Algérie

«Morsi vise la réappropriation des prérogatives présidentielles» SMAIL HARITI, PROFESSEUR EN SCIENCES POLITIQUES, À LA TRIBUNE :



«Morsi vise la réappropriation des prérogatives présidentielles»                                    SMAIL HARITI, PROFESSEUR EN SCIENCES POLITIQUES, À LA TRIBUNE :
Dans cet entretien, le professeur Smaïl Hariti, directeur du Centre Amel El Ouma pour les études et recherches stratégiques, tente d'analyser et décrypter le fond de la crise politique en Egypte et ses conséquences sur les plans, interne et externe. En plus de son intérêt professionnel pour la question, notre interlocuteur partage ses points de vue avec les Frères musulmans à qui appartient le nouveau président égyptien
Entretien réalisé par Amirouche Yazid
La Tribune : Le président égyptien, Mohamed Morsi, a décidé de réhabiliter l'Assemblée dissoute juste avant les présidentielles. Est-ce un indice d'affrontement entre le président et l'armée '
Smaïl Hariti : Avant de répondre à cette question, je dois d'abord revenir à la déclaration du 30 mars 2011 par laquelle le Conseil supérieur des forces armées avait hérité de la gestion de la période de transition. Cette option a été par ailleurs approuvée par la majorité du peuple égyptien. L'article 56 de cette déclaration constitutionnelle stipule que les prérogatives du Csfa sont à dix niveaux. Le premier et le deuxième concernent le pouvoir législatif. Les huit restants concernent le pouvoir exécutif. L'article 25 de la même déclaration annonce que «le président de la République entamera l'exercice de ses fonctions explicitées dans l'article 56, sauf ce qui est énoncé dans les article 1 et 2. L'article 33 indique que le Parlement prend ses fonctions de pouvoir législatif et décide de la politique générale de l'Etat. Dans l'article 61, il est souligné que le Csfa continuera à exercer les missions définies dans la déclaration jusqu'à l'élection du Parlement et du président de la République. A la lumière de ces éléments, on conclut que le Csfa a perdu le pouvoir législatif dès l'élection du Parlement. Il lui restait alors le pouvoir exécutif jusqu'à l'élection du président. Mais avant les élections présidentielles d'une journée, il y eu la dissolution du Parlement. Le Csfa venait ainsi de se donner le pouvoir législatif contrairement à ce que soutenaient des médias égyptiens, une partie des magistrats et quelques figures du Csfa. Ces cercles évoquaient l'inconstitutionnalité de certaines lois du code électoral. Leur objectif : légitimer un coup d'état judiciaire. Il s'agit en vérité d'un putsch contre la volonté populaire dans le lequel on a utilisé la justice à la place du char ! Le plus dangereux est qu'une telle décision a éloigné l'armée égyptienne du reste des institutions. Ce que les observateurs ont qualifié d'échec du processus démocratique enclenché avec la révolte égyptienne.
Le président Morsi voulait-il ainsi et vite «tuer» l'idée en vogue qu'il est un président sans pouvoir '
La volonté politique a été étouffée, depuis, dans l'appareil bureaucratique de l'Etat. Donc, ce que fait le nouveau président, Mohamed Morsi -élu dans la transparence pour la première fois en Egypte depuis 50 ans- en réhabilitant le Parlement voté par près de 30 millions d'Egyptiens, n'est qu'une concrétisation des promesses qu'il a exprimées sur la place Tahrir. Pour le moment, j'estime que l'affrontement violent entre le Csfa et le président Morsi est àécarter. L'affrontement n'arrangerait pas la région toute entière, la sécurité d'Israël en tête. Mais la bataille politique et judiciaire va continuer. Ceci est d'autant plus acceptable dans un pays comme l'Egypte dirigé depuis plus de trois décennies par les militaires. Il y a aussi les m'urs du changement qui exigent de chacun de préserver ses intérêts. Le dernier mot reviendra à celui qui s'appuiera sur la volonté populaire. Pour le moment, les faveurs sont pour le président Morsi.
Le retour à l'Assemblée élue va-t-il contrarier la construction institutionnelle en Egypte '
L'opinion publique doit comprendre que la décision du président égyptien portant réhabilitation du Parlement ne transgresse en rien la mesure de la Haute cour constitutionnelle. Il faut souligner, à ce propos, que c'est la première fois qu'il y a respect du pouvoir judiciaire dans le monde arabe. Les dirigeants arabes, tyranniques, nous ont habitués à flouer les décisions de justice. Ils mettent le pouvoir judiciaire sous le contrôle du pouvoir exécutif. Le président n'a fait qu'annuler l'exécution de la décision prise par le Csfa.
Les hommes de droit divergent à ce sujet en Egypte. A l'évidence, cela relève des prérogatives du Président de revoir les mécanismes d'exécution d'une décision. C'est ce qu'a fait le Parlement, réuni suite à la décision du président, en soumettant l'affaire à la Cour de cassation pour définir les mécanismes d'exécution de la décision en question.
Le président Morsi se fait par ailleurs un autre «adversaire» : la Haute cour constitutionnelle. Sa mission se complique davantage, n'est-ce-pas '
Je ne crois pas que le président Morsi voudrait créer une adversité avec la Haute cour constitutionnelle (HCC), il ne doit pas être naïf à ce point. La preuve : il ne fait guère allusion à la Haute cour constitutionnelle dans sa décision sur le rétablissement du Parlement. Au risque de me répéter, il s'agit bien d'une première dans le monde arabe en matière de respect du pouvoir judiciaire. La décision du
président est venue annuler celle du Csfa qui voulait se placer comme un Etat dans un Etat. Ainsi le Csfa n'a pas tenu ses engagements de remettre le pouvoir aux civils et de revenir à sa mission principale, à savoir, assurer la sécurité de l'Etat égyptien.
A l'intérieur, il y a une forte attente sociale et économique des populations. Il y a ainsi un risque que le Président échoue sur ce terrain. Ce qui ne profitera pas au parti des FM à l'avenir'
Il est vrai que le président Morsi, qui n'est pas seulement le représentant des Frères musulmans, mais plutôt le Président de tous les Egyptiens, fait face à de multiples défis sur les plans économique, politique, social, culturel. Ces défis sont hérités d'un pouvoir despotique qui a duré plus de 50 ans. A mon sens, le Président est conscient des défis qui l'attendent. Il est aussi conscient qu'il ne peut pas y faire face sans un front national élargi à toutes les catégories d'Egyptiens sans exclusion. C'est une condition pour la
construction d'un Etat de citoyenneté et un Etat institutionnel dans lequel les gens bénéficient de postes d'emploi selon le critère de compétence et non celui de l'allégeance et des appartenances politiques étroites. Le président Morsi, que j'ai eu à rencontrer plusieurs fois durant ces trois dernières années, en plus de sa sagesse, est conscient des attentes des Egyptiens qui l'ont élu président.
Ils attendent qu'il concrétise le programme des cent jours qu'il avait promis. Parmi ses priorités, la formation d'une institution présidentielle composée de représentants de différents courants politiques égyptiens. Et aussi la désignation d'un gouvernement d'entente nationale dont le chef ne sera pas issu du PLJ. Il ne faudrait pas oublier par ailleurs que la grande bataille est de se réapproprier les prérogatives présidentielles auxquelles tient encore le Csfa. S'il remporte cette bataille, il remportera les suivantes.
Au niveau de la politique extérieure et régionale, doit-on s'attendre à des modifications importantes '
Le président Morsi a déclaré, dans son discours d'investiture, que les relations extérieures de l'Egypte seront établies sur la base du respect partagé, le respect de la souveraineté de l'Etat et de son territoire et la défense de la dignité du citoyen égyptien où qu'il se trouve. Il a également annoncé, dans le même discours, que la politique étrangère de l'Egypte sera différente de celle de Hosni Moubarek. A l'époque de Moubarek, la politique étrangère de l'Egypte dépendait des décisions des USA et d'Israël. L'Egypte protégeait leurs intérêts dans la région aux dépens des intérêts des Egyptiens et des peuples de la région. Le président Morsi a promis aussi un retour de l'Egypte à son rôle de leader régional, arabe et international en renforçant les relations arabes et africaines de façon à défendre les intérêts des peuples de la région. Il est possible que l'Egypte se tourne vers les pays du Sud, qui comptent des expériences en la matière. Il est aussi certain que ses premières visites le mèneront dans les pays arabes et africains pour confirmer le retour de l'Egypte au plan régional et arabe.
On évoque une probable dénonciation du traité de paix signé en 1979 avec Israël. Est-ce possible, selon vous, quand on sait que l'armée égyptienne tient à maintenir le cadre de ce traité '
Concernant les accords de paix signés par Sadat avec Israël en 1979, le président Morsi avait annoncé durant sa campagne électorale, dans ses interviews avec les chaînes satellitaires et dans ses entrevues avec des responsables occidentaux, qu'il va respecter les accords et les conventions signés par l'Etat égyptien tant que les autres états respectent la souveraineté du peuple. Maintenant pour la question de savoir si l'accord de paix avec Israël sera revu, Morsi a indiqué qu'elle sera soumise au peuple égyptien en temps opportun. Je ne pense pas que la question sera posée dans le court terme, dans le sens où la priorité de Morsi et ses efforts seront orientés vers les questions internes.
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