Algérie

Mahmoud Agha Bouayed, un intellectuel, une époque, une oeuvre...



Mahmoud Agha Bouayed, cet homme d’ouverture, disparu il y a aujourd’hui trois mois, a été un militant et un défenseur fervent et passionné de la culture et de la science.

La mémoire de cet intellectuel mérite bien d’être évoquée, lui dont la carrière fut portée par un fort idéal de progrès et de civilisation.

Ce premier directeur de la bibliothèque nationale était porteur d’un projet culturel progressiste, synonyme à fois de liberté et d’identité. Dans sa vision de l’avenir, il considérait l’importance qu’il fallait accorder à la connaissance du passé de son pays: ses hommes, leurs oeuvres. C’est là une démarche nécessaire, disait-il, pour désaliéner l’esprit après plus d’un siècle d’une colonisation qui, de par son idéologie destructrice, a tant cherché à atteindre notre identité. La réappropriation du passé et de la culture, voilà ce qui était son apostolat dans un combat difficile où, connu pour son esprit libéral et son humanisme, il a vécu pleinement sa passion de l’histoire, de la poésie et de l’art...

Mahmoud Agha Bouayed se reconnaissait déjà très jeune dans l’idéal du combat mené, bien avant, au début du 20ième siècle, par son grand-père Si Mohamed, un instituteur de la première génération des évolués formés à l’école arabo-française, un militant actif en faveur de la modernité, prônant le progrès par l’instruction et l’acquisition des Lumières. Ce grand-père qui faisait partie de la frange encore réduite de la première élite du début du 20ième siècle, manifestait certes une ardeur particulière en faveur de l’éveil de la conscience nationale. Le leader nationaliste algérien Messali Hadj qui fut également son disciple, évoquera son nom dans ses mémoires rappelant son patriotisme et son nationalisme. Ce personnage de la génération des premiers instituteurs algériens était également président-fondateur, en 1907, du cercle des nationalistes des jeunes Algériens à Tlemcen. Le terme «nationaliste» affiché en arabe sur ses documents officiels, voire ses bulletins d’adhésion, tranchera de sa vocation affichant ouvertement son caractère politique. C’est dans ce cercle que notre Ami Mahmoud Agha Bouayed aimait rencontrer, d’ailleurs, par devoir de mémoire, ses amis et gloser sur des sujets échappant rarement à l’histoire et à la culture.

Lors de la célébration en 2004 du centenaire de la création de cette association, il donnera une conférence où il fera part de l’importance du rôle joué par le mouvement de l’élite algérienne formée à la double école au début de la colonisation, une expérience très intéressante ramenée à quelques clichés, alors qu’elle n’est pas à renier, disait-il, à la fois pour sa dimension et sa cohérence et qui a vu l’émergence de personnalités remarquables qui se sont distinguées par leurs prises de positions mais également par la création de cercles et de journaux. Abdelhamid, père de Mahmoud, appartenant à cette lignée avant-gardiste, était un homme actif puisqu’en 1917, il est président du Football Club Tlemcenien. Si Mahmoud Bouayed, l’année de son admission à la médersa franco-arabe en 1942, ne continuera pas moins également à fréquenter les associations qui ont foisonné à cette époque, telle «Rachidiyya» dont il sera membre de la troupe théâtrale fondée par un homme de culture émérite alors professeur d’arabe à Tlemcen, Si Abdelhamid Mered décédé en 1956. En fin connaisseur dans ce domaine, notre bibliothécaire ne cachait pas d’ailleurs son admiration pour le grand dramaturge algérien Abdelkader Alloula auquel il consacrera de nombreux écrits portant sur son oeuvre. De cette association, il gardera d’ailleurs pour souvenir les tournées qu’il a effectuées en Algérie en compagnie de sa troupe et dont certaines se soldèrent, me disait-il, souvent par des poursuites et des comparutions devant l’autorité coloniale.

C’est dans cette atmosphère baignée de nationalisme et de culture que la personnalité de cet intellectuel va se forger. Sa pensée, son oeuvre seront d’ailleurs fortement empreintes des idées qu’il aura reçues dans ses moments de militantisme en faveur de la prise de conscience nationale. Il restera néanmoins fortement attaché à l’esprit en faveur de l’émergence de la culture nationale, une culture qu’il voulait ouverte et de progrès pour l’évolution moderne du pays. Ainsi, dans sa mission, il aidera des dizaines de bibliothèques à se constituer à travers le pays. Universitaire, son oeuvre a été aussi, sous l’égide de la bibliothèque nationale, l’écriture de l’histoire par la bande, consignant ainsi de précieux témoignages recueillis auprès des principaux acteurs du mouvement national, entreprise à laquelle il attachera le nom de son collaborateur, non moins connaisseur, le défunt Mohamed Guenanèche, auteur et écrivain, un nationaliste de la première heure. A cet historien et bibliophile, le monde du livre doit la réédition de la fameuse encyclopédie de la revue africaine et de dizaines d’autres publications intéressantes rattachées à la riche mémoire historique et culturelle de l’Algérie, préfaçant également de nombreuses oeuvres d’auteurs algériens et étrangers.

La musique citadine dite andalouse en Algérie n’a cessé de caresser son âme sensible en raison de l’ampleur de son patrimoine et des besoins dont elle fait toujours appel en faveur de sa conservation. En tant qu’universitaire, il consacrera un travail de recherche et de publication à un auteur algérien du Moyen à‚ge arabe, Mohamed ben Abdellah Tanessi (15ième siècle), originaire de Ténès, mort à Tlemcen, auteur, entre autres, de «Nazm a-durr-», recueil historico-littéraire écrit en hommage au roi zianide al-Mutawakkil, rendu non moins célèbre également au 20ième siècle par la découverte à Tlemcen de son manuscrit «At-tiraz fi charh zhabt al-kharraz» consacré à l’orthographie du Coran.

Par sa passion de l’Algérie, ce spécialiste de l’histoire de l’Algérie, et plus largement du Maghreb au Moyen à‚ge arabe, rêvait d’accomplir un autre travail, celui de faire connaître l’oeuvre du célèbre encyclopédiste algérien Ahmed al-Maqqari (17ième siècle), auteur de «Nafh Tib fi ghusn al Andalous er-ratib», livre en plusieurs tomes, incontournable à ce jour pour la connaissance de l’histoire de l’Andalousie et du Maghreb de rois, des poètes, des savants - jurisconsultes, des artistes..., auquel il consacrera un précieux article publié en 1993 dans la revue «El Djazaïr» paraissant à l’occasion de l’année de l’Algérie en France.

De par son intérêt à l’histoire, ce médersien, ancien élève d’El Qaraouyine de Fès, a accordé une importance à un projet dont il n’a cessé d’appuyer l’existence, voire la réalisation, d’un centre de recherche et de documentation maghrébine. Cette structure, pourtant inscrite, n’a pu voir le jour dans notre pays qui a concentré pendant des siècles l’idéal maghrébin. L’importance qu’il accordait à cette institution est suffisamment éloquente pour expliquer son attachement «à l’idée du Maghreb de l’histoire et de la culture et dont le passé, considérait-il, avait besoin d’être médité dans cette phase difficile et cela, pour aider à sa reconstruction aux temps modernes».

De passage à la présidence de la République en tant que conseiller, l’ancien directeur de la bibliothèque nationale et professeur d’histoire médiévale à l’université d’Alger, avait raison de croire à une démystification de notre histoire qui, à bien des égards, avait besoin encore d’être débarrassée des bandelettes, des chapelles, en somme des dénis barrant l’accès à la vérité qui ont servi sans effet à retenir la mémoire. Il sera ainsi le maître d’œuvre de plusieurs colloques importants organisés sur, respectivement, des personnalités illustres de notre terroir, impossible de passer sous silence, mais restées par-delà encore, bien oubliées dans notre pays: Messali Hadj (1898-1974 ), le père du mouvement de l’indépendance en Algérie, un quidam, mort avec un passeport réservé aux apatrides privés de nationalité, saint Augustin (4ième siècle de J.C.) qui a fait de sa cité de Dieu «une cathédrale d’idées» dominant les siècles... faisant partie des hommes de ce pays dans toutes les disciplines et qui ont immortalisé pendant des siècles un élan de l’esprit accompagné de tant d’efforts de réflexion et de pensée pour le progrès et le bonheur de l’humanité.

Critique mais d’une amitié sincère, Mahmoud Agha Bouayed refusait le vide imposé par la médiocrité. Il demeure cependant un intellectuel qui a beaucoup oeuvré à la promotion des idées pour un véritable progrès du pays.


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