Algérie

Non au consensus de Pékin



Faut-il boycotter les jeux Olympiques de Pékin ? La question tourne en boucle depuis que les forces de l?ordre chinoises ont réprimé dans le sang la contestation des Tibétains. Jusque-là, les appels au boycottage se fondaient plutôt sur la situation au Darfour et sur le soutien accordé au régime de Khartoum par une Chine en quête effrénée de ressources pétrolières. Rares étaient ceux qui mettaient sur la table le sort du Tibet dont la population ne réclame pas toujours l?indépendance mais le respect de sa culture. La situation a donc changé et à moins d?un bouleversement peu probable dans la position chinoise, il y a fort à parier que nous allons assister à des manifestations spectaculaires destinées à protester contre l?organisation des Jeux. Le périple mondial de la flamme olympique en est déjà l?illustration et il n?y a aucune raison pour que cela cesse. Cela a déjà une conséquence puisque tout ce qui a trait à la grande messe sportive de cet été se déroule désormais sous grande protection policière.Il n?est pas facile de prendre une position tranchée vis-à-vis de cette question mais je pense qu?il faut boycotter les Jeux car il est anormal d?accorder un quitus à un régime qui ouvre le feu sur des civils. On ne peut pas parler à longueur de journée de démocratie, de droits de la personne humaine et, dans le même temps, trouver des circonstances atténuantes au gouvernement chinois. Cela devrait être la position de ceux qui ne cessent de déplorer le manque de libertés dans les pays arabes. Dans le cas algérien, on ne peut pas avoir condamné les tueries d?octobre 1988 ou celles du printemps noir de Kabylie de 2001 à 2002 sans oublier toutes les souillures de la décennie noire et admettre que l?on puisse massacrer les moines le matin et acclamer les athlètes le soir.Bien entendu, je ne suis pas dupe. Ignorer que le débat autour des jeux Olympiques de Pékin a beaucoup à voir avec la compétition que se livrent les grandes puissances serait faire preuve d?une grande naïveté. On le sait, les JO sont l?occasion pour les officiels chinois de clamer à la face de la communauté internationale que leur pays a définitivement regagné le rang de puissance mondiale qu?il n?aurait jamais du perdre. On sait aussi que cette montée en puissance inquiète, pour ne pas écrire qu?elle affole, l?Occident avec à sa tête les Etats-Unis. Il est évident que Washington ne peut que se délecter de la stigmatisation planétaire que subit actuellement la Chine. Quand des manifestants troublent les cérémonies préolympiques, c?est le caquet chinois qui est rabattu. Une perte de face qui signifie que l?on ne gagne pas aussi facilement sa place de grand de ce monde.Il est important d?insister sur la rivalité latente, voire souterraine, entre la Chine et les Etats-Unis. Bien plus que l?affrontement entre l?Islam radical et l?oncle Sam, c?est bien elle qui régit les grands mouvements qui façonnent l?ordre mondial. Comment expliquer la guerre en Irak et les nuages noirs qui s?amoncellent au-dessus de l?Iran sans mentionner la course aux hydrocarbures qui oppose Chinois et Etasuniens ? En clair, appeler ou oeuvrer au boycottage des Jeux, c?est aussi se faire l?allié objectif de Washington, mais qu?importe. Il n?y a pas lieu de transiger. Et à user de ce genre de raisonnement, on pourrait alors dire que ceux qui défendent les Jeux sont complices des énormes intérêts économiques qui n?ont que faire ni des droits de la personne humaine ni des performances sportives et pour qui l?olympisme n?est rien d?autre qu?une fabuleuse machine à cash.C?est pour cela que les arguments des défenseurs des JO ne sont guère recevables. On sent bien d?ailleurs un flottement à ce sujet. Entre ceux qui refusent le boycottage au nom de l?idéal olympique (ne souriez pas) et leurs adversaires, émerge, semble-t-il un compromis qui me paraît des plus boiteux. L?idée serait de bouder la cérémonie d?ouverture mais de participer tout de même aux compétitions. Elle se base sur un postulat simple : pour l?organisateur des Jeux, le spectacle offert en préambule est le reflet de sa puissance et de ses ambitions. Le boycotter serait donc une manière efficace de protester et de signifier à la Chine qu?elle doit mieux faire en matière des droits de l?Homme. Dans le même temps, les athlètes et le sport ne seraient pas lésés.Voilà bien une étrange idée car, franchement, qui se souvient des cérémonies d?ouverture précédentes ? Ont-elles vraiment de l?intérêt si ce n?est d?infliger aux spectateurs du monde entier des commentaires insipides en guise d?apéritif ? On les regarde d?un oeil distrait, on guette la délégation et le drapeau de son pays puis on éteint son poste en attendant avec impatience les premières épreuves.Par ailleurs, ni la situation au Darfour, ni les violences au Tibet, ni même la perversion du sport à haut niveau ne sont les seules raisons qui doivent convaincre de se détourner des JO de Pékin. Le problème fondamental réside dans la nature du modèle chinois et de son exportation progressive vers les pays en développement. Il fut un temps où l?on célébrait « le consensus de Washington », expression inventée à la fin des années 1980 par l?économiste de la Banque mondiale John Williamson pour désigner le livre sacré du libéralisme avec ses dogmes bien connus tels que la dérégulation, la privatisation et, surtout, la diminution du poids de l?Etat et de ses dépenses.On connaît les dégâts de cette « religion » mais c?est une autre histoire car, aujourd?hui, émerge un autre consensus dont il reste à mettre par écrit les lois. Il s?agit du « consensus de Pékin » qui, sans rien renier des recettes capitalistes, fait fi des libertés individuelles et de la démocratie. Et c?est à ce consensus auquel adhèrent nombre de pays du Sud, arabes compris, pour affirmer que l?économie peut très bien se développer sans démocratie ou droits humains. « Si la Chine le fait, pourquoi pas nous ? » disent ainsi les autocrates et autres dictateurs en tous genres. Voilà pourquoi la manière de se comporter vis-à-vis de la Chine dépasse de loin le débat à propos des jeux Olympiques et de leur boycottage.
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