Algérie

Parution. Dzayer via Vienne : Ville portée et rêvée



Inclure la dénomination, Dzayer, en arabe dialectal, dans le titre de l’ouvrage de Zohra Bouchentouf-Siagh est une marque directe d’affection, de nostalgie et d’une certaine revendication culturelle.

La revendication d’une culture algéro-algérienne, la plus vraie et la plus authentique qui soit, celle qui parle aux cœurs. « Dzayer, Alger, ville portée, rêvée, imaginée » est né d’une invitation de collaboration faite à des universitaires autrichiens pour exprimer leur vision d’Alger. Le résultat est étonnant. Dans son introduction, Zohra Siagh insiste que c’est une proposition à écrire sur Alger par le rêve ou l’analyse d’un texte, d’un film ou d’un morceau de musique. Le regard exotique de ces Autrichiens est étonnant de sincérité, de profondeur, d’érudition comme le prouve le texte de Reinhart Hosch sur Alger et Camille Saint Saëns et le lien entre les deux. Son texte se construit de manière énigmatique en passant la nouba/suite en quatre mouvements à plusieurs variations sur le thème du roman L’Amour, la fantasia d’Assia Djebar et dont les premières pages décrivent ce jour du 13 juin 1830 et l’arrivée de l’armada française à Alger « ville tout en dentelure et en couleurs délicates, avec une blancheur fantomatique », avec une évocation des peintures de l’Algérois Mohamed Racim qui peint la lumière et le paradis perdu comme le souligne Mohamed Khadda. Dans l’œuvre de Saint-Saëns, Alger est l’Orient par la musique langoureuse qu’il crée. Saint-Saëns, le compositeur migrateur est en quête de lumière qu’il ne trouve qu’à Alger « où tout respire la vie, l’abondance, la fertilité d’une terre puissamment nourricière ». L’analyse est riche d’informations et dense en termes d’intertextualité artistique. Côté cinéma, le film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo est replacé dans son contexte ; la comparaison avec l’image d’Alger telle que représentée par le film Pépé le Moko avec Jean Gabin est d’une justesse d’analyse pertinente car, par ces deux films, Alger est perçue différemment, révolutionnaire ou exotique selon les visions. Le texte de Verena Bergé parle d’Alger de Merzak Allouache de Omar Gatlato à Bab El Oued City. Un comparatif entre Alger des années 1970 et un Alger des années de doute et de violence des années 1990 offre une excellente analyse du quartier de Bab El Oued, une ville dans la ville. Cet espace urbain qu’est Alger est aussi représenté par la littérature à travers les œuvres de Yasmina Khadra, de Laïla Marouane, de Rachid Boudjedra, de Tahar Djaout, de Aziz Chouaki, de Wacini Laredj, de Théophile Gautier ou de Guy de Maupassant qui ont tous deux séjourné à Alger. Description d’une ville divisée dans A quoi rêvent les loups de Yasmina Khadra et La fille de La Casbah de Leïla Marouane, entre la ville où les pauvres s’amassent et la ville des riches sur les cimes, le Beverly Hills d’Alger, où les villas ressemblent à des chalets suisses entourés de plantes tropicales, alors qu’à La Casbah les immeubles sont délabrés et périclitants, une ville en guerre à cause du terrorisme, comme dans le roman La vie à l’endroit de Rachid Boudjedra où Alger devient la ville d’errance. Annie Longatte parle d’Alger telle que décrite dans le roman posthume de Tahar Djaout qui dénonce la dégradation matérielle de la ville, la surpopulation, l’exode rural et la prise de cette ville par les « millionnaires de tous poils » avec leurs Mercedes garées près des mosquées. Dans cette étude, les références intertextuelles sont nombreuses (Isabelle Eberhardt, Albert Camus, Victor Hugo, de Tocqueville). Fritz Peter Kirsch étudie La gardienne des ombres de Wacini Laredj où Alger la mythique est centrale, où le narrateur est sur les traces de Miguel Cervantès qui se trouve à Alger, capturé par les corsaires. Roman parodie pour décrire le quotidien des Algérois durant la décennie noire. Dans cet imbroglio historique, Alger sera sauvée par les Algéroises pleines de vie. Ces images d’Alger par le biais du rêve et de l’analyse, ses représentations à travers des œuvres cinématographiques, littéraires, musicales ou picturales, passées ou contemporaines, se trouvent dans ce document précieux qui valorise la capitale. Bel ouvrage.

 

Zohra Bouchentouf-Siagh, Dzayer, Alger, ville portée, rêvée, imaginée, Alger : Casbah Editions, 2006.

 


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