Algérie - A la une

Les tribulations de Mechri



Par Abdelkader Maidi, auteur
Mechri, natif de N'gaous, une petite ville située dans l'Est algérien, décide sous l'effet d'un coup de tête de quitter l'Algérie pour la France, dans l'intention de s'y installer définitivement.
Mechri, partisan du moindre effort, espérait trouver une planque sûre, ainsi qu'un boulot bien rémunéré qui ne nécessiterait pas trop d'effort et encore moins de sacrifice.
Son histoire est passionnante, déconcertante à plus d'un titre, qu'il prend un malin plaisir à raconter à toute personne qui lui prêterait une oreille attentive, surtout lorsqu'il a quelques verres dans le nez !
Cet expatrié s'était installé dans la capitale française, où il vivotait de petits boulots informels, dégotés çà et là au gré du hasard, quand il ne s'adonnait pas à des délits dûment réprimés par la loi : larcins, vente sous le manteau de produits prohibés, détournement du rationnement, etc.
C'était la guerre et Paris était sous l'administration de Vichy et du maréchal Pétain, chapeautée par l'armée du IIIe Reich. Les temps étaient durs et Mechri faisait en sorte de tirer à chaque fois son épingle du jeu, en usant parfois de moyens illégaux. L'essentiel pour lui, c'était d'arriver à ses fins, sans pour autant s'encombrer de scrupules.
Un jour, alors qu'il prenait un pot dans un petit bar parisien à proximité du canal Saint- Martin, dans le 11e arrondissement, il se fait interpeller par des agents de la Gestapo à la suite d'une malheureuse méprise.
Cette si terrifiante police politique allemande était venue appréhender, à la suite d'une dénonciation, un groupe de trois résistants français qu'on appelait communément les FFI, c'est-à-dire les Forces françaises de l'intérieur, qui se trouvaient au même moment que notre compatriote à l'intérieur de ce bistrot. L'un d'eux avait travaillé auparavant avec Mechri dans une petite fabrique d'ustensiles de cuisine en fer blanc. Quand les policiers ont pénétré dans la salle, ils ont remarqué l'indigène en train d'échanger quelques civilités avec son ancien collègue.
Mechri, un goujat invétéré, lui rendait visite très souvent à la maison, particulièrement. Le reste est facile à deviner ! De telles affabilités étaient considérées comme une preuve flagrante pour les Allemands, de sa collaboration avec ces «terroristes parisiens très dangereux», recherchés activement du reste pour plusieurs attentats. Il faut savoir que l'Algérie était considérée par le chancelier Hitler, comme un département rattaché à la France, qui d'ailleurs hébergeait le gouvernement français en exil. Notre compatriote est immédiatement embarqué, et ce, malgré d'énergiques protestations. Il a beau expliqué à l'officier allemand qu'il n'avait rien à voir avec ces individus, qu'il ne connaissait du reste ni d'Eve ni d'Adam, rien n'y fait !
Après un interrogatoire musclé, il est transféré manu militari dans un camp de concentration et d'extermination de sinistre mémoire, situé en Pologne et dénommé Dachau. D'après son récit, la faim et le froid étaient leur lot quotidien dans cette prison à ciel ouvert, sévèrement gardée ; composée uniquement de baraquements et encerclée de barbelés de cinq mètres de haut, sur trois ou quatre rangées, sans compter les mines, miradors, projecteurs et chiens de garde, de véritables molosses.
Un nombre limité d'indigènes de confession musulmane étaient interné dans ce camp, dont quelques-uns seulement sont d'origine algérienne, dont Mechri et un certain Salah Bouchafa, né dans le Constantinois.
Ce dernier, qui était un antifasciste convaincu, est l'un des membres fondateurs de l'Etoile nord-africaine. En 1937, il présida la Ligue de défense des musulmans nord-africains. Il mourut en déportation le 6 avril 1944. A la fin de la guerre, la ville de Paris, reconnaissante, attribua son nom à un foyer pour travailleurs algériens à la rue Lecomte, dans le 15e arrondissement.
Pour les soldats de la Wehrmacht, l'Algérie c'est l'Afrique tout court. L'Algérie c'est «Afrika», point à la ligne? !
Adolf Hitler voyait d'un mauvais ?il l'enrôlement forcé de tous ces milliers de conscrits, de la chair à canon en perspective, qui venaient de ces lointaines contrées, augmenter les effectifs des troupes françaises, de façon à contrer l'avancée de sa puissante armée, constituée plutôt d'Aryens, de la race des seigneurs.
L'Afrique était un continent qui livrait des contingents appréciables de soldats à la France, à travers ses colonies, plus particulièrement les trois pays du Maghreb (Algérie, Tunisie et Maroc).
Durant cette période cruciale, la Tunisie et le Maroc se trouvaient sous protectorat. Donc, les autorités françaises étaient tenues, par correction, de demander préalablement l'accord aux personnalités régnantes. Pour la Tunisie, c'était au bey Mohamed El-Moncef et pour le Maroc, au roi Mohammed V, de son vrai nom Sidi Ahmed Ben Youssef.
En revanche, en Algérie, la France puisait comme bon lui semblait dans le réservoir d'une jeunesse, qui n'était en rien concernée par cette guerre. Une confrontation qui se passait ailleurs et sous d'autres cieux.
Ce qui a poussé la Kommandantur allemande, haute autorité militaire de la place de Paris, par la voix du général Dietrich von Choltitz, gouverneur de la capitale française occupée, à solliciter du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Si Kaddour Benghabrit, notre compatriote né à Sidi Bel-Abbès et qui avait étudié à la Médersa Ethâalibia d'Alger, de prononcer une «fetwa», de façon à décourager les recrues musulmanes de porter les armes contre le IIIe Reich, donc contre les troupes d'Hitler.
Naturellement, Benghabrit, qui était un ex-haut fonctionnaire de l'administration française détaché au Maroc des années durant, en même temps le fondateur de l'Institut musulman de France, refusa poliment de donner un avis, puisse être religieux, sur ce cas d'espèce, laissant les choses telles quelles.
Pendant l'occupation allemande, Si Kaddour Benghabrit parvient à dissimuler les origines juives de Salim Halali, de son vrai nom Simon Halali, né le 30 juillet 1920 à Annaba (ex-Bône).
Le chanteur algérien de variétés, qui a, entre parenthèses, suscité l'admiration de l'Egyptienne Oum Kaltoum, en lui fournissant une fausse attestation de musulman et en gravant le nom de son défunt père sur une tombe anonyme du cimetière musulman à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Un tel geste avait sauvé Salim Halali de la déportation, dont s'ensuivra une mort programmée dans l'une des chambres à gaz, sinon dans un four crématoire.
A Dachau, les soldats allemands faisaient sortir les prisonniers dans la cour afin qu'ils se réchauffent en les sommant de courir sur le gravier pieds nus.
Dès que cette séance d'efforts physiques arrivait à sa fin, ils leur demandaient ensuite de chanter tous en ch?ur. Mechri était presque illettré, donc il ne suivait pas la cadence et chaque fois il se faisait réprimander par l'officier de service, qui l'invitait énergiquement à prêter sa voix à la troupe. Un jour il avait découvert un mégot, qu'un soldat «chleuh», après en avoir tiré quelques bouffées, avait jeté parterre. Profitant d'un moment d'inattention, il s'est courbé pour mettre un genou à terre, faisant semblant d'ajuster ses godasses et sans s'attirer le moindre regard curieux, surtout de la part des gardiens, il prit le bout de cette cigarette tant convoitée et le cacha sous son béret.
Un officier de la Wehrmacht, sous la raideur de son uniforme tiré à quatre épingles, croix arborées, se trouvait au même moment devant l'entrée de l'administration du camp, jambes écartées, mains derrière le dos. Sa position était surélevée par rapport au sol et de là où il se trouvait, il dominait l'ensemble de la grande cour. Ce gradé avait vu le manège de Mechri et d'un geste autoritaire, il lui ordonne de se présenter au rapport dare-dare :
- «Hie Afrikaa come here !»
Sans lui laisser le temps de se répéter, notre compatriote se présenta au pas de course au rapport, car il risquait de se voir sanctionner durement. Les Allemands ne badinent pas avec la discipline. Le militaire questionne notre compatriote en ces termes :
- «Hie Afrikaa, toi ya yole cigarette...'» Il lui demanda s'il avait sur lui une cigarette. Son vis-à-vis, surpris et surtout incommodé, répondit naturellement par :
- «Nein cigarette, her captain !!»
Le Germanique réitéra sa question, d'une voix persuasive :
- «Afrika Ya yole cigarette...'»
Mechri, désemparé, répondit par un approximatif :
- «Nein cigarette... !»
L'officier, irrité par une telle tentative de fourberie, sauta de son piédestal. D'un geste brusque, il débarrassa le béret de la tête de son interlocuteur, le foulant énergiquement à ses pieds et là tout en l'écrasant avec hargne, il trouva sans trop de difficultés l'objet du délit, le fameux mégot, que le détenu algérien cachait jalousement.
Pour échapper à une punition certaine, car les cigarettes étaient formellement interdites dans le camp. Il fallait vite trouver un subterfuge. Un stratagème qui tient la route, à même de lui épargner une éventuelle sanction contraignante ! Mechri est peut-être illettré, mais loin d'être un benêt, du fait qu'il possède le sens de la mesure. Il sait, par exemple, se tirer d'affaire, quand le danger se fait sentir.
Il prononça spontanément en bombant le torse, sans coup férir et sans avoir la moindre appréhension, le sésame qui, pensait-il, allait le sauver des griffes de cet officier qui se prenait pour Jules César :
- «Heil Hitler !» lançait-il superbement et joignant le geste à la parole, il leva la main au ciel, faisant le signe fasciste, si cher aux Allemands.
Il croyait dur comme fer, par je ne sais quel raisonnement, un peu simpliste d'ailleurs, que le fait d'honorer leur chef suprême, au travers du salut hitlérien, encouragerait l'officier à être plus clément envers lui et à passer l'éponge sur une insignifiante bourde, qui ne mérite pas que l'on s'y attarde trop.
Pris en flagrant délit de dissimulation d'un mégot, doublée d'un mensonge éhonté, l'Allemand lui signifia un «Nein Heil Hitler !!», pas de salut pour le chancelier et ordonna aux soldats de le mettre au «frigo», une espèce de cellule étroite, sans éclairage aucun où on gèle facilement.
A la fin de la guerre, il fut libéré par les alliés. De retour à Paris, il replongea durant des années dans de petits chapardages çà et là, il purgea d'autres peines de prison, jusqu'au jour où il reprit le chemin du retour vers l'Algérie, expulsé comme un vulgaire va-nu-pieds. Mechri n'était pas au bout de ses déboires pour autant. Malgré ses longues années de tôle, il récidiva comme poussé par un besoin de commettre des délits, là où l'occasion est à portée de main.
Au début de l'année 1966, il sera appréhendé en flagrant délit par les gendarmes, en train de dérober une quantité appréciable de tuyaux en cuivre et en plomb des bâtiments situés aux Tagarins. Ceux-ci, occupés précédemment par le commandement de la gendarmerie française en Algérie, avant de se retirer vers la métropole, se trouvaient en pleins travaux d'aménagement et de réfection, avant d'être affectés au ministère de la Défense nationale. Eh oui, Mechri, profitant d'un moment d'inattention, s'était introduit dans cette future structure militaire de l'ANP afin de «soulager» les sanitaires de tous ses tuyaux, en plomb s'entend et en cuivre, pour les revendre ensuite au kilogramme, chez des récupérateurs de métaux.
Il fut incarcéré à la prison militaire à ciel ouvert de Blida, plus connu durant les années 60/70 par l'appellation «El Firma», qui voulait dire la ferme. Condamné, il passera quelques années encore entre quatre murs, avant de disparaître à sa libération à tout jamais.
Voilà toute l'histoire de cet homme qui n'a pas su gérer convenablement sa vie de flibustier. Agité et instable comme il l'était, il cherchait l'illusoire qu'il n'a peut- être jamais trouvé.



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