Algérie - Revue de Presse

Mouloud mammeri, souvenir d?une journée chargée de promotion



Une verdure exubé rante à tout jamais ! Ce jour-là, tes gestes si bien mesurés, le timbre de ta voix avaient une valeur prémonitoire. J?en ai la preuve ! Toute prémonition est débordante par essence, toutefois, il lui arrive de se fixer des limites, de dresser des garde-fous. J?avais devant moi un de ces vieux de Kabylie qui, jadis, avaient le génie d?enfanter les mots et de les semer, en toute sagesse, au gré de leurs rencontres ! Cela eut lieu en cet après-midi du 31 janvier 1989, dans une ruelle donnant sur la place Emir, là où mon frère Ferhat Cherkit devait trouver la mort quelques années après. Mon ami Ahmed Halli, « w?lid el houma », avec qui j?échangeais, sur place, des avis sur les dernières publications littéraires algériennes, me fit part du mal qu?il trouvait à dénicher des textes au goût de la jeunesse. Si Mouloud, tu fis alors ton apparition, souriant, avec une tête qui ressemble à celle d?Apulée de Madaure pour lequel tu avais une grande considération. Assez de préambules, m?étais-je dit alors, invitant ainsi mon ami à opter carrément pour un de tes romans. La réponse de celui-ci fut celle d?un boxeur prêt à recevoir des coups tout en feignant l?esquive : parce que Si Mouloud est encore vivant ! La maison d?édition où je dirige une collection pour la jeunesse, ne prend d?engagement qu?envers les auteurs dont les écrits sont tombés dans le domaine public ! Drôle d?engagement vis-à-vis des morts ! Et le rire, le tien jaillit comme une eau limpide des sommets du Djurdjura. Une légère inclinaison vers la droite, et c?est alors qu?entre une rangée de dents éclatantes de blancheur, tu lanças, sagement, mais non sans une pointe d?ironie : je suis prêt à mourir vingt-cinq ans avant terme par amour pour la littérature et par respect pour la jeunesse de mon pays ! Vingt-six jours après Vingt-six jours exactement après cette rencontre, vingt-cinq ans pour reprendre la valeur prémonitoire, on annonça que tu avais voyagé en direction de « ta colline oubliée ». Les chroniqueurs, s?évertuant à décrire les conditions de ce voyage, ne manquèrent pas de jeter l?anathème sur cette violente tempête qui abattit un arbre en le projetant sur ta voiture à l?entrée de la ville de Aïn Defla. Au lendemain de ces instants fatidiques, mon ami, le regretté Tahar Djaout, plongé encore dans une profonde affliction, me dit que tu revenais du Maroc où tu avais pris part à un colloque réunissant des intellectuels maghrébins. Et dire, me confia t-il encore, que Si Mouloud avait, dans son cartable, son billet aller-retour par avion ! En fait, et en toute modestie, nul ne se connaît le droit de sonder les profondeurs, d?expliquer, un tant soit peu, le comportement d?un grand poète. Car les poètes, les véritables, selon Octavio Paz, n?ont pas de biographie. Si Mouloud, je quittais donc cette ruelle en te confiant mon ami Ahmed Halli avec lequel tu avais déjà entamé une discussion sur l?historien latin Tite-Live. La mort n?a rien de beau, j?en ai déjà, personnellement, un avant-goût, non pas un arrière-goût, si je puis m?exprimer ainsi. Pourquoi donc s?étaler là-dessus ? Si je devais dire encore quelque chose sur ta probité intellectuelle, sur tes racines qui vont profondément dans la terre de tes ancêtres, je me contenterais d?un seul témoignage apporté, celui-là, par ton ami le penseur marocain Lahbabi. Au cours d?une soirée-débat sur le thème de la paix dans le monde, le professeur Lahbabi, faisant le tour de l?héritage culturel arabo-musulman, fixa le regard sur toi comme pour t?inviter à donner ton avis sur la question. Le poète, en toi, ne broncha pas. Notre penseur s?est mis alors à copier, oui, à copier tes gestes et tes silences. « C?était à Fès, dit-il, en 1959, au lendemain de la création de la défunte union des écrivains maghrébins. Allah m?est témoin, je vis les yeux de Mouloud Mammeri » larmoyer, sous l?effet de l?émotion, à l?instant même où il prit entre les mains le manuscrit original des Prolégomènes d?Ibn Khaldun ! Si Mouloud, dès les premières lignes de ton roman La Colline oubliée, la nature est, au corps à corps, avec une verdure passagère qui a tout juste le temps de barbouiller de vert les environs de ton village. Pour moi, pour tes lecteurs, ce qu?il y a de sûr, c?est que cette verdure qui tranche sur toutes les autres couleurs, restera à tout jamais !
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