Algérie - 03- De Carthage à Rome

Les étapes de la disparition du christianisme primitif en Afrique du Nord à partir de la conquête arabe


Les étapes de la disparition du christianisme primitif en Afrique du Nord à partir de la conquête arabe
On situe entre la fin du Ier et le début du IIe siècle l'arrivée du christianisme en Africa. Sa rencontre avec l'islam pose d'abord la question de savoir quel était l'état de la christianisation au moment de l'arrivée des conquérants musulmans. La réponse est largement conjecturale étant donné la rareté des sources. Pour expliquer la rapidité de l'emprise musulmane, on invoque la faiblesse de l'imprégnation chrétienne dans le petit peuple urbain et surtout rural. Étant donné ce qu'a été l'Afrique chrétienne de Tertullien à saint Augustin, et ce que l'on sait de l'extraordinaire densité des évêchés africains, il est difficile d'admettre cette interprétation sans examen.

Le christianisme africain de saint Cyprien et Tertullien à saint Augustin

Au Ve siècle, l'Église africaine s'étend sur l'ensemble formé par l'Africa avec Carthage comme métropole, la Numidie à l'ouest, la Cyrénaïque à l'est. L'appréciation quantitative de l'encadrement épiscopal de l'Afrique a fait l'objet de nombreuses études dont les conclusions restent toujours discutées. On estime qu'au début du Ve siècle, plus de 600 évêchés étaient répartis sur le territoire. Bien que réduit à 470 en 484, le nombre en reste considérable. Les structures ecclésiastiques mises en place par Tertullien (155-225 environ) et saint Augustin (354-430) en sont venues à la fin de la présence romaine à se substituer à l'État pour le maintien de la vie civique. Il reste que c'est surtout dans les villes – Carthage, Hippone, Tipasa, Volubilis – que le christianisme exerça son influence. Pourtant de nombreux indices montrent sa présence jusqu'au limes saharien. On sait par exemple que le camp militaire de Timgad était au IIIe siècle un centre important de vie chrétienne. Ce fut un foyer actif de controverse entre donatistes et catholiques. Ils rivalisaient notamment dans la construction d'églises, dont il reste bien des traces archéologiques. Un mobilier souvent d'importation s'y est accumulé : céramique, orfèvrerie, verrerie, en particulier des vases funéraires du IVe siècle, provenant d'ateliers rhénans. Des données épigraphiques du début du VIe siècle permettent de supposer que des communautés chrétiennes vivaient alors dans le royaume de Tlemcen. On signale également des poches de christianisation dans l'Ouarsenis, au sud de Ténès et de Cherchell à la même époque. En 525, il y avait un évêque à Mina dans la vallée du Chélif. Plusieurs historiens arabes, Ibn abd al-Hakam, au IXe siècle, Al-Bakri, au XIe et plus tard Ibn Khaldûn attestent la présence de chrétiens parmi les Berbères, au moment de la conquête arabo-musulmane. En tout état de cause, la forte densité urbaine de l'Afrique romaine était telle qu'elle rend artificiel le clivage entre ruraux et citadins.

La crise du Ve siècle

Elle procède de facteurs économiques, sociaux et religieux, qui agitèrent l'Africa à la fin de l'Empire romain. Le donatisme en fut la principale expression. Sur un fond de révoltes provoquées par les Circoncellions, journaliers agricoles qui se soulevèrent aux IIIe et IVe siècles contre les maîtres de la terre, il se constitua en secte schismatique en réaction aux persécutions qui frappèrent les chrétiens d'Afrique entre 303 et 305. Il eut pour premier meneur un prêtre numide du nom de Donatus des Cases-Noires. La répression du donatisme redoubla à partir de 317. Cependant un concile donatiste rassembla 270 évêques à Carthage en 336. Saint Augustin contribua à leur affaiblissement au début du Ve siècle. S'ensuivit une longue période de prospérité qui fait de l'Africa un des meilleurs points d'appui du christianisme en Occident. L'arrivée des Vandales en 429 modifia considérablement la situation.
Après avoir longtemps minimisé les persécutions des catholiques africains par les Vandales ariens, on en revient aujourd'hui à souligner la violence fanatique des Ariens qui ne s'est pas atténuée après la paix de 435, et qui a entraîné le départ de catholiques vers d'autres horizons. Des phases plus ou moins intenses ont alterné jusqu'en 523 où un édit royal mit fin à la persécution, prenant en considération qu'en dépit des sévices et des brimades, le catholicisme était loin d'être anéanti. Les témoignages de la persistance des structures monastiques confirment cette appréciation. La persécution aurait peut-être même renforcé l'enracinement du catholicisme en Afrique, appuyé par le « christianisme maure » incarné par des peuples berbères fortement christianisés. La conquête de l'Afrique par Bélisaire au profit de Byzance en 535 redonna vie au catholicisme africain, qui prit nettement position contre le monophysisme, plus enclin au compromis avec l'islam quand celui-ci prit place en Afrique.

Le christianisme dans le Maghreb musulman du VIIe au XIIe siècle

On a diversement expliqué le succès de l'expansion arabo-musulmane en Occident. Les facteurs sont à rechercher d'abord dans le contexte d'une dynamique de grande ampleur de cet ensemble. Il tient aussi à l'état de l'Occident au tournant du VIIIe siècle et à la solidarité profonde qui unit l'Europe à l'Afrique du Nord depuis de nombreux siècles. Elle est assise sur des réalités géopolitiques, des convergences et des affinités qui ont constamment rejailli sur les relations entre les deux rives de la Méditerranée. Les Romains l'avaient vite perçu. Les Ommeyyades de Cordoue ont toujours considéré que leur empire incluait le Maghreb. Il en fut de même plus tard des Almoravides, des Almohades, des Mérinides dont la souche est africaine, ainsi que des Hafsides siégeant à Tunis qui ambitionnèrent tour à tour d'exercer leur autorité du Maghreb à l'Andalus. Il convient donc de ne pas isoler les relations entre le monde arabo-musulman, l'Espagne et la Sicile, de l'Afrique du Nord qui présente néanmoins des traits propres, et en particulier celui d'avoir été l'un des berceaux du christianisme occidental.
Si rapide qu'elle ait été, l'expansion musulmane en Afrique a dû s'accommoder, pendant plusieurs siècles, de la persistance de foyers de christianisme. Dans le royaume rostemide de Tahert à dominante kharidjite, des chrétiens étaient consultés par les autorités au IXe siècle. Ce qui est une entorse rarissime à la dhimmitude, dans laquelle sont généralement confinées les communautés chrétiennes en terre d'islam. Dans la région de Ouargla et de Tébessa, des groupes de chrétiens rattachés à l'évêché de Qastiliya, mal localisé, dans la région du chott Al-Djerid, en milieu kharidjite, se sont maintenus au moins jusqu'au Xe siècle. Des influences chrétiennes ont été perçues au Xe siècle sur l'architecture musulmane. On peut glaner dans la littérature arabe des Xe et XIe siècles des attestations d'une présence chrétienne tenace à travers des individualités fort diverses. Ici un marchand d'huile du Sahel, un proche d'un sultan, là les fonctionnaires de la sikka, c'est-à-dire de l'hôtel des monnaies, sont des chrétiens au service de l'État aghlabide d'Ifriqiya. En 1020, la gouvernante d'un prince ziride, musulmane confirmée, est fille d'une chrétienne, son neveu l'est resté. La relative vitalité de la communauté chrétienne au Maghreb s'explique peut-être aussi par une immigration venue d'Espagne, de Sardaigne et d'Égypte. Un millier de familles coptes au moins ont été transplantées en Tunisie au début de la conquête, pour peupler le pays et construire des bateaux. Elles étaient installées dans plusieurs ports, dont Radès, et plus hypothétiquement Gummi, c'est-à-dire Mahdia, le grand arsenal fatimide qui est resté la principale base navale de l'Ifriqiya.
Le cas de Volubilis est assez significatif. Comme à Tlemcen sur le site de Pomaria, la présence d'une communauté chrétienne jusqu'au milieu du VIIe siècle a été vérifiée à partir de données épigraphiques relevées à Ksar Pharaoun. Des sources arabes signalent l'existence d'une communauté monastique à proximité de Fès au VIIIe siècle. Des éléments de population chrétienne ont peut-être été impliqués dans la fondation de cette ville par Idris Ier. On sait qu'un évêché existait à Ceuta au début du XIe siècle. On peut penser qu'au XIIe encore un christianisme occulte était pratiqué au Maroc, puisqu'un cadi de Marrakech interroge Ibn Rushd (Averroès) sur l'attitude à adopter face à un néophyte musulman soupçonné de pratiquer le christianisme. On a retrouvé chez lui des cierges, des livres en latin, une lampe à huile, un lutrin, une croix et des pains ronds et plats portant l'empreinte d'un sceau (cité par Ch. E. Dufourcq : « La coexistence des chrétiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghreb au Xe siècle » in « Orient et Occident au Xe siècle », IXe Congrès de la Société des historiens médiévistes, Paris, 1979). La construction d'édifices religieux chrétiens autorisée par le pouvoir almoravide au XIe siècle à l'intention de mercenaires et d'immigrés en provenance d'Al-Andalus au Maroc est peut-être à mettre aussi en rapport avec des restes d'éléments chrétiens autochtones. L'historien arabe Al-Bakri mentionne l'existence au XIe siècle d'une église à Tlemcen et les ruines d'une autre à Alger, récemment désaffectée, à la même époque. À l'autre bout du Maghreb, la persistance du christianisme a été diversement signalée, soit par des pèlerinages sur le tombeau de saint Cyprien, soit par la mise au jour d'épitaphes chrétiennes, datées de 1007, 1019, 1046, dans les environs de Sbeitla et à Kairouan. Des tombes chrétiennes on été dégagées en Tripolitaine, dans la région d'Aïn-Zara et d'En-Gila, échelonnées entre 945 et 1003. Une communauté chrétienne subsista à la Qal'a des Beni Hammad jusqu'au début du XIIe siècle.
On a répondu négativement à la question de savoir si l'ancienne et profonde implantation du christianisme en Afrique avait eu une influence sur des usages ou des comportements dans la société musulmane, question posée à propos de la célébration de fêtes chrétiennes à Kairouan au Xe siècle, auxquelles des musulmans auraient participé. On laisse pourtant percevoir la persistance de ces usages. D'autre part des lieux de culte chrétiens ont été parfois repris par les musulmans. Ainsi, comme à Damas, où la Grande Mosquée fut érigée sur les bâtiments de l'église Saint-Jean-Baptiste, et à Cordoue, dont la Grande Mosquée prit position sur le site de l'église Saint-Vincent que les chrétiens et les musulmans se partageaient jusque-là ; la Grande Mosquée Zitouna de Tunis aurait été fondée sur un oratoire chrétien (consacré à saint Olive), de même la petite mosquée hurasanide d'Al-Qasr.
Un aspect particulier de la rémanence du christianisme a été mis en évidence sur le plan linguistique. Sur la base du latin encore usité à Kairouan au XIe siècle, s'est constitué en milieu berbère un dialecte inspiré de langues romanes, mentionné sous l'expression de al latini al afariqui ou encore alfariqi. Décrits par Al-Yaqubi à la fin du IXe siècle, ces Berbères chrétiens sont qualifiés par le terme d'Afariqah. On leur applique aussi le terme ajam. Quant à celui de Rum, il s'adresse uniquement aux populations d'origine byzantine dont il subsiste des groupes assez denses à Carthage, d'où l'empereur byzantin Héraclius était originaire, et dont une importante communauté chrétienne est attestée jusqu'en 983, de même qu'à Kairouan. Cependant la langue grecque était peu répandue. On parle plutôt de « roman » pour caractériser ces dialectes perpétués dans la région de Gabès et de Gafsa au moins jusqu'au milieu du XIIe siècle, ce qui en confirme l'origine latine. Les usages culturels et comportementaux de ces populations, notamment par la pratique du christianisme et les modes vestimentaires, étaient suffisamment intégrés et typés pour être reconnus dans leur spécificité. Il n'y avait pas lieu d'institutionnaliser la différenciation, tamyiz, entre musulmans et non musulmans. Au IXe siècle, l'Ifriqiya était une mosaïque de communautés distinctes, vivant dans une promiscuité paisible. L'intégration se manifestait entre autres signes par le fait que, outre leur nom de baptême issu du calendrier liturgique, les chrétiens pouvaient avoir des noms arabes, tel ce Bakr al-Wahid, cavalier réputé, ou Ibn Wardah, riche marchand de Kairouan.
C'est pourtant à cette époque que les tensions commencent à se faire sentir. Au IXe siècle, plusieurs décisions califales sont prises pour imposer en Irak et en Syrie la différenciation visible entre les communautés, visant particulièrement les juifs et les chrétiens. Il est possible que ce soit sous l'effet de l'édit du calife abbasside, Al-Mutawakkil, pris en 849-850, qu'en 875, le cadi de Kairouan ait ordonné l'application stricte du tamyiz. On imposa donc aux chrétiens, mais aussi aux juifs, de porter une pièce d'étoffe blanche sur l'épaule avec une image de porc. Ce signe distinctif devait être également apposé sur les portes de leurs maisons. L'incidence de ces mesures discriminatoires ne doit cependant pas être surévaluée. Elles restèrent limitées dans le temps et dans l'espace. En particulier à Kairouan, un des pôles majeurs de l'islam maghrébin, la communauté chrétienne était florissante jusqu'à l'arrivée des Fatimides. Elle subsista médiocrement au-delà des années 900, puisque des fatwas font état de la présence de marchands chrétiens et juifs dans des souks ifriqiyens, de l'existence d'églises au début du XIe siècle et de l'usage de plus en plus régulier de la langue arabe par les non musulmans. On localise même autour de 1050 une basilique consacrée à saint Pierre, desservie par un diacre byzantin dans l'ancienne cité romaine de Sicca Veneria, qui prit ensuite le nom d'Ourbou, avant de devenir Le Kef. Ce bâtiment s'est maintenu comme lieu de culte chrétien jusqu'au XIe siècle au moins, époque à laquelle il a été désaffecté sous le nom de Dar-el-Kous, non sans avoir laissé jusqu'à nos jours d'importants vestiges architecturaux (cf. « Le christianisme maghrébin, de la conquête musulmane à la disparition, une tentative d'explication. » in Conversion and continuity. Indigenious communities in islamic lands, VIIth-XVIIIth. Éditions Gervers et Bikhazi, Toronto 1990). Quelques inscriptions funéraires donnent à penser qu'au milieu du XIe siècle, le christianisme n'a pas disparu et qu'un encadrement ecclésiastique subsiste. Mais on peut estimer qu'après 1052, n'en restent au mieux que des traces. Dans la deuxième moitié du XIe siècle, une correspondance pontificale consistante a été rassemblée. Ce qu'elle permet d'établir n'est que la confirmation d'une raréfaction accélérée du réseau épiscopal.

Les causes de l'extinction du christianisme autochtone en Afrique du Nord

Les structures chrétiennes furent manifestement déstabilisées en Afrique par la scission introduite par le donatisme qui n'a pas complètement disparu. Au début du VIIIe siècle encore, le pape Grégoire II signale à saint Boniface, alors en Germanie, le danger d'une influence des donatistes exilés d'Afrique, jusqu'en Europe du Nord. Par ailleurs on a mis en relation pour le Maghreb les similitudes qui rapprochaient le donatisme du kharidjisme, hérésie musulmane qui s'y était fortement répandue. En dépit du rétablissement de l'encadrement catholique par les Byzantins, les effets de la guerre menée par les conquérants arabes n'ont pas manqué de se faire sentir. On ne dénombre plus qu'une quarantaine d'évêchés au milieu du VIIIe siècle. Une lettre de Léon IX de 1053 nous apprend qu'il n'y en a plus que cinq à cette date. Une des faiblesses du christianisme tardif au Maghreb est bien celle de son encadrement. Hormis quelques évêques, la seule autorité dont on trouve trace est celle d'un civil, chef de communauté, judex ou senior, dont on fait un doyen. Quelques prêtres ou responsables de communautés monastiques, sacerdotes, lecteurs, diacres ou simples clercs transparaissent à travers les inscriptions les plus tardives. Elles témoignent d'une réelle carence. La résistance à l'expansion arabe eut des mobiles bien plus politiques que religieux. C'est la réaction berbère qui a été la plus active. À la différence de ce qui se produisit en Espagne, il n'y a pas eu de révolte chrétienne au Maghreb.
On peut y voir soit un signe d'affaiblissement, soit une forme d'adaptation ou de tolérance indifférente, peut-être même au début une acceptation mutuelle chaleureuse. L'épisode rapporté par une source arabe de l'accueil réservé au gouverneur musulman, Al-Fald, en 793, par le chef de la communauté chrétienne à Kairouan, Constance, qui se voit autorisé à construire une église dans la capitale musulmane, permet de le supposer. Toutefois, des signes de rupture se sont manifestés assez vite au point d'accélérer l'exode vers l'Europe, mais aussi vers le sud, puisque de nombreuses familles chrétiennes se sont réfugiées au Xe siècle avec les Ibadites dans des oasis comme Ouargla. Des facteurs exogènes, telle l'invasion hilalienne de 1050, qui eut entre autres effets d'intensifier l'arabisation, ont pu être préjudiciables au christianisme. De même le rigorisme musulman introduit au Maghreb par les Almoravides, mais surtout vers 1150, par les Almohades. Une interprétation récente a rejeté cette incidence, mais elle a été discutée par comparaison avec le reflux des cadres musulmans opéré en Espagne, sans pour autant que la population musulmane ait été éradiquée. Ce qui invite à ne pas minimiser le recours à la force pour expliquer la disparition du christianisme autochtone au Maghreb.
Il faut également tenir compte des conversions, opérées en grand nombre, sous des formes progressivement codifiées par des attestations notariées ou authentifiées par un magistrat, mais avec une souplesse sans commune mesure avec les principes évangélisateurs du monde chrétien. En règle générale, des prescriptions sévères interdisent aux enfants de chrétiens de fréquenter les écoles musulmanes et aux jeunes musulmans d'aller aux écoles chrétiennes. Cependant on connaît quelques exemples remarquables d'individus d'origine chrétienne, dont l'initiation à l'islam a été facilitée par la connaissance de la langue arabe, et qui sont devenus des autorités de référence. La lourde taxe, jiziya, à laquelle étaient soumis les dhimmis a certainement poussé à la conversion sans retour car l'apostasie, riddah, assimilée à une trahison, était passible de la peine de mort. Elle a pourtant souvent eu lieu.
L'argument le plus décisif concernant la disparition progressive du christianisme au Maghreb procède d'une comparaison entre l'Orient et l'Occident. En Orient, le christianisme est fortement enraciné dans la culture autochtone. Il est porté par les langues vernaculaires : syriaque, copte, éthiopien, grec, arménien, etc. En Afrique du Nord, même si le latin a connu une diffusion large, il reste une langue d'importation, en particulier pour des communautés qui, à l'époque de saint Augustin encore, ne parlaient que les langues puniques ou libyques. L'absence d'un christianisme berbérophone a été fortement préjudiciable à cet égard.
Plus précisément encore, s'impose la faiblesse de la diffusion monastique en Afrique par opposition à l'Orient en dépit des efforts de saint Augustin. Les quelques structures monacales qu'il a mises en place autour d'Hippone sont bien peu de choses auprès du monachisme maronite ou copte de Syrie ou d'Égypte.
La prépondérance de l'influence nomade, qu'elle soit saharienne ou d'origine arabe, pourrait expliquer également l'incapacité du christianisme à se maintenir au Maghreb. Les allusions à une tendance à la christianisation au Fezzan à l'époque de Justinien – des poches de christianisation persistante ont été mises en évidence au Sahara occidental – ne sauraient renverser le principe général, selon lequel les nomades sont restés en Afrique imperméables au christianisme. C'est sur ce clivage entre nomades et sédentaires que se sont construites des interprétations sur la diffusion attestée du christianisme en milieu berbère. On a d'abord avancé que, lors de l'invasion musulmane, des chrétiens avaient fui les villes pour se réfugier dans les régions montagneuses peuplées de Berbères et qu'ils y avaient fait des émules, avant que l'islam ne s'y répande. Les Branès qui constituent la principale branche des peuples berbères plutôt sédentaires auraient été plus romanisés et christianisés, tandis que les Botrs, chameliers nomades, auraient vécu plus à l'écart de ces influences.
L'appartenance au groupe des Botrs de la Kahina, ce personnage de premier plan dans l'histoire du Maghreb primitif, d'ascendance paternelle grecque et de religion chrétienne plutôt que judaïque, trouble quelque peu cette interprétation sans remettre en cause l'influence chrétienne dans le monde berbère. Plus généralement, les témoignages ne manquent pas du soutien apporté par les tribus berbères chrétiennes aux forces byzantines commandées par le patrice Grégoire pour essayer de résister à l'offensive musulmane. On explique la forte diffusion du christianisme dans les populations berbères d'Afrique par l'influence qu'y avait exercée antérieurement le judaïsme. On sait en particulier par Ibn Khaldûn qu'une grande partie des Zenata – les Garawa, auxquels est rattachée la Kahina, et les Nefusa – avait été judaïsée, avant d'adopter le christianisme. Les Nefusa auraient même intégré le latin au point d'avoir élaboré une langue romane au sud de la Tunisie actuelle. Au XIVe siècle, ils étaient encore tributaires des Hafsides et payaient la jiziya.

Bien que non négligeables, tous ces témoignages ne rendent compte que d'une réalité en cours d'évanescence qui n'était pas à même de résister à la formidable poussée musulmane, appuyée sur une doctrine et une langue d'une efficacité accomplie. C'est là le principal argument de l'effacement du christianisme en Afrique du Nord. Ce qui est imputé à l'invasion hilalienne, au sectarisme almohade, ou au contrecoup vindicatif de l'occupation normande de la Tunisie n'a fait qu'accélérer un processus fondé sur l'incapacité du christianisme africain à affirmer son identité face à la nouvelle religion, en grande partie en raison de l'opportunité qui lui était offerte de rejoindre le gros de la chrétienté européenne toute proche. La comparaison avec la façon dont les communautés juives se sont adaptées et maintenues au Maghreb ne peut que renforcer cette interprétation. On estime qu'en 1160 au plus tard, le christianisme en Afrique du Nord est parvenu à un état de ténuité extrême. Les quelques manifestations de christianisme autochtone que l'on peut signaler à la fin du XIIe siècle, comme la présence d'une église à la Qal' a en 1191 ou la mention d'un archevêque à Carthage en 1192, ne peuvent faire illusion. On ne saurait tirer argument du fait qu'une communauté chrétienne ait obtenu à la fin du XIVe siècle de surélever son église à Tunis au-dessus des bâtiments du collège Al-Tawfiq. Il s'inscrit dans un contexte différent qu'il convient de préciser.
À partir de 1150, on assiste à un renversement de tendance dans le monde méditerranéen. La réaction des républiques maritimes italiennes aux offensives musulmanes, entamée au milieu du XIe siècle, leur a permis de prendre la maîtrise des mers et par la négociation d'obtenir d'installer des comptoirs sur tout le littoral, notamment au Maghreb. Les traités et conventions comportaient presque toujours des clauses sur le droit d'y installer des lieux de culte et de pratiquer la religion des Italiens sans ostentation. C'est ainsi que des communautés chrétiennes d'origine extérieure se sont fixées durablement à Tunis, Bougie et Ceuta presque exclusivement. Cette présence effective s'est accompagnée d'un soutien actif de la papauté qui entretenait une correspondance régulière avec les autorités musulmanes, en même temps qu'une activité missionnaire s'est toujours maintenue, dont l'un des objectifs fut jusqu'au XIXe siècle le rachat des esclaves capturés par les pirates. Le prosélytisme n'en était pas absent. On a avancé, non sans vraisemblance, que la croisade de Tunis où saint Louis trouva la mort en 1270 avait pour but secret la conversion du sultan Al-Mustancir Billah qui portait pourtant depuis longtemps déjà le titre califal d'émir des croyants.
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