Algérie

Lettre de province



Lettre de province
Par Boubakeur Hamidechi[email protected]/* */A l'écart du tourbillon impétueux suscité par le torrent de boue des révélations liées à la corruption, le pays continue tout de même à célébrer certains repères de son identité. C'est justement ainsi qu'au cours de la semaine à venir, Benbadis sera l'unique sujet des cours de l'instruction religieuse dispensée à nos écoliers.Par ailleurs il sera question, pour les plus érudits, de faire de l'exégèse sur sa trajectoire lors des colloques qui se tiendront dans les campus islamiques. Mieux encore, la vulgate des imams ne sera pas privée de sa part du culte dès lors que l'érudition coranique de l'imam sera exclusivement mise en exergue. Schématiquement c'est à partir, hélas, du seul prisme de la prédication que la notion du «savoir» s'est définie pernicieusement puis s'est imposée dans la pédagogie officielle. Car, aussi loin que l'on remonte aux premières années de l'indépendance, l'on se désole que l'évocation du fondateur des médersas libres, n'a consisté, en définitive, qu'à amplifier son rôle de guide religieux. Ce qui était strictement inexact dès lors que les historiens s'accordent à souligner ses nombreuses activités sociales en dehors de l'ermitage du minbar.Quand bien même ils demeurent vibrants, les éloges concernant le mythe ne s'adressent qu'à l'homme de mosquée et rarement au pédagogue réputé novateur à son époque. Sa trajectoire, récupérée souvent comme argument par les polémistes de tous bords, souligne bien la densité de son rayonnement voire la multiplicité de ses centres d'intérêt : ceux en relation avec la vie politique notamment. C'est qu'au-delà du fait que le pouvoir des années 1960 (Boumediène) exalta à son tour la qualité de sa foi, il n'hésita guère à lui donner une dimension hors du commun mais cette fois au bénéfice des notions d'identité dont l'imam fut l'auteur. Sans doute que l'initiative d'une journée du savoir fixée au 16 avril doit beaucoup à la modernité politique du prédicateur et surtout à son réformisme religieux. Depuis presque cinq décennies l'usage de cette date continue à servir de moment d'affirmation tantôt religieuse et tantôt identitaire selon les conjonctures ! Un inimaginable pot-pourri où chacun venait puiser des arguments sur mesures alors que la démarche intellectuelle de l'homme-référence était réputée cohérente. Autant se désoler de la perpétuité d'une célébration qui a fini par desservir ce pourquoi elle a été choisie, et, ce pour quel idéal elle était dédiée. En somme, elle devint moins un repère pour la promotion de la culture qu'un rendez-vous des discordes.Rappelons-nous justement qu'elle fut décrétée dans une Algérie aux accents encore socialisants et presque laà'cs et qu'au fil du temps et des mutations du parti unique le pays devint une annexe de l'islamo-baâthiste où le credo religieux était cardinal. De nos jours encore l'héritage de Benbadis continue à susciter des déchirements notamment dans la mouvance spirituelle (partis islamistes et zaouias). Et ce n'est pas le pouvoir politique qui, dans ce domaine, surenchérit le moins lorsqu'on sait qu'il a travaillé pour la réhabilitation des zaouias jusqu'à en faire son garde-fou spirituel et, in-fine, le contrepoids au courant des badissiens ayant pour culture la lutte contre les mystiques maraboutiques. Bref le régime de Bouteflika est, sans le moindre doute, à l'origine de la résurrection d'une guéguerre spirituelle vieille d'un siècle, laquelle est en train d'emprunter des voies peu recommandables dans le contexte actuel, en transférant la médiation sociale du champ politique vers les structures maraboutiques ! En clair, si la doctrine badissienne est soumise au double pilonnage des extrémistes religieux et de l'intercession magique des saints (maraboutisme), la faute est également imputable à la rareté des travaux universitaires qui auraient dû lui être consacrés. Or, entre hagiographies et réquisitoires, il y a pourtant une alternative intelligente pour mieux en parler afin que nul ne se sente dépositaire d'une pensée singulière qui, en son temps, était parvenue à modifier les réflexes de la société. Car, en dépit de la controverse sur le rôle attribué à l'association des Oulémas bien après le décès de son fondateur (1940), l'historien est tout de même tenu d'examiner les faits dans leur chronologie d'abord et à partir des acteurs eux-mêmes par la suite.En mettant en avant cette précaution méthodologique, le mémorialiste s'écarte positivement des jugements globaux ceux qui, par exemple, font de Benbadis le comptable solidaire des tergiversations de ses successeurs en 1954, alors qu'il était disparu 14 années auparavant (16 avril 1940). Car, à moins de faire dans les amalgames historiques, il ne vient à l'esprit d'aucun chercheur avisé de conclure à ce type de corrélations.Alors que l'Algérie de Boumediène pensait avoir saisi convenablement le sens de sa trajectoire en plaçant sous le patronage de son nom la longue marche pour sortir de l'analphabétisme et l'inculture, force est de constater que la société demeure bien en deçàde cet épanouissement. De nos jours, la Journée du savoir n'est même plus l'invitation magistrale à ce «blé en herbe» que sont nos écoliers afin de les inciter à ouvrir les fenêtres du monde. Elle est une marche martiale vers l'enfermement au nom de la foi. Depuis des années, l'école algérienne reproduit en effet cette parodie des célébrations que seul le clergé des mosquées est en droit d'écrire la leçon. Bien plus que le détournement stupide d'un enseignement qu'il avait laissé en legs, il est surtout victime d'une trahison émanant de ses compatriotes.Et si donc rien ni personne n'est en mesure de l'évoquer avec intelligence et nostalgie, il reste à relire un fragment de l'ode magistrale que Malek Haddad lui consacra. Ouvrons les guillemets”?«”? Il est entré chez lui, chez lui dans nos cœurs, chez lui dans ces maisons aux portes basses, sous ces voûtes qui soutiennent une espérance incassable, sur ces places vivantes où le ciel devient clairière, dans l'échoppe feutrée, dans l'école murmurante au fond des ruelles, au fond des cours, au fond de la permanence rassurante de cette ville en vigie sur la plaine. Il est là , il existe loin des gloires tapageuses et des célébrations surfaites”?».


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