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"Les paris risqués de l'Arabie saoudite"




img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P160427-17.jpg" alt=""Les paris risqués de l'Arabie saoudite"" /Jamais dans l'histoire de l'Humanité, une nation n'a misé autant d'argent pour asseoir sa domination. Riyadh met sur le tapis 2 000 milliards de dollars pour se donner un avenir la propulsant afin d'être intronisée comme puissance financière exceptionnelle. Du même coup, l'Arabie saoudite veut s'attribuer les instruments essentiels pour dominer le monde arabo-musulman et s'autoproclamer leader incontesté au double plan économique et politique. Les appétits du roi Salman sont insatiables. Il veut dominer tout le Monde arabe, de l'Atlantique au Golfe. Son intronisation a ouvert la porte à une nouvelle ère pour le royaume qui reste la proie de ses propres contradictions internes.Les ambitions démesurées de Riyadh sur le plan militaire, économique et politique restent un véritable saut dans l'inconnu pour un royaume qui veut exploiter sa double qualité de nation islamique, gardienne des Lieux saints, et à la fois leader incontesté d'un Monde arabe en pleine décomposition.Hocine Meghlaoui, ancien ambassadeur, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et expert en relations internationales, décrypte tous les secrets et les non-dits de cette métamorphose à laquelle s'attelle l'Arabie saoudite.L'Expression: L'Arabie saoudite vient d'annoncer un surprenant programme de réformes. Etait-il attendu'Hocine Meghlaoui: Surprenant, peut-être pas, ambitieux certainement. Le programme des réformes annoncées ce 25 avril n'a pas été bricolé à la hâte car l'idée de «sortir de la dépendance du pétrole» est ancienne chez les Saoudiens. Depuis un certain temps déjà, ils étaient arrivés à la conclusion qu'ils devaient impérativement changer de modèle économique et budgétaire et faire évoluer la société. La crise pétrolière a seulement joué le rôle de révélateur de la situation économique et sociale du royaume et donc d'accélérateur des réformes.Il faut rappeler que l'Arabie saoudite subit les conséquences de la chute des prix du pétrole dont elle est d'ailleurs la principale responsable: ses importantes réserves en devises (plus de 700 milliards de dollars en 2014) ont commencé à être entamées en 2015 à raison de 100 milliards de dollars pour financer le déficit budgétaire qui a atteint 15% du PIB et pourrait être du même ordre cette année. Le gouvernement a décidé d'emprunter 10 milliards d'euros auprès des banques internationales, ce retour sur le marché financier international est une première depuis 2000. Les subventions des produits pétroliers ont été réduites jusqu'à 80%.Le FMI a demandé aux pays du CCG en général, dont le taux de croissance n'atteindrait pas 2% en 2015 (contre des prévisions de 3,3%), de prendre les mesures nécessaires pour sortir de la dépendance du pétrole en réduisant les dépenses et en diversifiant les sources de revenus.En quoi consiste cet ambitieux programme'Le plan «Vision 2030», dévoilé le 25 avril dernier, à l'issue d'un Conseil des ministres, est un programme de réformes s'étalant sur 15 ans. Il repose surtout sur la restructuration du Fonds public d'investissements (Public Investment Fund), le fonds souverain du royaume, pour transformer le pays en puissance financière mondiale. Ce fonds verra ses capitaux décupler pour passer à 2 000 milliards de dollars. Une partie de ces capitaux sera obtenue grâce à la vente des bijoux de la monarchie, notamment Aramco, la société publique pétrolière qui sera ainsi partiellement privatisée: environ 5% du capital seraient vendus en Bourse. Le plan est basé sur un prix du pétrole de 30 dollars seulement. L'Arabie saoudite veut pouvoir vivre sans pétrole d'ici à 2020, soit dans quatre ans. Ceci semble difficilement réalisable au vu des ressources humaines du pays, de la crise économique mondiale et de la situation volatile au Moyen-Orient.Le programme des réformes vise aussi à mettre fin à la sclérose des structures sociales. A travers les mesures annoncées, on notera celles concernant les femmes, un sujet très délicat à traiter.Il semble qu'on veuille enfin les inclure davantage dans le monde du travail. Va-t-on assister à une réforme en douceur de la société saoudienne ou à un bouleversement incontrôlé qui aurait des conséquences politiques non souhaitées par le pouvoir' Il ne faut pas oublier que le chômage connaît une hausse inquiétante, surtout chez les jeunes de plus en plus instruits, ouverts sur le monde et impatients.Qui est à l'origine des changements en cours en Arabie saoudite'Tous les regards se tournent vers le jeune fils du roi Salman, Mohammed Ibn Salman qui est vice-héritier, ministre de la Défense et responsable de la réforme de l'économie et de l'industrie pétrolière. Son activisme aux plans interne et externe est lié à la construction de son image pour s'imposer devant son cousin, Mohammed Ibn Nayef, premier avant lui dans l'ordre de succession et puissant ministre de l'Intérieur. Mohammed Ibn Salman joue son avenir sur plusieurs fronts: la crise économique, en tant que responsable des réformes engagées qui pourraient lui aliéner des membres de la famille royale pour peu que les résultats attendus ne soient pas au rendez-vous et le Yémen où il est tenu pour responsable d'une intervention hasardeuse à laquelle participent tous les pays du CCG et même au-delà. Cette guerre a déjà coûté près de 5,5 milliards de dollars.Elle constitue un fardeau financier pour l'Arabie saoudite comme le furent les guerres du Vietnam et de l'Afghanistan pour les Etats-Unis et l'URSS, lesquelles n'ont pas été sans conséquences pour ces pays.Comment les pays du CCG ont-ils été entraînés dans cette aventure et qui dicte leur politique étrangère'L'Arabie saoudite dicte désormais ouvertement la politique étrangère de beaucoup de pays arabes. Les pays du CCG suivent sans hésitation ni murmure, même le Qatar. La «loyauté» d'autres pays comme l'Egypte, la Jordanie et le Maroc est maintenue à coups de subsides financiers que le royaume se permet de plus en plus difficilement en raison de la chute des prix du pétrole.Il y a lieu de noter un changement important dans la conduite de la politique étrangère de l'Arabie saoudite. Depuis son arrivée au pouvoir, le roi Salman a rompu avec le style de son prédécesseur, le roi Abdullah. Ce dernier préférait la discrétion.Il tirait les ficelles de derrière le rideau et prenait soin de ne pas exposer son pays à la lumière. Par contre, son successeur et surtout son fils Mohammed agissent désormais sous les feux des projecteurs. Cette nouvelle politique comporte des risques sérieux comme on le constate au Yémen, en Syrie et même en Irak où les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes en dépit des dizaines de milliards de dollars dépensés tous azimuts.Malgré des risques sérieux, le CCG n'est-il pas en train d'élargir davantage le champ de la confrontation'Si, malheureusement, et ceci concerne l'Algérie qui est visée, notamment à travers la question du Sahara occidental. L'autonomie de décision de l'Algérie et son respect du droit international ne cadrent pas avec les visées des pays du Golfe. En agissant comme une «Sainte Alliance» avec le Maroc (Cf. mon article dans L'Expression du 16.05.2011: «Une Sainte Alliance contre qui'»), ils mettent le doigt dans un engrenage dangereux. Cette attitude des pays du CCG (et même d'autres pays qui nous paient de mots et nous poignardent dans le dos) n'est pas nouvelle, mais désormais nous sortons des attitudes hypocrites et c'est tant mieux. Il faut souligner que les Algériens n'ont jamais été dupes, ils savent depuis longtemps qu'ils sont seuls face à leur destin, que personne ne prendra leur défense à leur place, que personne ne fera leur bonheur à leur place.Est-ce que la politique étrangère émergente de l'Arabie saoudite a la bénédiction des Etats-Unis'Probablement pas. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique américaine au Moyen-Orient reposait sur deux axes principaux a priori antagonistes, mais a priori seulement: le soutien inconditionnel à Israël et la relation privilégiée avec l'Arabie saoudite sur la base de l'arrangement «pétrole contre sécurité» conclu en 1945 entre le président des Etats-Unis et le roi d'Arabie saoudite à bord du croiseur Quincy. Le premier axe bénéficie d'appuis puissants aux Etats-Unis et garde toute sa vigueur, malgré des rapports froids entre Obama et Netanyahu. Par contre, le second axe, bien que non encore compromis, a subi quelques altérations inquiétantes pour les Saoudiens. Ces derniers ont, pour le moins, quelques griefs contre leurs alliés américains et principalement contre le président Obama: refus d'attaquer la Syrie en dépit d'une promesse faite publiquement, désengagement relatif du Moyen-Orient et, pêché suprême, l'accord sur le nucléaire iranien et les retombées qu'il pourrait avoir sur les relations américano-iraniennes. Les Saoudiens se sentent progressivement abandonnés à leur sort.Ceci explique-t-il l'activisme tous azimuts de l'Arabie saoudite dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient'Oui, en grande partie, avec des objectifs: se placer comme la puissance régionale, suppléer au «vide» laissé par les Etats-Unis, prendre son destin en main.L'Arabie saoudite a-t-elle les moyens de sa politique'Les moyens financiers oui, malgré la crise pétrolière. En créant un fonds souverain de 2000 milliards de dollars, de loin le plus important au monde, l'Arabie saoudite entend devenir une puissance financière à défaut d'être une puissance économique, politique et militaire comme les Etats-Unis. Ces moyens financiers sont-ils suffisants' Certainement pas. L'achat d'armes sophistiquées n'est pas suffisante, il faut une armée aguerrie, un savoir-faire, un appareil interventionniste bien huilé et une mobilisation de toutes les strates de la société. L'expérience de l'intervention au Yémen n'est pas concluante. En somme, l'Arabie saoudite est très loin d'avoir les moyens de stabiliser le Moyen-Orient, condition sine qua non pour en assurer le leadership, et devrait réfléchir à l'échec des Etats-Unis dans cette région. Elle doit aussi compter avec des concurrents déjà déclarés comme la Turquie et l'Iran (deux puissances non arabes) et l'Egypte, dès qu'elle pansera ses blessures. Sans oublier la Russie qui ne quittera pas de sitôt la scène moyen-orientale. Ceci étant, peut-être que l'Arabie saoudite pense désormais que «ne rien risquer est un risque encore plus grand».A propos de l'Iran, comment expliquez-vous les mauvaises relations de l'Arabie saoudite avec ce pays voisin'Parler de mauvaises relations est un euphémisme. Pour l'Arabie saoudite, l'Iran constitue une menace existentielle, pire que le terrorisme. D'où la recherche d'alliances tous azimuts, y compris avec Israël. Par ailleurs, Ryadh dépense des dizaines de milliards de dollars pour contrer l'influence iranienne en Syrie, en Irak et au Liban (Hezbollah) avec des résultats décevants.A la base du conflit, il y a une volonté de leadership régional affichée par chacune des deux parties concernées. Il ne s'agit pas d'une opposition entre Perses et Arabes ou entre chiites et sunnites. Les efforts de certains pays tiers, notamment les Etats-Unis, pour instaurer une détente entre les deux parties sont restés infructueux et ne sont pas près d'aboutir tant la méfiance est encore grande entre l'Iran et l'Arabie saoudite, rappelant celle qui caractérisait les relations entre les Etats-Unis et l'URSS au plus fort de la Guerre froide. L'Algérie est bien inspirée de ne pas prendre part à ce conflit.Certaines informations ont fait état de la volonté de l'Arabie saoudite d'acquérir l'arme nucléaire pour contrer l'Iran. Qu'en pensez-vous'On n'achète pas une arme nucléaire comme on achète un pétard chez le marchand ambulant du coin. Et l'Arabie saoudite est très loin de pouvoir acquérir une telle arme par ses propres moyens. Elle serait d'ailleurs empêchée de le faire (à ce sujet, le cas iranien est assez instructif). Pour le moment, l'organisme en charge de la politique nucléaire saoudienne, la Cité du roi Abdullah pour l'énergie atomique et les énergies renouvelables (The King Abdullah for Atomic and Renewable Energy) n'a aucun plan, ne serait-ce que pour la construction d'un réacteur nucléaire, contrairement aux Emirats arabes unis qui ont déjà signé un contrat dans ce sens avec la Corée du Sud. La politique nucléaire saoudienne pourrait évoluer après la conclusion de l'accord entre les cinq puissances nucléaires plus un et l'Iran, soutenu à bout de bras par le président Obama au grand dam de Riyadh. Cependant, dans tous les cas de figure, l'Arabie saoudite est à mille lieux d'acquérir une bombe atomique. La menace d'une course à l'armement nucléaire avec Téhéran est agitée par Riyadh uniquement comme moyen de pression sur Washington. Ceci ne semble pas une bonne carte à jouer.Dans la situation que vit le Moyen-Orient, que devient la lutte contre le terrorisme'Après les attentats du 11/09/2001, les Etats-Unis ont déclaré une «guerre totale» au terrorisme, une notion non définie en droit international, malgré tous les efforts des Etats victimes qui sont essentiellement musulmans. Depuis, beaucoup de ces Etats se sont autoproclamés champions de la lutte antiterroriste en regardant avec insistance du côté de Washington, espérant quelque reconnaissance. Ce faisant, ils se payent des torticolis pour rien car ils seront toujours les instruments et non les alliés de ceux à qui ils veulent plaire.S'agissant de l'Arabie saoudite, celle-ci est de plus en plus ouvertement accusée comme étant une source de terrorisme et pas seulement pour le rôle ambigu joué depuis quelques années en Syrie et en Irak. A titre d'exemple, il y a actuellement un projet de loi appelé «Justice Against Sponsors of Terrorism Act» (Justice contre les sponsors du terrorisme) pendant au niveau du Congrès américain qui, s'il était adopté, permettrait aux familles des victimes des attentats du 11-Septembre de poursuivre les autorités saoudiennes pour obtenir des dédommagements (15 sur 19 des auteurs des attaques contre le World Trade Center étaient saoudiens). Le président Obama a annoncé qu'il opposerait son véto au nom de l'immunité des Etats. Ceci étant, l'image de l'Arabie saoudite serait grandement endommagée puisque l'adoption de la loi accréditerait la thèse selon laquelle des membres de la famille royale auraient financé directement Al Qaîda. C'est ce que révélerait une partie du rapport de la commission d'enquête sur les attentats du 11-Septembre.Pour une lutte plus efficace contre le terrorisme, il faudrait une alliance sincère entre plusieurs puissances, notamment les Etats-Unis, la Russie, l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie. Aucun de ces pays n'est capable de stabiliser seul le Moyen-Orient. Les Etats-Unis ont essayé pendant longtemps, mais ont échoué après avoir causé d'immenses dégâts qui ont encore aggravé la situation dans la région et nourri le terrorisme.


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