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Planète - Asie: Au Kirghizistan, le bonheur est dans le pâturage d'été



Planète - Asie: Au Kirghizistan, le bonheur est dans le pâturage d'été


Dans ces pâturages d'été où campent, en famille, les éleveurs kirghiz, les traditions nomades sont bien vivantes.

Par hasard, lors d’un voyage à travers le Caucase, l’Asie centrale et la Russie, j’ai découvert le jailoo – le pâturage d’été – de Besh-Tash. Gorgé de truites, le Besh-Tash est un torrent né dans les hauteurs de l’Alataou de Talas, massif du nord-ouest du Kirghizistan. Il alimente deux lacs turquoise nichés à 3.000 mètres, puis gronde dans une large vallée entourée de pics enneigés. Autour de son lit paissent moutons, vaches et chevaux par milliers. De loin en loin: une yourte. Partout: l’herbe rase, comme tondue par ces armées d’animaux. Au Kirghizistan, les innombrables jailoo témoignent de la persistance du pastoralisme nomade, pratiqué depuis des siècles par ce peuple originaire du sud de la Sibérie. Indépendant depuis 1991, le pays perpétue un mode de vie qui a résisté à la mainmise soviétique.

. Une vie de semi-nomade

Quatre mois durant, je me suis laissé guider par les rencontres. C’est ainsi que, venant du Kazakhstan tout proche, je suis arrivé à Talas, ville moyenne du nord-ouest kirghiz. Dans une gargote, un jeune homme m’a parlé de Besh-Tash. Le lendemain, j’ai trouvé un chauffeur disposé à m’y emmener. Le torrent, les yourtes, les montagnes, les cohortes de ruminants et les cavaliers dépassant notre voiture composaient une fresque aux airs d’éden pastoral. Quatre-vingt-dix pour cent du territoire de cette République enclavée au cœur de l’Asie centrale se trouvent à plus de 1.500 mètres au-dessus du niveau de la mer. La moitié des six millions d’habitants travaille dans le secteur agricole. Beaucoup d’éleveurs pratiquent le semi-nomadisme, vivant avec leurs familles dans un habitat «en dur» durant l’hiver et transhumant en été.

«A l’époque soviétique, le pastoralisme était très encadré, explique Guéorgui Mory, doctorant en anthropologie sociale à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris). La sédentarisation fut accomplie à partir des années 1950: les exploitations se sont agrandies, on a construit des infrastructures (étables, maisons électrifiées, et aussi écoles, maisons de la culture...)» Mais les Soviétiques ont tenté d’éradiquer les traditions, interdisant ce qui faisait référence aux ancêtres, aux récits généalogiques chers aux Kirghiz. En trois générations, les savoirs des anciens ont presque été perdus. «Après l’indépendance, il n’y a pas de retour au nomadisme proprement dit, mais une volonté de préserver des coutumes reflétant la vie nomade d’avant l’URSS, poursuit le chercheur. Le kokboru (sorte de polo) par exemple, les traditions culinaires tel que le beshbarmak (un plat de viande) ou encore les joutes verbales entre akyns (les bardes locaux).»

Mon chauffeur avait un ami à Besh-Tash. Nous nous sommes arrêtés près de sa yourte. Razak, la quarantaine, avait le visage émacié, brûlé par le soleil du Tian Shan, les «montagnes célestes» qui dominent le nord du pays. Il s’installait au même endroit chaque été, à 3.000 mètres d’altitude, avec son épouse, Loumira, leurs deux enfants, leurs chiens, une dizaine de chevaux et quelques vaches. Ils ont accepté que je plante ma tente près de leur campement et m’ont fourni thé, beurre et pain moyennant une petite somme. J’ai partagé leur quotidien, tâchant de me fondre dans le décor, jouant avec les enfants, déambulant dans l’alpage, cherchant l’ombre en journée, grelottant, la nuit, dans mon sac de couchage, quand la température tombait sous les 5 °C.

Je n’ai jamais surpris Razak et Loumira oisifs. L’un et l’autre travaillaient dur de l’aube au crépuscule: traite des animaux, corvée de bois, fabrication du beurre, pêche, préparation des repas, nettoyage de la yourte... Leur vie était un tunnel de labeur, comme celle des semi-nomades alentour. Et comme celle, d’ailleurs, de la plupart des paysans sédentaires d’Occident, mais avec, dans les jailoo, la mécanisation en moins, et ceci en plus: la fabrication du koumis. Une grande affaire ici. Cette boisson au goût acide n’a qu’un seul ingrédient: le lait de jument, longuement remué dans une baratte jusqu’à ce qu’il fermente et devienne légèrement alcoolisé (0,1 à 3 degrés). Au Kirghizistan comme dans la plupart des pays d’Asie centrale (où il porte d’autres noms), le koumis joue un rôle central. Les Kirghiz louent ses vertus, supposées ou avérées.

L’hospitalité, chez les éleveurs kirghiz, n’est pas un vain mot. Quiconque se présente au seuil de la yourte est invité à s’asseoir. On offre au convive du thé, parfois du koumis, des gâteaux ou des bonbons. Ayant tendance à me confondre en remerciements, j’ai vite constaté que ces manières surprenaient mes hôtes. Dans l’estive, l’hospitalité est si évidente qu’on n’y prête guère attention. Installés dans des lieux reculés et vivant dans des conditions parfois hostiles, les nomades ont toujours eu besoin les uns des autres. En cas de pépin, un problème de santé par exemple, il faut trouver un voisin pour s’occuper du bétail. Les visiteurs de passage colportent en outre des nouvelles fraîches et apportent des vivres ou de nouveaux objets.

. Le XXe siècle n’a pas non plus épargné les nomades kirghiz

Et ce mode de vie perdure, même si, contrairement à ce qu’une vision romantique pourrait laisser croire, les éleveurs kirghiz n’évoluent ni «hors du temps» (la plupart ont un téléphone portable ou une voiture), ni «hors du monde» (l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, un héritage soviétique, et le taux d’alphabétisation est de 98 %). Ils produisent une partie des denrées qu’ils consomment, mais ont besoin d’argent pour payer les études des enfants, acheter du miel, des fruits ou de l’essence. Il leur faut donc vendre des bêtes et le fameux lait de jument fermenté... Chez Razak et Loumira, le koumis était collecté par Malik, un quadragénaire vivant à Talas. «En ce moment, j’achète le litre 30 soms (environ 30 centimes d’euros), m’a-t-il confié. Et je le revends 70 soms en ville.» Malik montait à l’estive tous les quatre jours avec son pick-up chargé de grands bidons en plastique qu’il rapportait pleins à Talas.

Razak et Loumira n’avaient qu’un troupeau modeste, une yourte de petite taille sans électricité, peu d’objets manufacturés et pas de véhicule. Dans ce pays, un des plus pauvres du monde avec un PIB de 1.100 euros par habitant, la plupart des pasteurs semi-nomades vivent d’un élevage et d’une agriculture de subsistance, ce qui les rend vulnérables face aux bouleversements de leur environnement. «Le bétail reste l’une des principales richesses du pays, souligne l’anthropologue Guéorgui Mory. Or la fonte des glaciers liée au réchauffement climatique risque à long terme de priver les bergers de ressources en eau et de détériorer les pâturages. Une partie des populations se mobilise aussi contre l’exploitation minière, comme la mine d’or de Koumtor, qui représente des revenus importants mais pollue énormément.»

«A l’indépendance en 1991, le pays a connu une grave crise économique, avec une chute drastique de la taille des troupeaux, poursuit le chercheur. Les fermes collectives ont été pillées, beaucoup d’infrastructures ont été démantelées et revendues pour faire face à la misère. Depuis, des centaines de milliers de Kirghiz ont émigré pour trouver un emploi en Russie, en Turquie ou en Corée du Sud. Aujourd’hui, plus d’un quart de la richesse du Kirghizistan dépend de ces travailleurs expatriés, souvent des hommes jeunes, qui envoient de l’argent à leurs familles»

A Besh-Tash, pour fêter la rupture du jeûne du ramadan (90 % des Kirghiz sont musulmans sunnites), les voisins de Razak et Loumira m’ont convié dans leur yourte, plus vaste et pimpante que celle de mes hôtes. Des panneaux solaires fournissaient l’électricité. Il y avait, posé sur un antique meuble en bois, un poste de télévision. Nous avons mangé promptement sans nous éterniser en palabres. C’était un jour de fête, mais c’était avant tout un jour comme les autres: la nuit allait tomber, il était temps de rentrer les bêtes dans leur enclos.



Photo: Au Kirghizistan, les nombreux jailoo témoignent de la persistance de la vie nomade. © Evgenii Zotov/Getty Images

Par Nicolas Legendre
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