naturellement une parcelle. Celle-ci est ensuite cultivée 1 ou 2 ans puis laissée au repos huit ans en moyenne, le temps qu’une végétation assez dense repousse.

De retour sur le bateau, Maria-Alice Bizam regarde son téléphone en se rongeant les ongles. Un point rouge apparaît sur son application de surveillance satellitaire, symbolisant un point de chaleur détecté, mais qui ne correspond pas à un brûlis déclaré. Sa camarade Soeli Nobre Da Costa, qui appartient à la brigade la plus proche de la zone concernée, sollicite ses contacts et trouve un riverain pour aller voir ce qu’il en est. La vidéo qu’il envoie montre un incendie en bord de rivière. Avec le vent sec et chaud de cette saison, le risque est grand que le feu se dirige vers la forêt. Un escadron de sept sapeurs-pompiers est envoyé sur place. Temps de trajet estimé: deux heures en petit moteur.

. L’application satellitaire affiche les points de chaleur. © Anouk Passelac / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

Quand ils reviennent de nuit, leur mine fatiguée, mais souriante, indique que l’opération a réussi. «On a créé une ligne coupe-feu préventive à même le sol et abattu un arbre qui avait pris feu», relate Francisca Eloide Lima, de la brigade d’Alter-do-Chão, qui a dirigé l’opération.

Les deux dernières années ont été mortifères pour l’Amazonie, notamment en raison du phénomène El Niño qui a entraîné une sécheresse intense. En 2023, 10,7 millions d’hectares ont été réduits en cendres dans la seule partie brésilienne, puis 15,6 millions en 2024. C’est plus du double de la moyenne historique enregistrée par MapBiomas, une structure collaborative cartographiant le pays.

. Francisca Eloide Lima, de la brigade d’Alter-do-Chão. © Anouk Passelac / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

- «On ne va pas manger de la cendre»

Au niveau local, 2023 a été désastreux. Les pompiers se sont mobilisés lors d’une mission interminable de 49 jours. L’incendie survenu dans la Resex a même nécessité l’envoi d’un hélicoptère. En 2024, bien que le risque était accru, les feux ont été mieux maîtrisés.

Pour Daniel Gutiérrez Govino, l’un des fondateurs de la brigade d’Alter-do-Chão, cela est dû à la meilleure organisation des différentes brigades locales et à l’implication plus grande des habitants, nécessitant moins de dépenses publiques: «On est passé de 3,3 millions de réais de dépenses publiques en 2023 dans la lutte incendie à 50.000 réais en 2024», soit de 517.000 à 8.000 euros environ.

«Si la nature est ravagée, tout est fini»

Au troisième jour de leur mission, les «brigadistas» rendent visite à la communauté Cabeceira do Quena. Ici, les habitants se rappellent avec effroi comment un incendie a traversé leur village en 2010. «Une grande dévastation», se désole une habitante racontant comment, avec d’autres villageois, elle a tenté de protéger les maisons et les voisins.

. Le village de la communauté Cabeceira do Quena a été incendié en 2010. © Leonardo Milano (Voir photo sur site ci-dessous)

«Les arbres dont les fruits nourrissaient les poissons ont brûlé, on s’est retrouvés sans rien, se souvient un pêcheur. Si la nature est ravagée, tout est fini. On ne va pas manger de la cendre.»

Après une matinée de discussions, les sapeurs-pompiers volontaires repartent souriants et plus unis. L’espoir est grand que ces villageois mettent en place une brigade. Une nouvelle équipe qui renforcerait les rangs de ces pompiers, véritables gardiens de leur territoire.

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[L’Amazonie au point de bascule] La plus grande forêt tropicale du monde s’approche dangereusement du point de non-retour, à partir duquel elle pourrait se transformer en savane. Accaparement des terres, agriculture, trafics... À deux mois de la COP30 au Brésil, et après une enquête de sept mois dans sept zones clés, Reporterre fait un état des lieux des difficultés et des projets locaux bâtissant un avenir désirable.

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Photo: Intervention sur un incendie en bordure de la rivière Tapajós, au Brésil, par des sapeurs-pompiers volontaires et issus de communautés autochtones. - © Leonardo Milano

Voir l'article dans son intégralité (photos...): https://reporterre.net/Face-aux-feux-en-Amazonie-les-autochtones-deviennent-sapeurs-pompiers

Par Anouk Passelac

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