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Les dessous de l’affaire Si Salah



Les dessous de l’affaire Si Salah
Malgré les décennies qui s’accumulent, l’affaire Si Salah, dite opération « Tilsit », ne livre pas ses secrets. Et pour cause ! Cette affaire, après l’avortement du pronunciamiento fomenté par les quatre généraux factieux de l’armée française en avril 1961, sera exploitée dans le but de ternir l’image du général de Gaulle.


Du coup, les premiers récits sont faits par des militaires français qui se sont retrouvés, vers la fin de la guerre, du côté de l’OAS (Organisation armée secrète). De l’autre côté, les Algériens ne consacrent des chapitres intéressants sur l’affaire que bien plus tard. En tout cas, pour l’historien Guy Pervillé, dont l’animosité pour le mouvement révolutionnaire algérien est un secret de polichinelle, les témoignages de Claude Paillat, Pierre Montagnon et Henry Jaquin ne sont pas crédibles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs récits ne contribuent nullement à faire la lumière sur cet événement, mais pour discréditer les acteurs qui ont joué un rôle pour l’indépendance de l’Algérie. « Quand son livre est paru [celui du général Jaquin] en 1977, je l’ai lu avec la plus grande attention, mais il ne m’a pas convaincu, parce qu’il présentait tous les principaux personnages de l’histoire du nationalisme algérien comme autant de traitres : dans ces conditions, la victoire finale du FLN paraissait incompréhensible », écrit Guy Pervillé.

Cependant, ce que l’on peut affirmer d’emblée, c’est que si cette affaire a lieu, c’est à cause de la mésentente qui règne au sommet de la hiérarchie révolutionnaire. Car, bien avant cette affaire, les querelles extérieures ont influé négativement sur le moral des combattants. À cet état d’esprit, il s’ajoute indubitablement l’asphyxie des maquis. Car bien que le passage de la IVème à la Vème République en France ait divisé la classe politique, cela n’a pas permis de desserrer l’étau sur les maquis. De plus, la situation stratégique de la wilaya IV l’expose incontestablement à une activité militaire intense. Ainsi, juste après le retour du général de Gaulle au pouvoir, la région algéroise est passée au peigne fin lors des opérations militaires, couronne1 et couronne2, conduites par le général Massu en septembre et en novembre 1958.

Par ailleurs, bien que les révolutionnaires algériens se soient préparés à une guerre de longue haleine, la multiplication des opérations militaires commence peu à peu à déstabiliser les maquisards. En effet, après avoir fait face tant bien que mal aux opérations de l’année précédente, voilà que la wilaya IV est soumise derechef à l’opération « courroie » en 1959. Lancée par le général Challe, cette opération provoque une saignée dans les rangs de l’ALN. Près de 40% des combattants vont y laisser leur vie, dont le chef emblématique, le colonel Si M’hamed. Par ailleurs, concomitamment à ces opérations militaires, en septembre 1959, le général de Gaulle parle pour la première fois du droit à l’autodétermination du peuple algérien. Pour les maquisards, cette annonce, bien qu’elle soit pour le moment théorique, représente en soi une victoire. N’est-ce pas le but pour lequel la guerre a été déclenchée six ans plus tôt ? Surtout qu’au même moment, l’organisation extérieure de la révolution est empêtrée dans les conflits de leadership.

En fait, lors du voyage de Si Salah à Tunis en 1959, ses demandes en vue d’approvisionner les maquis de l’intérieur n’ont pas rencontré l’écho escompté. Avant son retour en Algérie, pour toute réponse, les chefs extérieurs n’ont à lui proposer qu’un poste diplomatique. « Mais Si Salah a préféré rentrer pour reprendre son poste dans le conseil de la wilaya IV », note à juste titre l’historien SadekSellam. Toutefois, la création de l’État-major général (EMG) en janvier 1960 n’atténue pas le conflit. Pire encore, les échanges entre Boumediene, chef de l’EMG et Si Salah ne sont pas de nature à résorber la tension. Hélas, dans les conflits de grandes envergures, comme celui qu’a vécu l’Algérie de 1954 à 1962, des erreurs de communication se payent cash. Déployant des moyens colossaux, le bureau d’études et des liaisons (BEL), dirigé par le capitaine Heux, est à l’affut du moindre faux pas. Comptant sur la disponibilité de leurs alliés algériens, notamment le cadi de Médéa, Marighi, les services psychologiques français montent alors leur opération machiavélique. Celle-ci consiste à exploiter les désaccords entre les dirigeants de la révolution algérienne en vue de lui assener un coup fatal.

Ainsi, en un temps relativement court, un dossier ficelé arrive au bureau du ministre de la Justice, Edmond Michelet. Ce dernier informe illico le premier ministre, Miche Debré, et le président, Charles de Gaulle. Pour le lancement de l’opération « Tilsit », chacun d’eux va choisir ses propres représentants. Au printemps 1960, les conciliabules vont aboutir rapidement à un accord important. Et c’est dans le but de parapher cet accord que la délégation de la wilaya IV se rend à l’Élysée, le 10 juin 1960. D’ailleurs, le conseil de la wilaya IV est quasiment au complet. Composé de Si Salah, les commandants Lakhdar et Si Mohammed, il ne manque que le commandant Halim. Or, bien que la rencontre soit capitale, pour l’Élysée, elle ne doit pas être déterminante. Car, pour régler le conflit algérien, le général de Gaulle sait que la solution passe immanquablement par un accord avec le GPRA.

D’ailleurs, quatre jours après avoir rencontré Si Salah, le président français invite le GPRA à la négociation. Et si le GPRA avait refusé l’offre, le général de Gaulle n’aurait pas hésité à recourir à la solution séparée conclue avec les responsables de la wilaya IV. Cela n’est pas le cas, puisque le GPRA va accepter le principe de la négociation en se rendant à Melun le 25 juin 1960. Sur un autre plan, au-delà des supputations, il va de soi qu’accord avec le conseil de la wilaya IV ne constitue pas une solution adéquate. En outre, se méfiant de ses généraux et doutant de l’adhésion des maquis de façon générale, le général de Gaulle table sur la solution durable. D’ailleurs, même au sein de la wilaya IV, l’ensemble des maquisards n’adhère pas à la solution partielle. Bien qu’elle vienne de la part de militants dévoués à la cause nationale, il n’en reste pas moins que le compte n’y est pas. Enfin, pour étayer la thèse de la fragilité de cette affaire, il suffit que deux lieutenants, Lakhdar Bourgea et Bousmaha, se rebiffent pour que les membres du conseil de la wilaya IV se trouvent en difficulté.

Dans la foulée, l’un des visiteurs, le commandant Si Mohamed, convaincu par les deux lieutenants, se retourne contre ses anciens collègues du conseil de sa wilaya et se proclame par la même occasion son chef. Dès la prise de ses fonctions, le nouveau chef décide de châtier ses anciens amis. Le premier à payer les frais est le commandant Lakhdar. Arrêté le 19 juin 1960, il est aussitôt exécuté sans le moindre jugement. Le même sort est réservé ensuite à Abdelatif, le 8 aout 1960. Enfin bien qu’il ne soit pas du voyage, le commandant Halim n’échappe pas à la sentence. Du coup, deux mois après la rencontre élyséenne, seuls Si Mohammed et Si Salah sont encore en vie. Cela dit, les survivants ne se trouvent pas dans la même situation. Si le premier est le chef de la wilaya IV, le second est aux arrêts. Et c’est lors de son transfert à Tunis que Si Salah tombe le 20 juillet 1961, dans une embuscade tendue par l’armée française. Quant à Si Mohammed, il est neutralisé trois semaines plus tard par des soldats du 11eme choc, dépêchés de Paris. « En se rendant à Blida en aout 1961, il [Si Mohammed] a pris une initiative contraire à l’habitude selon laquelle un chef de wilaya ne se rend jamais en ville. Il voulait sans doute mourir au moment où les négociations venaient de progresser à Lugrin. Il ne voulait pas survivre alors que tous ses compagnons de l’affaire de l’Élysée avaient tous disparu », conclut SadekSellam. Enfin, avec l’élimination de Si Mohammed, le dernier témoin direct emporte avec lui les derniers secrets de cette affaire.

Ait Benali Boubekeur


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